Eh bien voilà, c’est fait. Au terme d’une campagne qui a déchaîné toutes les passions, des plus nobles aux plus viles, ainsi que tous les espoirs et tous les désespoirs multiples et contradictoires des uns et des autres, la Grande-Bretagne a finalement choisi de quitter, sans nul doute à jamais, l’Union européenne.
Le Brexit comme métadivision
D’ores et déjà, une nouvelle ligne sinon de fracture, du moins de division, est apparue conjointement au lexique du Brexit, lui-même inédit : celle qui distingue les « Leavers » ou « Brexiters » (le camp du « out ») et les « Remainers » (le camp du « in »). Sans anticiper sur le travail de nos journalistes et têtes pensantes du PAF qui se battent déjà pour venir nous expliquer tout cela, on observe que cette division entre les Ins et les Outs est sans doute désormais la ligne de fracture essentielle pour comprendre la société britannique et tout ce qui la travaille, car elle recoupe et englobe de nombreuses autres.
Ainsi, un fossé des générations apparait nettement dans ce vote, où la majorité des jeunes (disons les moins de 30 ans) s’est prononcée pour le maintien dans l’UE alors que leurs aînés plus âgés (disons au-dessus de 45 ans) ont, eux, choisi en masse de la quitter. Ce vote est donc avant tout générationnel avant que d’être politique, ethnique, éducationnel ou économique.
Pourquoi cette fracture jeunes pro-EU / seniors pro-Brexit ? Avançons une hypothèse en termes de différence entre les mémoires culturelles et historiques : les moins de 30 ans n’ont connu que la Grande-Bretagne dans l’Union (elle est y entrée en 1973), jamais en dehors ; ils sont nés et ont grandi dans l’UE, et celle-ci fait partie de leur ADN. Mais les « anciens », eux, se rappellent de leur pays avant l’UE et hors de celle-ci et sont donc plus en mesure de constater que, au final, la Grande-Bretagne semble avoir peu profité de cette intégration.
Ce que l’on a présenté comme un « grand saut dans le vide » pour effrayer les Brexiters ne leur fait pas peur. En effet, ils savent sans doute mieux que leurs enfants ou petits-enfants que la Grande-Bretagne n’a pas eu besoin de Bruxelles et de ses Juncker et Schulz pour accéder à la paix, à la sécurité, à la prospérité, à la liberté, pour développer des institutions fortes et un des régimes démocratiques parmi les plus consolidés au monde. L’Union ne lui a apporté aucun de ces bienfaits précieux. Tout cela, la Grande-Bretagne a su se le donner sans Bruxelles et bien avant l’UE.
Dans le meilleur des cas, ces acquis ont été renforcés, mais beaucoup se demandent si les désavantages ‒ eux bien concrets et réels (perte de souveraineté, etc.) ‒ n’excèdent pas désormais les quelques bénéfices hypothétiques. Là se trouve au moins une des clés majeures du Brexit, et de nombreux autres peuples sont travaillés par ce même doute qui devient de plus en plus palpable et se lit chez nous dans le vote FN.
Les plus jeunes, sans doute plus exposés et plus réceptifs au discours pro-EU, car ils baignent dedans depuis leur naissance, sont plus enclins à faire l’équation « UE = paix, liberté et prospérité ». Équation avancée par tous les propagandistes pro-EU mais équation archifausse car des pays en dehors de l’UE comme la Suisse connaissent une situation de paix, de liberté et de prospérité égale sinon supérieure à celle de pays membres.
D’autres divisions apparaissent également à l’occasion de ce Brexit, comme celle qui divise nantis (ou ceux qui espèrent le devenir) pro-EU et classes défavorisées ou en voie de précarisation et de paupérisation qui ont, elles, voté en masse pour la sortie. Comme le titre The Guardian : « Si vous avez du pognon, vous votez pour, si vous n’en avez pas, vous votez contre. »
De même, les zones fortement urbanisées, cosmopolites, riches et bien intégrées dans les flux de la mondialisation, à commencer bien sûr par Londres, se prononcent majoritairement pour le maintien dans l’Union, alors que les zones rurales, pauvres ou désindustrialisées sont dominées par les Leavers, à l’instar de ce qui se passe en France avec le vote Front national, comme l’a montré le démographe Hervé le Bras, pour qui « la carte du vote FN recoupe exactement et précisément la carte de la France fragile », celle où se retrouvent, concentrés et à leur niveau le plus élevé, les cinq indicateurs de précarité.
