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Cinéma, DVD

Au-delà du conflit, « D'une seule voix » rassemble Palestiniens et Israéliens

Interview du réalisateur, Xavier de Lausanne

Rédigé par | Mercredi 11 Novembre 2009 à 00:01

           

« D’une seule voix », c’est l’histoire d’une rencontre musicale. En décembre 2004, Jean-Yves Labat de Rossi avait réussi à réunir, sur une même scène, une centaine de musiciens israéliens et palestiniens des Territoires occupés, en plein cœur de Jérusalem, malgré les tensions régnant dans la région. Fort de sa réussite, l’homme décide de réitérer le projet en 2006 en organisant une tournée de trois semaines en France. Mais un tel projet peut-il réellement recréer des liens entre des personnes que le conflit oppose ? Peut-il raviver un espoir de paix entre les deux peuples ? Le débat est lancé. Le projet a su attirer l’attention de Xavier de Lausanne, qui réalise ainsi son premier long-métrage documentaire. Interview.



Eti (chanteuse pop juive israélienne) et Saz (chanteur hip hop arabe israélien) ont fait partie des cent artistes de la tournée « D’une seule voix ».
Eti (chanteuse pop juive israélienne) et Saz (chanteur hip hop arabe israélien) ont fait partie des cent artistes de la tournée « D’une seule voix ».

Saphirnews : Qu’est-ce qui vous a incité à réaliser ce film ?

Xavier de Lausanne : En 2004, j’ai travaillé pour une chaîne du câble [KTO, ndlr] qui m’a envoyé filmer le concert organisé par Jean-Yves Labat de Rossi à Jérusalem. Il avait réussi à faire sortir des musiciens de la bande de Gaza pour les faire chanter en plein cœur de Jérusalem avec des Israéliens et des Palestiniens de Cisjordanie.
En prenant des images du concert, je me suis intéressé aux coulisses pour voir dans quelle mesure on arrive à faire vivre un tel projet et comment les liens peuvent se créer − ou non − entre des personnes qui n’ont pas la possibilité de se rencontrer.
Plus tard, j’ai revu M. de Rossi, chez lui, dans la Creuse, et il m’a parlé de son projet d’une tournée française. J’ai donc développé l’idée de faire un film à ce moment-là.

Vous n’avez pas trouvé de diffuseur pour ce film depuis quatre ans. Pourquoi ? Quelles ont été les raisons invoquées ?

X. de L. : Plusieurs raisons ont été invoquées mais une d’entre elles, donnée par France Télévisions et Canal + l’an dernier, m’a beaucoup choqué. On me disait que le sujet ne correspondait pas à la société française. De la part de personnes qui ont une certaine responsabilité − celle de porter à l’écran des documents qui sont censées faire réfléchir −, je trouve cela grave.
J’ai prospecté avant, pendant et après avoir terminé le film, mais tout le monde l’a refusé. Finalement, la seule solution était que nous, producteurs, nous nous déclarions aussi distributeurs pour le faire diffuser nous-mêmes au cinéma.

Ce film reflète-t-il réellement ce qui s’est passé dans les coulisses ? Des scènes ont-elles été « censurées » ?

X. de L. : Il n’y a rien de tendancieux qui n’a proprement été censuré. La censure − s'il faut parler de « censure » − était davantage due à une question de narration. Quand on réalise un film, il faut une narration qui soit progressive, un rythme qui soit soutenu, un sens qui soit travaillé. Les tensions que l’on voit pendant le film sont très représentatives de ce qu’il y avait eu globalement dans la tournée.
Vous savez, quand cent personnes aux opinions aussi variées se trouvent réunies, il y a toujours des personnes modérées autour pour calmer les choses, aussi bien du côté palestinien que du côté israélien. Ce sont eux qui faisaient retomber les tensions.

Vous avez quand même décidé de ne pas inclure dans le film la scène finale où les gens se disent au revoir. Pourquoi ?

X. de L. : Parce qu’il est très difficile, dans ce contexte de guerre qui opposent Palestiniens et Israéliens, de montrer des gens qui s’embrassent. Pour ceux qui ont perdu des proches et qui en souffrent beaucoup, ce n’est pas facile de voir des gens qui s’étreignent. J’ai préféré être un peu plus discret là-dessus et finir par une autre scène qui est, pour moi, beaucoup plus significative : celle où musiciens et chanteurs, réunis par la musique, dansent tous ensemble sur scène à la fin de la tournée.
C’était un vrai moment de vibration. J’ai trouvé très intéressant d'achever le film là-dessus. Le dernier soir de la tournée, ils étaient tous extrêmement émus de se dire au revoir car ils ne savaient pas s’ils allaient se retrouver un jour.

Xavier de Lausanne.
Xavier de Lausanne.

