La société française semble malade de ses identités. Depuis la crise économique, la thématique de l’identité rejaillit à la surface, avec des logiques de boucs émissaires, de peurs, d’interrogations et aussi des problèmes concrets sur la gestion des cultes. Comment faire dans une société qui se fragmente et dont le système de valeurs a été transformé par des facteurs endogènes et exogènes ?
La génération de la croissance et du « papy-boom » a commencé à subir l’influence de la consommation de masse, de la culture américaine et la construction progressive de l’Europe qui érode les souverainetés nationales.
Au même moment, la France perdait officiellement son empire colonial pour revenir à des frontières hexagonales. Confrontée à une réalité post-coloniale, la société découvre en son sein la présence de musulmans. De manière synthétique, on peut recenser quatre étapes dans l’évolution des populations musulmanes, en majorité à travers leur expérience migratoire en France :
1. l’exotisme et le paternalisme ;
2. l’ethnicité et la lutte contre le racisme ;
3. l’identité musulmane ;
4. le post-islamisme.
Durant les années 1970, c’est l’exotisme et le regard paternaliste qui vont prévaloir envers les publics d’ouvriers musulmans. La question musulmane n’est pas au cœur des débats, même si la révolution iranienne va susciter quelques interrogations. L’activisme de certains ouvriers musulmans sera stigmatisé par Pierre Mauroy, en 1983, qui indique : « Les principales difficultés qui demeurent sont posées par des travailleurs immigrés dont je ne méconnais pas les problèmes mais qui, il faut bien le constater, sont agités par des groupes religieux et politiques, qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises. »
Au début des années 1980, on parlera d’ethnicité, de Beurs, de lutte contre le racisme et déjà d’aider les femmes à s’émanciper d’un machisme quasi génétique, dans une France où l’Assemblée nationale est à plus de 80 % masculine et blanche.
C’est aussi le début du différentialisme à la française ; des associations vont utiliser l’argent public pour justifier un discours d’ethnicisation flirtant avec un paternalisme bon enfant. On parle désormais progressivement de citoyens, que l’on va placer au cœur du débat politique. Avec la progression électorale du Front national, cette question des banlieues, des Beurs, etc., va cristalliser les opinions. Le discours sera complexe, mais souvent l’idée est que les problèmes viennent d’« eux » alors que chez « nous », le noyau central de l’identité française, tout va bien !
Au début des années 1990, ce sera au tour de la question musulmane de revenir au cœur des débats. Et avec la crise algérienne, qui va toucher la France par les attentats, celle-ci vivra son 11 septembre 2001 en avance. Au niveau des idéologues fabricants d’opinions, on accentue la menace musulmane, on parle déjà de choc des civilisations.
Pendant ce temps-là, l’école française continue de fonctionner et de produire des citoyens, avec au bout l’émergence d’une citoyenneté musulmane qui dépasse largement sa condition ouvrière. Désormais, la France compte parmi ses élites une part non négligeable de diplômés héritiers de son ancien empire colonial.
Mais certaines élites médiatiques et politiques continuent de verser dans des logiques de schizophrénie, invoquant tour à tour les principes de laïcité et de République indivisible, mais en appliquant des politiques de communautarisation par le haut. La crise est toujours là, elle s’amplifie, elle est économique et sociale mais l’identité est toujours en tête de l’agenda politique.
Après le tournant des années 1990, le 11 septembre 2001 va conforter l’idée de choc des civilisations et, du statut d’immigrés, les musulmans vont passer à celui de cinquième colonne, d’ennemi de l’intérieur. L’État tente d’organiser l’islam de France, mais, en réalité, c’est la persistance d’un islam consulaire et d’une gestion post-coloniale qui subsiste. Les grands perdants seront les musulmans nés en France, ainsi que les valeurs républicaines dévoyées et trahies par ceux-là mêmes qui les défendent sur les plateaux de télévision. Et rebelote, voilà qu’on relance un énième débat autour du foulard, et la machine médiatique s’en empare. On va assister aussi à l’émergence des businessmen du marché autour de l’expertise de l’islam.
Ainsi, une tribu de « penseurs » va se constituer, avec parfois des acteurs qui parlent à peine français, des imams, mais surtout des idéologues qui feront des musulmans de France une industrie pour leur carrière (Eric Zemmour, Caroline Fourest, Tariq Ramadan, Alain Finkielkraut…). Une fois de plus, ce ne sera pas une tentative de construire et de se comprendre, mais au contraire de nous éloigner un peu plus du vivre-ensemble.
De leur côté, les médias vont contribuer à façonner les opinions, en utilisant des images choquantes et un traitement souvent caricatural des faits. Les notes Wikileaks à propos des journalistes français et de leurs compétences sont instructives : « Les grands journalistes sont souvent issus des mêmes écoles élitistes que beaucoup de responsables gouvernementaux, nombre d’entre eux se voient plutôt comme des intellectuels préférant analyser les événements et influencer les lecteurs plutôt que de rapporter les faits. »
Les assimilations entre musulmans et violence sont légion. Qui oserait aujourd’hui expliquer que les dix sociétés les plus violentes au monde sont pour la plupart des sociétés majoritairement chrétiennes, et dire que le christianisme serait à l’origine de la violence ? Sur le terrain sont organisés des conférences, des débats, les librairies musulmanes se développent, avec des livres allant de la politique aux questions sociales, y compris des livres de fondamentalistes à l’esprit simple et à l’analyse aussi légère et médiocre que celle de certains journalistes.
Après cette étape de tensions, on assiste, par la base, à un post-islamisme qui se traduit par la progression des associations de terrain vers une citoyenneté universelle épousant les valeurs républicaines. Mais, on continue, en haut, à ne pas voir la base et on assiste à la persistance des petites phrases dans les médias, des discriminations et de la violence symbolique. Pourtant, il existe des voix fortes, républicaines, et qui ne se contentent pas de parler de questions religieuses mais sont conscientes du fait que nous sommes tous dans un même bateau qui s’appelle la France.
De l’autre coté de la Méditerranée, le 14 janvier 2011, le président Ben Ali quitte le sol tunisien sous la pression d’un mouvement populaire qui, en s’étendant aux pays voisins, rend à nouveau plausible une démocratisation progressive des pays arabes et du Sud, un chemin qui reste encore à construire. Cette révolution apporte un cinglant démenti aux idéologues qui nous ont longtemps vendu la sauce islamiste et donne raison aux thèses d’Olivier Roy, qui avait anticipé le dépassement des mouvements se réclamant de l’islam politique, accompagné de la renaissance de fondamentalismes dépolitisés fondés sur une « sainte ignorance ».
Dans À l'ombre du mépris (Éd. Primordiales, 2012), l'auteur Mohamed Amiri nous démontre comment, à travers une partie de son identité, on peut finalement construire une citoyenneté universelle. À partir d’un cri du coeur, et d’une réaction face aux discours publics tendancieux à l’endroit des musulmans de France, il propose quelques alternatives concernant la complexe question du financement des lieux de cultes. Il défend la loi de 1905 beaucoup mieux que nombre d’élus qui en violent régulièrement les principes. Pierre Bourdieu disait : qu’est-ce qu’un citoyen qui doit faire la preuve, à chaque instant, de sa citoyenneté ? À travers les lignes d'À l'ombre du mépris, il y a bien la preuve que la citoyenneté de seconde zone telle que la voudraient certains de nos responsables politiques est surannée.
La France compte désormais des voix plurielles, et qui refusent les logiques de marginalisation dans l’espace public.
* El Yamine Soum, sociologue, est co-auteur de Discriminer pour mieux régner. Enquête sur la diversité dans les partis politiques français, avec Vincent Geisser (Éd. de L’Atelier, 2008), et a dirigé l'ouvrage La France que nous voulons (Éd. Les points sur les i, 2012), qui formule 50 propositions d'avenir pour la France.
