Connectez-vous S'inscrire

Société

Avec le FN à la mairie, triple galère pour bâtir une mosquée

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Mercredi 16 Avril 2014 à 06:00

           

Le Front national a claironné lors des élections municipales de mars 2014. Le parti d’extrême droite a remporté haut la main son pari avec l’élection de 1 200 conseillers municipaux. Cerise sur le gâteau : 13 villes sont tombées dans son giron. Pour les musulmans habitant ces municipalités, des temps difficiles sont attendus compte tenu du rejet explicite du FN envers l’islam, qui s’illustre avec le refus catégorique de voir s’ériger des mosquées.



Avec le FN à la mairie, triple galère pour bâtir une mosquée
Le FN, par la voix de sa présidente Marine Le Pen, a montré sa détestation des prières dans les rues. Paroxysme de l’incohérence : dans ce parti, on reste hostile à tout projet de mosquée. Les membres du parti se mobilisent alors farouchement contre toute édification de mosquée. Cela fut largement le cas au cours de la campagne des élections municipales.

Ainsi, à Bordeaux (Gironde), Jacques Colombier, le candidat FN, organisait en février dernier un rassemblement pour dire non au projet de centre islamique. L’homme n’a pas été élu à Bordeaux, qui reste le fief d’Alain Juppé. Mais, ailleurs, les musulmans peuvent craindre de voir leurs projets de lieu de prière être rejetés après l’élection de maires frontistes.

Tract de la liste Mantes-la-Ville Bleu Marine.
Tract de la liste Mantes-la-Ville Bleu Marine.

Des tracts contre la mosquée

C’est le cas à Mantes-la-Ville, seule ville d’Île-de-France remportée par le FN. L’arrivée de Cyril Nauth n’augure rien de bon pour l’Association des musulmans de Mantes Sud (AMMS), dont l’objectif est de construire une mosquée. Leur désir de mosquée, qui « date de 25 ans », doit faire face à un maire qui a fait « campagne contre », dit Abdelaziz El Jaouhari, le président de l’AMMS. Effectivement, lors de la campagne électorale, Cyril Nauth a fait distribuer un tract destiné à faire peur aux riverains, tout en s’en prenant à Monique Brochot, la maire (PS) de la ville.

« Pour cette association musulmane, les choses sont claires : ils attendent bien la construction d’une mosquée. Or, depuis des mois, Mme Brochot parle d’une simple salle de prière ! », peut-on lire sur ce tract. « Nous, candidats de la liste Mantes-la-Ville Bleu Marine, sommes les seuls à avoir parlé sincèrement de ce sujet. Nous vous avons alerté sur les dangers (financement opaque, risques de tension en période électorale) et les limites de ce projet (site choisi particulièrement inadéquat), dont l’ambition ne correspond pas du tout aux besoins réels. D’autres mosquées existent déjà à Mantes-la-Jolie et dans le Mantois ! C’est donc tout sauf une priorité à Mantes-la-Ville », est-il ajouté.

Pour Abdelaziz El Jaouhari, le besoin d’un lieu de culte musulman est pourtant criant. Jusqu’en 2002, les musulmans de la ville, qui représentent, selon lui, « entre le tiers et le quart » de la population totale de 20 000 habitants, étaient obligés d’aller prier dans les « villes avoisinantes », nous explique-t-il. Puis la municipalité, alors aux mains de la socialiste Annette Peulvast-Bergeal, a mis à la disposition de la communauté musulmane un pavillon pour faire office de lieu de prière. « Dans un intérêt électoraliste », juge M. El Jaouhari, qui explique que ce bâtiment d’une « surface habitable de 70 m² » pour lequel l’AMMS verse un loyer est trop « petit » et ne répond à « aucune norme de sécurité et d’hygiène » et encore moins aux « normes des ERP, les établissements recevant du public ».

L’association travaille alors pour trouver une solution. Le dialogue est plus facile avec Monique Brochot, la nouvelle maire élue en 2008. En concertation « avec l’équipe de la ville, une solution est dégagée ». L’ancienne trésorerie municipale est choisie comme futur lieu de prière. Après un « travail de longue haleine », le dossier est validé au sein de la commission sécurité de la mairie et, tout dernièrement, à la commission départementale de sécurité.

La victoire de Cyril Nauth – qui a profité de la querelle entre Monique Brochot (PS) et Annette Peulvast-Bergeal (ex-PS), toutes deux présentes au second tour, pour se hisser à la tête de la ville –pourrait saper tout ce travail, car c’est lui, en tant que maire, qui doit désormais donner son feu vert pour le début des travaux.

