Washington — La nouvelle de la mort du chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, abattu dimanche 1er mai par des forces spéciales des Etats-Unis, a été reçue, à Washington et à New York, par des manifestations de joie. Mais au Pakistan, nombreux sont ceux qui sont restés accrochés à leurs sièges, devant la télé, en se demandant ce qu’un tel événement signifie pour la sécurité et la souveraineté du pays. La mise à mort de Ben Laden est un signal adressé au public pakistanais : les Etats-Unis peuvent agir en toute autonomie, et en toute impunité, sur leur territoire. Cependant, si le gouvernement américain reconnaît les légitimes préoccupations du public pakistanais, et qu’il s’en préoccupe, la mort de Ben Laden pourrait bien apparaître comme le fait majeur de la diplomatie américaine.
Pour la plupart des Pakistanais, la nouvelle de la mort du chef terroriste a été éclipsée par la question de savoir quel rôle le gouvernement et les forces armées de leur pays ont joué dans l’opération. Dans son discours à la nation américaine, le président Barack Obama a bien marqué que “c’est l’aide du Pakistan dans l’opération de contre-terrorisme qui nous conduits à Ben Laden et au complexe résidentiel où il se cachait”. Pour autant, les fonctionnaires les plus haut placés à la Maison Blanche n’ont pas manqué de souligner que les Etats-Unis ont agi seuls, les autorités pakistanaises n’ayant été alertées qu’après le démarrage de l’opération. Mardi, le président du Pakistan, Asif Ali Zardari, a mis les choses au point : l’attaque n’avait pas été une opération conjointe.
L’attention des médias internationaux s’est surtout portée sur le fait que l’action unilatérale des Etats-Unis met en évidence le peu de confiance que ces derniers font à l’appareil de sécurité pakistanais. Inversement, l’opération Ben Laden a encore diminué la confiance que le Pakistan peut faire aux Etats-Unis et aux intentions que ceux-ci affichent concernant la région. La frappe survient après une réunion, tenue le mois dernier, entre les responsables de la Central Intelligence Agency (CIA) et de l’Inter-Services Intelligence Agency (ISI) du Pakistan. L’ISI aurait demandé à la CIA de réduire ses empreintes au Pakistan, tout en lui réclamant de pouvoir mieux superviser les opérations de renseignements américaines sur le sol pakistanais.
Ces derniers mois, les responsables américains ont cessé d’informer à l’avance le Pakistan des frappes de drones contre des activistes dans les zones tribales. Au surplus, l’opinion publique pakistanaise n’a toujours pas accepté la détention et l’élargissement subséquent de Raymond Davis, cet agent sous contrat de la CIA qui, en janvier dernier, a abattu deux Pakistanais à Lahore.
L’idée que les Etats-Unis peuvent agir en toute impunité au Pakistan ne manquera pas de nourrir un sentiment d’insécurité. Sur les réseaux sociaux, les Pakistanais se demandent si la liquidation de Ben Laden n’est pas le “début d’une fin de partie”, en d’autres termes, le début d’une confrontation ouverte plutôt que d’une coopération entre Etats-Unis et Pakistan. Ils redoutent qu’une frappe unilatérale à l’intérieur des frontières pakistanaises n’en annonce encore d’autre. Lundi, une déclaration du président de la commission des services secrets de la Chambre des Représentants, Mike Rogers, selon laquelle une douzaine, au moins, de responsables de haut niveau d’Al-Qaïda sont installés au Pakistan a fait que beaucoup se demandent si les Etats-Unis ne sont pas en train de préparer une série d’attaques qui seraient autant de violations de la souveraineté pakistanaise. Ces préoccupations sont aggravées par la nomination récente du général David Petraeus au poste de directeur de la CIA — ce même général qui avait critiqué sévèrement le Pakistan pour avoir entretenu des liens avec des groupes d’activistes et toléré la présence de havres de sécurité pour terroristes.
Pour être clair, les Pakistanais sont tous, sans exception, inquiets pour la sécurité intérieure de leur pays. Ils sont terrorisés par la perspective de représailles, que les talibans ont juré d’exercer, quelques heures à peine après qu’a été annoncée la mort de Ben Laden.
Beaucoup sont aussi agacés par le fait que Ben Laden a été découvert à Abbottabad, qui abrite une base militaire et la prestigieuse Académie militaire du Pakistan. Le fait que le chef terroriste ait pu se cacher à portée immédiate de l’appareil sécuritaire pakistanais a de quoi alarmer. Plus terrifiante encore est l’autre possibilité — que Ben Laden ait pu bénéficier de la protection des services de renseignements du Pakistan. Car ils ne sont pas moins de 30.000, les Pakistanais tués ces dernières années dans des attentats liés au terrorisme.
Au vu du sentiment de vulnérabilité qui prévaut actuellement au Pakistan, l'heure n'est pas au triomphalisme américain. En fait, bien exploitée, la mort de Ben Laden pourrait bien être un tournant dans une relation bilatérale sérieusement ébranlée. Ce pourrait être aussi l'occasion d'une nouvelle transparence dans les relations américano-pakistanaises, lorsque les modalités de l'opération auront été expliquées et un rappel au fait que, si les priorités stratégiques des deux alliés peuvent être différentes, elles n'en sont pas moins complémentaires. Et si, comme on a pu le dire, la mort de Ben Laden facilite les projets de retrait d'Afghanistan des Etats-Unis, elle pourrait aussi être l'occasion d'une collaboration sans précédent entre Washington et Islamabad.
