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Société

Aumônier musulman : « On ne veut pas non plus d’imam au rabais ! »

Entretien avec Samia El Alaoui Talibi

Rédigé par Faïza Ghozali | Mardi 10 Mai 2011 à 09:25

           


Aumônier musulman : « On ne veut pas non plus d’imam au rabais ! »

SaphirNews : Comment devient-on aumônier musulman en prison ?

Samia El Alaoui Talibi : La décision revient à l’administration pénitentiaire. Il faut déjà avoir obtenu au préalable un avis favorable de l’aumônier général, Moulay el Hassan el Alaoui Talibi (son époux NDLR) et un avis préfectoral, délivré par les renseignements généraux.

A l’Aumônerie musulmane, nous privilégions les situations stables, pour que se nouent de vrais liens avec les détenus et l’administration pénitentiaire. On ne veut pas non plus d’imam au rabais ! Les postulants doivent témoigner de connaissances religieuses solides, pour avoir la confiance et le respect des détenus. Il faut aussi maîtriser la langue française, nécessaire pour communiquer avec les surveillants et l’administration.

Etre aumônier est une activité bénévole, qui implique d’avoir une profession et une vie à côté, et de prendre sur son temps libre. C’est un engagement personnel et profond, à l’opposé de ceux qui ne chercheraient que la reconnaissance du titre et à se prévaloir d’une autorité religieuse sur leur communauté. Nous servons d’interface pour les détenus, à la fois avec l’administration de la prison, avec leur famille et leur communauté. Il ne nous appartient pas de les juger. On compte aujourd’hui 147 aumôniers musulmans en France, dont une dizaine de femmes. La population carcérale étant surtout masculine, nous manquons davantage d’aumôniers hommes que de femmes.

SaphirNews : Sentez-vous des progrès dans vos rapports avec les personnels pénitentiaires ?

Samia El Alaoui Talibi : On a le sentiment qu’il faut faire énormément d’efforts et que ça n’est jamais gagné. Qu’un directeur de prison avec qui on a établi des relations de confiance soit remplacé, et il faut tout recommencer. Nous nous battons pour que le personnel carcéral soit formé au fait religieux. Aux Pays-Bas, professionnels et bénévoles se relaient pour assurer une présence continue auprès des détenus. Les aumôniers professionnels sont fonctionnaires et rattachés au ministère de la justice. Tous les cultes sont intégrés de la même manière.

SaphirNews : L’Aumônerie musulmane des prisons a-t-elle fait bouger les lignes ?

Samia El Alaoui Talibi : On a beaucoup progressé, surtout depuis l’arrivée de M. El Alaoui au poste d’aumônier national en 2006. Il a beaucoup fait en faveur de la note qui, en 2007, a fini par autoriser les objets de culte dans les prisons, comme le Coran, les tapis de prière ou les CD de prêche… Il y a aussi les colis du Ramadan. Des réticences demeurent, comme dans toute société. Un directeur de prison a ainsi interdit dans le règlement intérieur les tapis de prière. Or la note de 2007 les autorise.

SaphirNews : Pourquoi ne pas contester sa décision ?

Samia El Alaoui Talibi : Entrer en conflit n’aide pas à améliorer la condition des détenus. C’est à eux qu’il faut penser. Nous faisons un travail de sensibilisation, par nature lent et patient. Rien ne sert de hurler, il faut agir. Nous avons aussi eu affaire, avec Claude d’Harcourt, l’ancien directeur national de l’Administration pénitentiaire, à un homme d’exception.

SaphirNews : Comment êtes-vous devenue aumônier ?

Samia El Alaoui Talibi : En 1995, Irène, une aumônière catholique, est venue voir mon mari, en disant : on a besoin de ta femme. J’ai d’abord refusé. Irène a insisté. Elle m’a raconté ce que lui avaient dit des détenues musulmanes : « Tu ne peux pas nous montrer comment prier pour nos parents ». Cette année-là, je venais de perdre ma mère. J’ai donc accepté, pensant que ça se limiterait à enseigner la façon de prier nos parents défunts. Et comme Obélix, je suis tombée dans la marmite (rires).

Lorsque je finissais mon DEA de maths appliquées, j’étais déjà débordée avec un enfant, puis deux… Aujourd’hui, je suis maman de sept enfants, dont trois dyslexiques et une petite fille handicapée à 80% à laquelle je consacre les premiers jours de la semaine. Je partage beaucoup avec mes enfants. Je leur parle de cet engagement auprès des détenus. Ça les fait grandir et moi, ça me fait avancer.

SaphirNews : Y-a-t-il un enseignement particulier que vous aimez partager ?

Samia El Alaoui Talibi : Souvent, les femmes veulent me dire pourquoi elles sont en prison. Je les arrête aussitôt. Je suis là pour les accompagner, quoi qu’elles aient fait. Jamais je n’aurais pensé prendre dans mes bras des filles lesbiennes ! Moi aussi j’ai avancé. Ces femmes m’apportent quelque chose, sinon, je n’y retournerai pas.

Je raconte souvent l’histoire de Moïse qui demande à Dieu : « Pourquoi m’avoir choisi pour t’adresser à mon peuple ? » Dieu lui répond : « Va voir ton peuple, et reviens avec quelqu’un qui soit inférieur à toi. » Moïse va vers son peuple, observe tout le monde - et Dieu sait que la dépravation régnait alors. Mais il revient vers Dieu et lui dit : « Je n’ai trouvé personne d’inférieur à moi ». « C’est pour ça que je t’ai choisi », lui répond Dieu. Aux yeux de Dieu, la valeur d’une personne est celle que cette personne accorde aux autres.






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