La situation est d'autant plus inquiétante que l’actuelle salle de prière doit être prochainement démolie. « Avec la démolition prévue de l’actuelle salle de prière et le projet de future salle rendu incertain par l’élection du Front national, la communauté musulmane de Mantes Sud pourrait se retrouver sans aucun lieu de culte dès le mois de mai prochain ! », alertait l’AMMS dans un communiqué le 2 avril. Cet appel lui a permis de récolter rapidement les 650 000 € nécessaires à la réaménagement de l’ancienne trésorerie municipale en salle de prière, mais sans lever les craintes sur une opposition du maire qui a fait campagne contre le projet.

Un rejet synonyme de discrimination

Après avoir sollicité un rendez-vous avec lui, l’association a pu le rencontrer mardi 15 avril. Ce dernier leur a donné un délai d’un mois pour examiner leur dossier. Mais il a « rappelé être opposé au projet car il a été élu contre ce projet », rapporte le président de l’AMMS. Les responsables de l’association ont tenu à lui fournir tous « les éléments juridiques » prouvant que l’association « n’a rien à se reprocher ». Ils ont aussi rappelé que « la ville est responsable des conditions indignes » dans lesquelles prient actuellement les fidèles. « Toutes les autres confessions ont des lieux de culte. Depuis 25 ans, il n’y a qu’à la communauté musulmane que l’on cherche des excuses pour planter le projet », s’exaspère Abdelaziz El Jaouhari. Si le projet est rejeté, il s’agira d’une « pure discrimination », juge-t-il.

Lors de leur entrevue, Cyril Nauth n’a émis aucun argument solide, raconte-t-il, mais le maire s’est plaint du fait que les riverains n’aient pas été « consultés » pour le projet de l’AMMS.

Dans la même veine, à Fréjus (Var), autre ville remportée par le FN, le maire David Rachline a, quant à lui, fait savoir qu’il envisageait de consulter la population sur la construction d'une mosquée dans le quartier de La Gabelle, alors même que l’association en charge du projet dispose déjà d’un permis de construire. Convaincus que les mosquées sont des projets spéciaux, ces maires frontistes voient le référendum comme une solution. Leur volonté de traiter les musulmans différemment dépasse l’entendement.

La mosquée Ar-Rahma de Béziers.
La mosquée Ar-Rahma de Béziers.

Sans le FN, toujours galère pour construire une mosquée

A Marseille, l’association de la mosquée des Cèdres, située dans les quartiers nord des 13e et 14e arrondissements, a, quant à elle, obtenu un permis de construire de la municipalité avant l’élection du frontiste Stéphane Ravier à la tête de ce secteur. Ce nouveau projet, au coût de 1,5 million d’euros, permettra à la communauté musulmane de quitter les « deux appartements en rez-de chaussée » qui lui servent actuellement de lieu de prière, commente Samir Messikh, chargé de communication de la mosquée des Cèdres.

A Béziers, l’arrivée de Robert Ménard ne sera également d’aucun effet. Aucun projet de ce type n’est en cours dans cette ville, qui dispose déjà de cinq mosquées, nous rassure-t-on. Dans les autres villes où le FN l’a emporté comme à Le Luc et à Cogolin (Var), à Beaucaire (Gard) ou à Hayange (Moselle), cette crainte a en revanche des raisons d’être.

Mais, même ailleurs, les associations ayant des projets de mosquée n’ont que rarement du répit. Elles se heurtent trop souvent au bon vouloir des maires de tout bord politique, comme le démontre le cas de la communauté musulmane de Mantes-la-Ville sans mosquée digne depuis des années ou le cas des musulmans de Montrouge (Hauts-de-Seine), qui avaient porté plainte contre la municipalité centriste l’an dernier après la fermeture de leur lieu de culte. Dans les Alpes-Maritimes, les fidèles restent confrontés à une insuffisance marquée de lieux de culte comme à Nice, où le maire Christian Estrosi (UMP) ralentit les différents projets de mosquées.

Des maires de gauche ou de droite d'abord réticents à l'édification de mosquées peuvent céder pour s’assurer le vote de l’électorat musulman mais tel n'est pas toujours le cas. Les candidats frontistes choisissent, eux, d'emblée de faire campagne contre des mosquées, qui dénatureraient, à leurs yeux, l’identité de la France, pour être élus. Dans les deux cas, les associations cultuelles musulmanes se trouvent prisonnières de situations qui vont à l’encontre de la laïcité, laquelle garantit le libre exercice du culte à tous.






SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !