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Religions

Abd-al-Wahid Pallavicini : « La reconnaissance réciproque des religions est plus que jamais nécessaire »

Rédigé par La Rédaction | Jeudi 24 Décembre 2015 à 10:00

           

En ce mois de décembre sont célébrées successivement les fêtes juive (Hanoukka), musulmane (Mawlid) et chrétienne (Nativité). L’occasion de dire l’importance de l’interreligieux. Parmi l’un des fervents ambassadeurs des relations islamo-chrétiennes depuis plus de 30 ans, le shaykh Abd al-Wâhid Pallavicini, président de la COREIS (Communauté religieuse islamique italienne). Il a notamment participé à la rencontre historique des religions pour la paix à Assise en 1986, voulue par le pape Jean-Paul II. Et à l’occasion du cinquantenaire de la promulgation Nostra Aetate (déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes du Concile Vatican II), il a accordé une interview en italien, que Saphirnews publie ici en français*.



Shaykh Abd-al-Wahid Pallavicini dans la mosquée de Via Meda, à Milan. (Photo : DR)
Shaykh Abd-al-Wahid Pallavicini dans la mosquée de Via Meda, à Milan. (Photo : DR)

Nostra Aetate est connue pour avoir permis l’ouverture au dialogue avec les autres religions. Selon vous, comment peut-on freiner l’exclusivisme religieux ?

Abd-al-Wahid Pallavicini : La tendance exclusiviste suppose que la Vérité ne s’est manifestée intégralement que dans une seule religion, alors que la tradition islamique, en accord avec la tradition chrétienne, comme l’affirme, par exemple, saint Augustin, dans De vera religione, devrait permettre à chaque croyant de reconnaître que Dieu S’est toujours révélé en des temps, des lieux et des modes différents, offrant non une vérité « partiale », mais la vérité absolue, adressée spécifiquement à des réceptacles déterminés.

Ces réceptacles spécifiques sont symbolisés dans les trois révélations abrahamiques, respectivement par « le peuple élu », par une « femme élue » et par « l’élu parmi les hommes ». C’est la différence entre ces « élections » qui définit les limites entre les trois Révélations du monothéisme abrahamique. Ces élections sont nécessaires pour révéler à chaque communauté la Parole de Dieu, qui se manifeste sous la forme d’une « Loi » pour les juifs, d’un « Homme » pour les chrétiens, et d’un « Livre », dans le sens de Récitation divine, pour les musulmans.

À propos des rapports entre l’islam et le christianisme, la Déclaration du Concile évoque l’importance d’une « estime réciproque ». Le cardinal Colombo de Milan propose de traiter avec les musulmans avec « égale dignité et solennité ». Comment avez-vous vécu, en tant que musulman, cette ouverture manifestée par l’Autorité catholique ?

Abd-al-Wahid Pallavicini : Aujourd’hui, la reconnaissance réciproque de ce que nous appellerions la « validité salvatrice » des religions est plus que jamais nécessaire. Toutes les religions authentiques, en effet, conduisent l’homme au salut, participation en quelque sorte par reflet à la Réalité divine, laquelle est accessible de façon plus directe, en revanche, à travers les pratiques intérieures, présentes encore aujourd’hui au sein des ordres contemplatifs de la dernière Révélation.

Il suffirait de reconnaître dans les différentes expressions théologiques des différentes révélations leur signification symbolique pour retrouver cette « seule origine » (Nostra Aetate, § 1) et Vérité unique dont toutes les révélations dérivent, sans nier à la Providence divine la possibilité d’adresser aux hommes différents messages qui sont adaptés à la compréhension des divers peuples à des époques diverses et variées.

Il est à noter que le texte de Nostra Aetate reconnaît que l’islam accorde une place particulière à la Vierge Marie. Il est donc peut être préférable de ne pas entrer dans les questions théologiques qui divisent mais plutôt de ne garder que ce qui unit ?

Abd-al-Wahid Pallavicini : Les théologies de chaque religion sont différentes et doivent rester telles, parce que c’est ainsi qu’a voulu la Miséricorde divine. Cela n’empêche pas que l’on puisse bénéficier également des apports doctrinaux des autres révélations : par exemple, l’islam reconnaît en Jésus, non « un prophète comme les autres », mais une fonction particulière à la fin des temps, lorsqu’il retournera comme « Sceau de la Sainteté » et « Annonce de l’Heure ».

En effet, du point de vue de l’islam, qui est postérieur au christianisme, l’Incarnation du Christ représente, au sein du monothéisme abrahamique, le point culminant de la manifestation de la nature théomorphique de l’homme. Ce moment culminant, cependant, devrait être entendu selon les termes même des Pères de l’Église, pour lesquels : « Si Dieu S’est fait homme, c’est pour que l’homme se fasse Dieu. »

Toutefois, la compréhension de l’Incarnation, en s’éloignant de cette signification première, risque de ne plus conduire l’être humain à l’aspiration vers Dieu, mais de le faire tomber dans l’idolâtrie de lui-même, identifiant le Fils avec l’imperfection de sa nature humaine.