Le souhait de Jean-Yves Labat de Rossi est de ne pas introduire du tout de débats politiques…

X. de L. : Je crois fondamentalement qu’à un moment donné il faut s’écarter de la question politique afin de pouvoir se recentrer sur sa propre humanité. On ne peut pas arriver à travailler sur l’humanité dans le sens absolu du terme si on n’évacue pas, à un moment donné, la question politique qui, de toute façon, quand elle est débattue, arrive très souvent à quelque chose de stérile.
Il faut, par moment, se détacher de ses opinions politiques pour pouvoir considérer la personne en face de soi et arriver à s’en rapprocher sur le plan purement humain. C’est la conviction de Jean-Yves.
Ce qui ne veut pas dire qu’il était interdit de parler politique. Il était évident que, dans les chambres ou dans les bus, le débat allait avoir lieu − et le film montre certaines de ces discussions.
On ne peut pas rassembler les Israéliens et les Palestiniens sans parler de politique mais, officiellement, il s’agissait d’un groupe de représentation musicale sur scène et, lors de ces représentations, il ne devait pas y avoir de débat politique.
Quant à moi, je me suis intéressé aux coulisses, où des discussions avaient lieu mais j’ai essayé de les traiter de manière tout à fait impartiale.cb[

Personnellement, voyez-vous ce genre d’initiative comme un réel manifeste pour la paix ? Quel message souhaitez-vous faire passer à travers ce film ?

X. de L. : Je n’ai pas de message particulier. Ce qui m’intéressait était de faire connaître cette expérience unique. Je voulais donner une vie à ce projet en le faisant connaître, car il le méritait.
Je crois que la paix ne commence pas par des traités politiques. On peut les attendre encore très longtemps. La paix commence par la mobilisation des individus, de la société civile et elle commence par de petits gestes. On voit dans les coulisses de la tournée que, même si l’ambiance était parfois difficile, des petits gestes d’amitié pouvaient naître, des liaisons émergeaient entre les personnes.
Ce sont ces gestes qui peuvent préfigurer un espoir de paix. On est certes dans la préfiguration d’un espoir de paix seulement. C’est petit mais on peut déjà commencer par là.

Pourtant, dans le film, on observe qu'il n’y a pas un minimum de consensus entre certains musiciens palestiniens et israéliens…

X. de L. : Ce n’est pas le but. Le philosophe Emmanuel Levinas disait : « Le visage est ce qui interdit de tuer. Le visage est signification, et signification sans contexte. » Les choses changent à partir du moment où on met un visage sur celui qu’on ne connaît pas. Le Mur est l’un des gros problèmes entre Israéliens et Palestiniens, car il empêche les gens de se connaître. On stigmatise plus facilement l’autre et on en a peur car on ne le connaît pas.
Le projet musical a permis à chacun de mettre un visage sur l’autre et d’apprendre à se connaître.
Pour donner un exemple concret, pendant les récents bombardements à Gaza, Atef [de l’ensemble musical de Palestine, à Gaza, ndlr] a reçu des coups de fil de juifs israéliens lui demandant des nouvelles de lui et de sa famille. Cela ne serait jamais arrivé s’ils n’avaient pas participé à ce projet commun.

Pensez-vous que ce genre d’initiative peut se répéter malgré les événements qui se sont passés ces derniers mois ?

X. de L. : Un concert a eu lieu à Malte en février 2009, seulement six semaines après les bombardements à Gaza. Des musiciens de Gaza et d’Israël sont venus chanter ensemble mais personne n’en a parlé. Le but du projet est aussi de dépasser cette image médiatique qu’on a du conflit, pour essayer d’aller vers l’avenir. Même si les souffrances sont encore très fortes aujourd’hui, l’avenir n’est pas la séparation. Il faut donc provoquer la rencontre, quelles que soient les accusations que l’on peut porter les uns envers les autres sur le plan politique.



D'UNE SEULE VOIX

« Si on chante la chanson de l'autre, on ne peut le bombarder. » « Cela fait 80 ans que l'on se bat. À quoi ça sert de se battre ? Il faut se battre ensemble, et la musique est le premier pas. » « Elle est de Ramallah, je suis d'Israël. Je suis juive, elle est arabe. Et pourtant, il faut que nous soyons amies ! »
Telles sont les nombreuses phrases d'espoir qui égrène le film documentaire de Xavier de Lauzanne,
tourné avant les bombardements de Gaza en décembre-janvier 2009.
Le film s'est vu décerner de nombreux prix* et donne l'occasion d'impulser des débats à l'issue de sa projection en salles.
Un nouveau concert D'une seule voix avait été organisé à Chypre, le 19 octobre dernier. Atef Okasha et ses musiciens de l'Ensemble musical de Palestine, n'ont pu s'y rendre, refoulés à la frontière de Rafah puis bloqués au poste frontière d'Erez....


* Meilleur documentaire − Palm Beach − International Film Festival − 2008
Platinium Award − Worldfest Houston − International Film Festival − 2008
Grand Prix − Festival du film d'éducation d'Évreux − 2008
Prix art et culture − Le Scoop − Festival international du journalisme d'Angers − 2009
Prix Autrement vu des cinémas Nord-Pas-de-Calais − Le Touquet Paris Plage − FIGRA 2009
Prix du public − 21e édition du Festival cinématographique d'automne de Gardanne − 2009


L’album « D’une seule voix », qui accompagne la sortie du film et qui reprend l’intégralité des musiques de la tournée française organisée en 2006 par Jean-Yves Labat De Rossi et Anne Dieumegard, est disponible dès à présent sous le label Ad Vitam Records.

Voir le site officiel D'une seule voix



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


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