Ce texte est la préface de l'ouvrage de Mohamed Amiri, À l'ombre du mépris (Éd. Primordiales, 2012).
La génération de la croissance et du « papy-boom » a commencé à subir l’influence de la consommation de masse, de la culture américaine et la construction progressive de l’Europe qui érode les souverainetés nationales.
Au même moment, la France perdait officiellement son empire colonial pour revenir à des frontières hexagonales. Confrontée à une réalité post-coloniale, la société découvre en son sein la présence de musulmans. De manière synthétique, on peut recenser quatre étapes dans l’évolution des populations musulmanes, en majorité à travers leur expérience migratoire en France :
1. l’exotisme et le paternalisme ;
2. l’ethnicité et la lutte contre le racisme ;
3. l’identité musulmane ;
4. le post-islamisme.
Durant les années 1970, c’est l’exotisme et le regard paternaliste qui vont prévaloir envers les publics d’ouvriers musulmans. La question musulmane n’est pas au cœur des débats, même si la révolution iranienne va susciter quelques interrogations. L’activisme de certains ouvriers musulmans sera stigmatisé par Pierre Mauroy, en 1983, qui indique : « Les principales difficultés qui demeurent sont posées par des travailleurs immigrés dont je ne méconnais pas les problèmes mais qui, il faut bien le constater, sont agités par des groupes religieux et politiques, qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises. »
Au début des années 1980, on parlera d’ethnicité, de Beurs, de lutte contre le racisme et déjà d’aider les femmes à s’émanciper d’un machisme quasi génétique, dans une France où l’Assemblée nationale est à plus de 80 % masculine et blanche.
C’est aussi le début du différentialisme à la française ; des associations vont utiliser l’argent public pour justifier un discours d’ethnicisation flirtant avec un paternalisme bon enfant. On parle désormais progressivement de citoyens, que l’on va placer au cœur du débat politique. Avec la progression électorale du Front national, cette question des banlieues, des Beurs, etc., va cristalliser les opinions. Le discours sera complexe, mais souvent l’idée est que les problèmes viennent d’« eux » alors que chez « nous », le noyau central de l’identité française, tout va bien !
Au début des années 1990, ce sera au tour de la question musulmane de revenir au cœur des débats. Et avec la crise algérienne, qui va toucher la France par les attentats, celle-ci vivra son 11 septembre 2001 en avance. Au niveau des idéologues fabricants d’opinions, on accentue la menace musulmane, on parle déjà de choc des civilisations.
Pendant ce temps-là, l’école française continue de fonctionner et de produire des citoyens, avec au bout l’émergence d’une citoyenneté musulmane qui dépasse largement sa condition ouvrière. Désormais, la France compte parmi ses élites une part non négligeable de diplômés héritiers de son ancien empire colonial.
Mais certaines élites médiatiques et politiques continuent de verser dans des logiques de schizophrénie, invoquant tour à tour les principes de laïcité et de République indivisible, mais en appliquant des politiques de communautarisation par le haut. La crise est toujours là, elle s’amplifie, elle est économique et sociale mais l’identité est toujours en tête de l’agenda politique.
Après le tournant des années 1990, le 11 septembre 2001 va conforter l’idée de choc des civilisations et, du statut d’immigrés, les musulmans vont passer à celui de cinquième colonne, d’ennemi de l’intérieur. L’État tente d’organiser l’islam de France, mais, en réalité, c’est la persistance d’un islam consulaire et d’une gestion post-coloniale qui subsiste. Les grands perdants seront les musulmans nés en France, ainsi que les valeurs républicaines dévoyées et trahies par ceux-là mêmes qui les défendent sur les plateaux de télévision. Et rebelote, voilà qu’on relance un énième débat autour du foulard, et la machine médiatique s’en empare. On va assister aussi à l’émergence des businessmen du marché autour de l’expertise de l’islam.