Certains thèmes sont abordés avec difficulté par les musulmans, qu’en pensez-vous ?

Abd-al-Wahid Pallavicini : Nombreux sont les musulmans, en effet, qui ne connaissent plus leur propre doctrine, qui est instrumentalisée par des fondamentalistes à des fins de pouvoirs terrestres.

Pour notre part, en revanche, nous nous référons aux maîtres soufis qui n’ont pas seulement étudié la doctrine islamique dans son orthodoxie, mais qui ont passé leur vie à l’enseigner. Ce fut le cas, par exemple, du Shaykh Abder-Rahman Elish El-Kebir, saint égyptien du XXe siècle, qui affirmait que « si les chrétiens ont le signe de la croix, les musulmans, quant à eux, en préservent la doctrine ».

Certaines tendances d’aujourd'hui ne risquent-elles pas de tomber dans le syncrétisme ?

Abd-al-Wahid Pallavicini : Une chose est la nécessité de se référer aux principes universels originels qui sont communs à nos traditions, pour en retrouver la source de Connaissance unique de nos religions (principes, entre autres, auxquels fait référence l’introduction de Nostra Aetate, et qui répondent aux questions du sens ultime de la vie, de l’origine de la Création à l’eschatologie). Une autre, en revanche, est de confondre les rites spécifiques, pour donner naissance à un mélange syncrétiste qui porte atteinte à la fois à la doctrine et à la grâce divine.

Nostra Aetate a été conçu comme un document officiel pour condamner les persécutions qui ont été commises à l’encontre des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et pour contrer les tendances antisémites rampantes. Selon vous, le Concile Vatican II a-t-il réussi en ce sens ?

Abd-al-Wahid Pallavicini : Si l’on veut respecter les juifs, il faut les reconnaître à part entière, non seulement comme l’une des communautés du monothéisme abrahamique, mais comme une religion complète qui conduit de façon effective au salut. Le risque est que l’on se laisse influencer et confondre par les atrocités de notre temps, sans voir le temps de Dieu qui a imprimé une cyclicité dans l’Histoire à travers la succession providentielle des religions.

L’homme contemporain juge l’action de Dieu dans le monde selon ses propres paramètres, mais ne semble rien faire pour essayer de se rapprocher de Lui. C’est de cette sainteté, au contraire, qu’il faut s’inspirer pour comprendre le sens authentique de cette Nostra Aetate, ces temps ultimes qui sont les nôtres, et dont nous devons savoir ensemble reconnaître les signes.

Cinquante ans après Nostra Aetate, le pape François, que vous avez eu l’occasion de rencontrer en 2014 à Redipuglia et à Jérusalem, a eu le courage, avec l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, d’initier une nouvelle saison pour le dialogue interreligieux. Qu’en pensez-vous ?

Abd-al-Wahid Pallavicini : Nous, musulmans italiens, particulièrement, nous nous sommes rendus compte de ce changement de rythme, car si l’islam est une minorité en Italie, nous le sommes doublement en tant que musulmans italiens œcuméniques. En vertu de cette vocation au dialogue, par exemple, nous avons été invités en 2010 dans la grande basilique de Padoue, à l’occasion de l’ostension du saint, un saint par antonomase, celui qui est saint parce qu’il a connu Dieu, de la même manière que Dieu a dit par la bouche du Prophète Muhammad : « J’étais un trésor caché, J’ai voulu être connu et J’ai créé le monde. »

En effet, Dieu veut être connu des hommes parce qu’ils sont faits « à Son image et à Sa ressemblance », affirmation présente également dans la Tradition islamique, et qui est, selon les pères conciliaires, à la base de « fraternité universelle » (Nostra Aetate, § 5).
Devenir saints comme saint Antoine signifie devenir maîtres de nous-mêmes, c’est-à-dire seigneurs (signori), si vous permettez le jeu de mots, c’est-à-dire celui qui « s’ignore », qui s’oublie lui-même au nom de son Seigneur, perdant sa propre individualité pour atteindre la vraie personnalité, qui est celle de Dieu, l’Unique, le même que Celui des chrétiens, qui peuvent y accéder à travers les Personnes de la Trinité.

Nous ne sommes plus des « individus », c’est-à-dire « indivisibles », mais nous nous fondons dans la « personne », qui signifie en latin « être traversé » par le son du Nom de Dieu, nomen-numen, personare, en faisant ainsi résonner dans notre cœur Son Saint Nom, celui que les chrétiens arabes appellent également Allah.

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Première parution de cet article dans Biblioteca Ambrosiana, traduction de l’IHEI. Shaykh Abd al-Wahid Pallavicini, maître spirituel de la confrérie contemplative islamique Ahmadiyyah Idrîsiyyah Shâdhiliyyah, est président d’honneur de l’Institut des hautes études islamiques (IHEI) et président de la Communauté religieuse islamique italienne (COREIS). Il est l’auteur de L’islam intérieur – Message d'un maître soufi (Ed. Bartillat, 2013).






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