* Huma Yusuf est journaliste et chercheuse à Karachi ; aujourd'hui boursière pour le Pakistan au Woodrow Wilson International Center for Scholars de Washington.
Pour la plupart des Pakistanais, la nouvelle de la mort du chef terroriste a été éclipsée par la question de savoir quel rôle le gouvernement et les forces armées de leur pays ont joué dans l’opération. Dans son discours à la nation américaine, le président Barack Obama a bien marqué que “c’est l’aide du Pakistan dans l’opération de contre-terrorisme qui nous conduits à Ben Laden et au complexe résidentiel où il se cachait”. Pour autant, les fonctionnaires les plus haut placés à la Maison Blanche n’ont pas manqué de souligner que les Etats-Unis ont agi seuls, les autorités pakistanaises n’ayant été alertées qu’après le démarrage de l’opération. Mardi, le président du Pakistan, Asif Ali Zardari, a mis les choses au point : l’attaque n’avait pas été une opération conjointe.
L’attention des médias internationaux s’est surtout portée sur le fait que l’action unilatérale des Etats-Unis met en évidence le peu de confiance que ces derniers font à l’appareil de sécurité pakistanais. Inversement, l’opération Ben Laden a encore diminué la confiance que le Pakistan peut faire aux Etats-Unis et aux intentions que ceux-ci affichent concernant la région. La frappe survient après une réunion, tenue le mois dernier, entre les responsables de la Central Intelligence Agency (CIA) et de l’Inter-Services Intelligence Agency (ISI) du Pakistan. L’ISI aurait demandé à la CIA de réduire ses empreintes au Pakistan, tout en lui réclamant de pouvoir mieux superviser les opérations de renseignements américaines sur le sol pakistanais.
Ces derniers mois, les responsables américains ont cessé d’informer à l’avance le Pakistan des frappes de drones contre des activistes dans les zones tribales. Au surplus, l’opinion publique pakistanaise n’a toujours pas accepté la détention et l’élargissement subséquent de Raymond Davis, cet agent sous contrat de la CIA qui, en janvier dernier, a abattu deux Pakistanais à Lahore.
L’idée que les Etats-Unis peuvent agir en toute impunité au Pakistan ne manquera pas de nourrir un sentiment d’insécurité. Sur les réseaux sociaux, les Pakistanais se demandent si la liquidation de Ben Laden n’est pas le “début d’une fin de partie”, en d’autres termes, le début d’une confrontation ouverte plutôt que d’une coopération entre Etats-Unis et Pakistan. Ils redoutent qu’une frappe unilatérale à l’intérieur des frontières pakistanaises n’en annonce encore d’autre. Lundi, une déclaration du président de la commission des services secrets de la Chambre des Représentants, Mike Rogers, selon laquelle une douzaine, au moins, de responsables de haut niveau d’Al-Qaïda sont installés au Pakistan a fait que beaucoup se demandent si les Etats-Unis ne sont pas en train de préparer une série d’attaques qui seraient autant de violations de la souveraineté pakistanaise. Ces préoccupations sont aggravées par la nomination récente du général David Petraeus au poste de directeur de la CIA — ce même général qui avait critiqué sévèrement le Pakistan pour avoir entretenu des liens avec des groupes d’activistes et toléré la présence de havres de sécurité pour terroristes.
Pour être clair, les Pakistanais sont tous, sans exception, inquiets pour la sécurité intérieure de leur pays. Ils sont terrorisés par la perspective de représailles, que les talibans ont juré d’exercer, quelques heures à peine après qu’a été annoncée la mort de Ben Laden.
Beaucoup sont aussi agacés par le fait que Ben Laden a été découvert à Abbottabad, qui abrite une base militaire et la prestigieuse Académie militaire du Pakistan. Le fait que le chef terroriste ait pu se cacher à portée immédiate de l’appareil sécuritaire pakistanais a de quoi alarmer. Plus terrifiante encore est l’autre possibilité — que Ben Laden ait pu bénéficier de la protection des services de renseignements du Pakistan. Car ils ne sont pas moins de 30.000, les Pakistanais tués ces dernières années dans des attentats liés au terrorisme.
Au vu du sentiment de vulnérabilité qui prévaut actuellement au Pakistan, l'heure n'est pas au triomphalisme américain. En fait, bien exploitée, la mort de Ben Laden pourrait bien être un tournant dans une relation bilatérale sérieusement ébranlée. Ce pourrait être aussi l'occasion d'une nouvelle transparence dans les relations américano-pakistanaises, lorsque les modalités de l'opération auront été expliquées et un rappel au fait que, si les priorités stratégiques des deux alliés peuvent être différentes, elles n'en sont pas moins complémentaires. Et si, comme on a pu le dire, la mort de Ben Laden facilite les projets de retrait d'Afghanistan des Etats-Unis, elle pourrait aussi être l'occasion d'une collaboration sans précédent entre Washington et Islamabad.
* Huma Yusuf est journaliste et chercheuse à Karachi ; aujourd'hui boursière pour le Pakistan au Woodrow Wilson International Center for Scholars de Washington.