Ceux qui redoutent la mondialisation et l’ultralibéralisme, qui vivent dans la hantise de la pauvreté et du déclassement ont tendance à voter « out », tandis que ceux qui espèrent en tirer profit votent pour y rester, tels les jeunes bien scolarisés qui pensent désormais leur avenir professionnel non plus à l’échelle de leur nation mais à celle de l’Europe, avec ses stages à l’international, ses bourses Erasmus et ses délocalisations possibles à l’étranger.
Les optimistes (chose souvent liée à la jeunesse) ont une idée plutôt favorable de l’Union, les pessimistes ont, eux, plutôt tendance à la rendre responsable de tous les mots. Et ainsi de suite.
L’analyse confirmera peut-être cette hypothèse, mais on a là une métadivision historique entre Brexiters et européanistes, qui pourrait bien englober et recouper toutes les autres. En cela, elle offre une grille d’analyse privilégiée.
Ainsi, un fossé des générations apparait nettement dans ce vote, où la majorité des jeunes (disons les moins de 30 ans) s’est prononcée pour le maintien dans l’UE alors que leurs aînés plus âgés (disons au-dessus de 45 ans) ont, eux, choisi en masse de la quitter. Ce vote est donc avant tout générationnel avant que d’être politique, ethnique, éducationnel ou économique.
Pourquoi cette fracture jeunes pro-EU / seniors pro-Brexit ? Avançons une hypothèse en termes de différence entre les mémoires culturelles et historiques : les moins de 30 ans n’ont connu que la Grande-Bretagne dans l’Union (elle est y entrée en 1973), jamais en dehors ; ils sont nés et ont grandi dans l’UE, et celle-ci fait partie de leur ADN. Mais les « anciens », eux, se rappellent de leur pays avant l’UE et hors de celle-ci et sont donc plus en mesure de constater que, au final, la Grande-Bretagne semble avoir peu profité de cette intégration.
Ce que l’on a présenté comme un « grand saut dans le vide » pour effrayer les Brexiters ne leur fait pas peur. En effet, ils savent sans doute mieux que leurs enfants ou petits-enfants que la Grande-Bretagne n’a pas eu besoin de Bruxelles et de ses Juncker et Schulz pour accéder à la paix, à la sécurité, à la prospérité, à la liberté, pour développer des institutions fortes et un des régimes démocratiques parmi les plus consolidés au monde. L’Union ne lui a apporté aucun de ces bienfaits précieux. Tout cela, la Grande-Bretagne a su se le donner sans Bruxelles et bien avant l’UE.
Dans le meilleur des cas, ces acquis ont été renforcés, mais beaucoup se demandent si les désavantages ‒ eux bien concrets et réels (perte de souveraineté, etc.) ‒ n’excèdent pas désormais les quelques bénéfices hypothétiques. Là se trouve au moins une des clés majeures du Brexit, et de nombreux autres peuples sont travaillés par ce même doute qui devient de plus en plus palpable et se lit chez nous dans le vote FN.
Les plus jeunes, sans doute plus exposés et plus réceptifs au discours pro-EU, car ils baignent dedans depuis leur naissance, sont plus enclins à faire l’équation « UE = paix, liberté et prospérité ». Équation avancée par tous les propagandistes pro-EU mais équation archifausse car des pays en dehors de l’UE comme la Suisse connaissent une situation de paix, de liberté et de prospérité égale sinon supérieure à celle de pays membres.
D’autres divisions apparaissent également à l’occasion de ce Brexit, comme celle qui divise nantis (ou ceux qui espèrent le devenir) pro-EU et classes défavorisées ou en voie de précarisation et de paupérisation qui ont, elles, voté en masse pour la sortie. Comme le titre The Guardian : « Si vous avez du pognon, vous votez pour, si vous n’en avez pas, vous votez contre. »
De même, les zones fortement urbanisées, cosmopolites, riches et bien intégrées dans les flux de la mondialisation, à commencer bien sûr par Londres, se prononcent majoritairement pour le maintien dans l’Union, alors que les zones rurales, pauvres ou désindustrialisées sont dominées par les Leavers, à l’instar de ce qui se passe en France avec le vote Front national, comme l’a montré le démographe Hervé le Bras, pour qui « la carte du vote FN recoupe exactement et précisément la carte de la France fragile », celle où se retrouvent, concentrés et à leur niveau le plus élevé, les cinq indicateurs de précarité.
Ceux qui redoutent la mondialisation et l’ultralibéralisme, qui vivent dans la hantise de la pauvreté et du déclassement ont tendance à voter « out », tandis que ceux qui espèrent en tirer profit votent pour y rester, tels les jeunes bien scolarisés qui pensent désormais leur avenir professionnel non plus à l’échelle de leur nation mais à celle de l’Europe, avec ses stages à l’international, ses bourses Erasmus et ses délocalisations possibles à l’étranger.
Les optimistes (chose souvent liée à la jeunesse) ont une idée plutôt favorable de l’Union, les pessimistes ont, eux, plutôt tendance à la rendre responsable de tous les mots. Et ainsi de suite.
L’analyse confirmera peut-être cette hypothèse, mais on a là une métadivision historique entre Brexiters et européanistes, qui pourrait bien englober et recouper toutes les autres. En cela, elle offre une grille d’analyse privilégiée.
Le Brexit comme désaffiliation
Ce vote redéfinit également les vieilles divisions et polarités politiques. Ainsi, on peut observer un très fort découplage du vote de la base par rapport aux consignes de vote et positions des leaders de partis politiques, ainsi que nombre de tendances contre-intuitives.
Par exemple, beaucoup prédisaient que la City, modèle de mondialisation heureuse, de multiculturalisme, d’immigration réussie et de cosmopolitanisme, allait voter pour le maintien à plus de 90 %, voire 100 %. Or c’est une majorité relativement courte (60 %) de Londoniens qui se sont prononcés pour le maintien, alors que le camp des Leavers atteint 40 %.
De même, de nombreux travaillistes et membres du Labour Party semblent ne pas avoir tenu compte des consignes de vote pour le « in » (consignes certes peu enthousiastes) de leur leader Jeremy Corbyn.
On aurait également pu penser que les minorités pakistanaises, bangladaises ou indiennes issues de l’immigration des ex-colonies auraient fait partie des plus fervents supporters d’une UE associée à la libre circulation des personnes par opposition aux Brexiters anti-immigration. Or, pendant la campagne, elles sont souvent apparues comme étant largement anti-EU, s’estimant désavantagées par rapport aux nouveaux immigrés du bloc de l’Est, Polonais (le syndrome du plombier les affecte elles aussi !), Roumains ou Lettons.
Ce vote historique brouille donc les pistes, réserve de nombreuses surprises et rend l’analyse ardue.
Par exemple, beaucoup prédisaient que la City, modèle de mondialisation heureuse, de multiculturalisme, d’immigration réussie et de cosmopolitanisme, allait voter pour le maintien à plus de 90 %, voire 100 %. Or c’est une majorité relativement courte (60 %) de Londoniens qui se sont prononcés pour le maintien, alors que le camp des Leavers atteint 40 %.
De même, de nombreux travaillistes et membres du Labour Party semblent ne pas avoir tenu compte des consignes de vote pour le « in » (consignes certes peu enthousiastes) de leur leader Jeremy Corbyn.
On aurait également pu penser que les minorités pakistanaises, bangladaises ou indiennes issues de l’immigration des ex-colonies auraient fait partie des plus fervents supporters d’une UE associée à la libre circulation des personnes par opposition aux Brexiters anti-immigration. Or, pendant la campagne, elles sont souvent apparues comme étant largement anti-EU, s’estimant désavantagées par rapport aux nouveaux immigrés du bloc de l’Est, Polonais (le syndrome du plombier les affecte elles aussi !), Roumains ou Lettons.
Ce vote historique brouille donc les pistes, réserve de nombreuses surprises et rend l’analyse ardue.
Le sens du Brexit
De la part de médias et de gouvernements qui étaient tous largement et souvent désespérément en faveur du maintien, attendons-nous maintenant à toutes les intox, les mensonges et les demi-vérités (dans le meilleur des cas) sur le sens de ce vote. Maintenant qu’ils ont perdu, ils tenteront par dépit de dégrader et trivialiser le choix de la majorité de nos compatriotes britanniques, comme ils le font d’ailleurs déjà en ce moment tant en France et en Angleterre qu’aux Etats-Unis, par exemple en présentant le Brexit comme une décision motivée par : 1. la stupidité, l’ignorance et l’irrationalité ; 2. le racisme, la xénophobie et l’islamophobie ; 3. de vils sentiments anti-immigration, la « peur des réfugiés syriens » et ce genre de clichés.
Or, si rejet de l’immigration il y a, il s’agit d’abord du refus d’une immigration incontrôlée et excessive, ce qui n’est pas la même chose, ensuite d’un rejet lié à la peur économique du déclassement via le dumping social (le pompier polonais), enfin d’un refus d’une immigration économique excessive en provenance du bloc de l’Est et non pas d’une islamophobie anti-musulmane comme on tente de le faire croire. Au mieux on expliquera le Brexit par « un sentiment d’aliénation » comme on le fait pour le vote FN.
Or, il est douteux que ces sentiments, qui certes existent et ont pu avoir une influence sur ce choix, soient ce qui a vraiment guidé le Brexit. Celui-ci se comprend bien mieux comme étant :
1. un rejet non pas de l’Europe mais de la machine technocratique bruxelloise et de ses bureaucrates non élus. Un refus de ce « monstre froid », distant, à la fois indifférent aux peuples (leurs besoins, leur volonté) et tyrannique jusqu’au sadisme s’ils osent lui résister (voir le cas de la Grèce) ;
2. un acte de souveraineté nationale dans ce qu’elle a de meilleur, l’affirmation authentique d’une volonté d’indépendance et donc de liberté collective, une réappropriation de sa nation que l’on extirpe d’une institution et d’une construction transnationale (l’UE), dont on considère qu’elle n’a plus rien de bon à offrir que du mauvais.
En somme, le Brexit est un divorce qui suivrait des années de mauvais mariage, où l’une des deux parties n’aurait plus grand-chose de bon à attendre de l’autre. Rien d’irrationnel, d’arriéré ni de haineux à cela.
****
Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreux articles sur la France contemporaine et la culture française.
Or, si rejet de l’immigration il y a, il s’agit d’abord du refus d’une immigration incontrôlée et excessive, ce qui n’est pas la même chose, ensuite d’un rejet lié à la peur économique du déclassement via le dumping social (le pompier polonais), enfin d’un refus d’une immigration économique excessive en provenance du bloc de l’Est et non pas d’une islamophobie anti-musulmane comme on tente de le faire croire. Au mieux on expliquera le Brexit par « un sentiment d’aliénation » comme on le fait pour le vote FN.
Or, il est douteux que ces sentiments, qui certes existent et ont pu avoir une influence sur ce choix, soient ce qui a vraiment guidé le Brexit. Celui-ci se comprend bien mieux comme étant :
1. un rejet non pas de l’Europe mais de la machine technocratique bruxelloise et de ses bureaucrates non élus. Un refus de ce « monstre froid », distant, à la fois indifférent aux peuples (leurs besoins, leur volonté) et tyrannique jusqu’au sadisme s’ils osent lui résister (voir le cas de la Grèce) ;
2. un acte de souveraineté nationale dans ce qu’elle a de meilleur, l’affirmation authentique d’une volonté d’indépendance et donc de liberté collective, une réappropriation de sa nation que l’on extirpe d’une institution et d’une construction transnationale (l’UE), dont on considère qu’elle n’a plus rien de bon à offrir que du mauvais.
En somme, le Brexit est un divorce qui suivrait des années de mauvais mariage, où l’une des deux parties n’aurait plus grand-chose de bon à attendre de l’autre. Rien d’irrationnel, d’arriéré ni de haineux à cela.
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Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreux articles sur la France contemporaine et la culture française.
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