Ainsi, une tribu de « penseurs » va se constituer, avec parfois des acteurs qui parlent à peine français, des imams, mais surtout des idéologues qui feront des musulmans de France une industrie pour leur carrière (Eric Zemmour, Caroline Fourest, Tariq Ramadan, Alain Finkielkraut…). Une fois de plus, ce ne sera pas une tentative de construire et de se comprendre, mais au contraire de nous éloigner un peu plus du vivre-ensemble.
De leur côté, les médias vont contribuer à façonner les opinions, en utilisant des images choquantes et un traitement souvent caricatural des faits. Les notes Wikileaks à propos des journalistes français et de leurs compétences sont instructives : « Les grands journalistes sont souvent issus des mêmes écoles élitistes que beaucoup de responsables gouvernementaux, nombre d’entre eux se voient plutôt comme des intellectuels préférant analyser les événements et influencer les lecteurs plutôt que de rapporter les faits. »
Les assimilations entre musulmans et violence sont légion. Qui oserait aujourd’hui expliquer que les dix sociétés les plus violentes au monde sont pour la plupart des sociétés majoritairement chrétiennes, et dire que le christianisme serait à l’origine de la violence ? Sur le terrain sont organisés des conférences, des débats, les librairies musulmanes se développent, avec des livres allant de la politique aux questions sociales, y compris des livres de fondamentalistes à l’esprit simple et à l’analyse aussi légère et médiocre que celle de certains journalistes.
Après cette étape de tensions, on assiste, par la base, à un post-islamisme qui se traduit par la progression des associations de terrain vers une citoyenneté universelle épousant les valeurs républicaines. Mais, on continue, en haut, à ne pas voir la base et on assiste à la persistance des petites phrases dans les médias, des discriminations et de la violence symbolique. Pourtant, il existe des voix fortes, républicaines, et qui ne se contentent pas de parler de questions religieuses mais sont conscientes du fait que nous sommes tous dans un même bateau qui s’appelle la France.
De l’autre coté de la Méditerranée, le 14 janvier 2011, le président Ben Ali quitte le sol tunisien sous la pression d’un mouvement populaire qui, en s’étendant aux pays voisins, rend à nouveau plausible une démocratisation progressive des pays arabes et du Sud, un chemin qui reste encore à construire. Cette révolution apporte un cinglant démenti aux idéologues qui nous ont longtemps vendu la sauce islamiste et donne raison aux thèses d’Olivier Roy, qui avait anticipé le dépassement des mouvements se réclamant de l’islam politique, accompagné de la renaissance de fondamentalismes dépolitisés fondés sur une « sainte ignorance ».
Dans À l'ombre du mépris (Éd. Primordiales, 2012), l'auteur Mohamed Amiri nous démontre comment, à travers une partie de son identité, on peut finalement construire une citoyenneté universelle. À partir d’un cri du coeur, et d’une réaction face aux discours publics tendancieux à l’endroit des musulmans de France, il propose quelques alternatives concernant la complexe question du financement des lieux de cultes. Il défend la loi de 1905 beaucoup mieux que nombre d’élus qui en violent régulièrement les principes. Pierre Bourdieu disait : qu’est-ce qu’un citoyen qui doit faire la preuve, à chaque instant, de sa citoyenneté ? À travers les lignes d'À l'ombre du mépris, il y a bien la preuve que la citoyenneté de seconde zone telle que la voudraient certains de nos responsables politiques est surannée.
La France compte désormais des voix plurielles, et qui refusent les logiques de marginalisation dans l’espace public.
* El Yamine Soum, sociologue, est co-auteur de Discriminer pour mieux régner. Enquête sur la diversité dans les partis politiques français, avec Vincent Geisser (Éd. de L’Atelier, 2008), et a dirigé l'ouvrage La France que nous voulons (Éd. Les points sur les i, 2012), qui formule 50 propositions d'avenir pour la France.
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