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Société

' C’est un des rares départements où le désengagement de l’Etat a été flagrant '

Entretien avec Yamina Benguigui, réalisatrice du documentaire ' 9/3 Mémoire d'un territoire '

Rédigé par Anissa Ammoura | Lundi 29 Septembre 2008 à 08:10

           

Le film documentaire réalisé par Yamina Benguigui, " 9/3 Mémoire d'un territoire " tente de comprendre pourquoi la Seine-Saint-Denis d’aujourd’hui est considérée comme " le sismographe de toutes les tensions sociales du pays ". De 1850 à 2005, Historiens, habitants, architectes, élus retracent l'histoire d'un territoire français de seconde zone. La cinéaste française d'origine algérienne revient pour Saphirnews sur son projet. D'abord diffusé sur Canal+*, ce documentaire sortira au cinéma avant la fin de l'année 2008.



' C’est un des rares départements où le désengagement de l’Etat a été flagrant '

Saphirnews : Quand a démarré le chantier de ce documentaire ?

Yamina Benguigui : L’idée de ce chantier a germé lors des émeutes de novembre 2005, après la projection de mon film, « Le plafond de verre », dans un cinéma du quartier latin [à Paris, ndlr], des CRS ont chargé à l’intérieur même de la salle… J’ai entendu un cri « Tahya le 93 ! » qui signifie « Que vive le 93 »…C’était le cri d’appartenance à une terre qui jaillissait au cœur des revendications et des émeutes.

C’est à ce moment-là que j’ai pensé à faire un documentaire, à travailler sur le temps et la mémoire de ce territoire pour comprendre un message qui restait brouillé aux yeux de toute la société.
Dés la fin de l’année 2005, nous avons commencé une longue préparation pour organiser des rencontres avec des historiens, des architectes, des sociologues, des habitants du territoire, presque trois ans dont un tournage sur une année, et au bout, plus de 155 heures de rushes.

Comment s'est fait le choix des habitants de la Seine-Saint-Denis?

Y.B. : Il s’est fait en fonction de la chronologie de l’histoire des populations, des différentes strates d’immigration, depuis les années 1860, d’origine parisienne, provinciale, européenne, puis des anciennes colonies, qui y ont été reléguées, et qui avaient en commun leur pauvreté et leur force de travail.

Quelle image aviez-vous du 93 avant de réaliser le film ?

Y.B. : Pour avoir traversé le 93 pendant des années en projetant mes films et en organisant des centaines de débats, en allant à la rencontre des habitants du département, j’ai pu entendre leur souffrance, j’ai pu la voir. Mais sans en comprendre les raisons. C’était comme ça… Après avoir fait ce film, l’image que j’ai de ce territoire, c’est qu’il a été massacré, abîmé, pollué, mais qu’il doit aujourd’hui être respecté, honoré, car il a été sacrifié sur l’autel du progrès, en devenant, dès 1870, le premier pôle industriel d’Europe.

Le discours des architectes dans les années 60, les terrains pollués, les villes où il n'y a même pas un « centre aéré », le film ne manque pas de détails saisissants, qu'est-ce qui vous a le plus marqué ?

Y.B. : Ce qui m’a le plus marqué, c’est de constater à quel point on a pu faire converger sur ce territoire tous les maux d’une société, depuis l’épopée industrielle et les cadences infernales, les populations décimées, le mal logement, une urbanisation sauvage à moindre coût, 28 grands ensembles en Seine-Saint Denis sur les 36 construits en banlieue parisienne, la relégation organisée des populations les plus pauvres, y compris celles venues avec la décolonisation.
On a créé de toutes pièces, depuis 1870, un ghetto social, pour les plus pauvres, qui est devenu un ghetto racial... Noirs et Maghrébins pauvres ont succédé aujourd’hui aux Bretons, aux Belges, et aux Espagnols pauvres d’hier…C’est un des rares départements où le désengagement de l’Etat a été flagrant.

Avez-vous abandonné certaines pistes en cours de route ?

Y.B. : J’ai volontairement abandonné tous les poncifs dont les médias font leurs « unes », la délinquance, la drogue, la violence… Je n’ai pas voulu les aborder frontalement, j’ai préféré qu’elles soient en filigrane, tout le long du film, que l’on comprenne leur omniprésence de manière plus subtile que les caricatures que l’on en fait.

Qui dit histoire d’un territoire, dit identité, finalement, quel est le dénominateur commun de tous les témoins du film ?

Y.B. : L’identité au territoire, c’est la mémoire commune d’un peuple en marche, depuis les années 1860, un peuple de héros obscurs des Temps modernes, et des vagues successives de générations qui se sont passés le flambeau, pour que la flamme de l’essor industriel ne s’éteigne jamais.

Le documentaire passe pour l'instant uniquement sur Canal+, sera t-il projeté ailleurs ?

Y.B. : Le film sortira en salle dans deux mois. J’irai le présenter dans toutes les villes du 93 pour que chaque habitant puisse de réapproprier son histoire, restaurer son identité et sa dignité. Il est déjà programmé pour les États-Unis, et pour quelques villes d’Europe.



* Diffusion ce lundi 29 septembre sur canal + à 20h50.

En savoir plus : 9/3 Mémoire d'un territoire




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