Il arrive parfois que nous soyons otages de nos propres illusions. L’immensité du désert et du ciel qui le couvre donne, en effet, l’impression d’être sur un espace infini, sans limites ni contours, et offre ainsi une sensation de liberté.
Lucide est celui qui réalise qu’au fond il est paradoxalement prisonnier de son étendue…
Lucide est celui qui réalise qu’au fond il est paradoxalement prisonnier de son étendue…
L’ignorance, une terre fertile
Le pouvoir s’abreuve dans l’ignorance. C’est, au fond, ce que m’inspire l’état actuel de notre société. Les politiciens, en d’autres termes, se nourrissent essentiellement de la pauvreté intellectuelle du peuple. Il s’agit, à ce titre, d’entendre par ignorance non pas le manque de savoir, car son opposé n’a jamais été la connaissance d’autant qu’elle ne manque pas à l’ère de la communication, mais l’intelligence. Et celle-ci se mesure non pas à la quantité d’instructions cumulées, mais à la capacité de comprendre le complexe (Comte-Sponville), d’interroger un fait, une idée, de critiquer – au sens kantien du terme – une pensée, un système.
En ce sens, il existe autant d’illettrés capables de discernement que d’érudits faisant preuve d’ignorance ou, à tout le moins, de médiocrité intellectuelle. Les médias regorgent de cette dernière catégorie.
L’ignorance, donc, par définition, est l’absence d’esprit critique. Et les seigneurs de ce monde ont tout intérêt à enseigner l’ignorance (Michéa), parce qu’elle est une garantie, un système de sécurité protégeant leurs intérêts. Et tous les soins sont bons pour conserver sa pureté : téléréalités, mode, loisirs etc. Des somnifères, autrement dit, administrés à la masse pour assoupir l’intelligence critique.
Le soulèvement intellectuel devient, de ce fait, plus qu’une nécessité, c’est un impératif moral. Il s’agit de franchir les frontières du conditionnement dans lequel le peuple a été cloisonné, de soumettre à l’examen critique notre société et, plus particulièrement, sa configuration politique. On est, ici, tenté d’emprunter la démarche de Kant (la critique), davantage que la méthode de Descartes (le doute). Parce qu’il s’agit de révolution bien plus que de réforme.
En ce sens, il existe autant d’illettrés capables de discernement que d’érudits faisant preuve d’ignorance ou, à tout le moins, de médiocrité intellectuelle. Les médias regorgent de cette dernière catégorie.
L’ignorance, donc, par définition, est l’absence d’esprit critique. Et les seigneurs de ce monde ont tout intérêt à enseigner l’ignorance (Michéa), parce qu’elle est une garantie, un système de sécurité protégeant leurs intérêts. Et tous les soins sont bons pour conserver sa pureté : téléréalités, mode, loisirs etc. Des somnifères, autrement dit, administrés à la masse pour assoupir l’intelligence critique.
Le soulèvement intellectuel devient, de ce fait, plus qu’une nécessité, c’est un impératif moral. Il s’agit de franchir les frontières du conditionnement dans lequel le peuple a été cloisonné, de soumettre à l’examen critique notre société et, plus particulièrement, sa configuration politique. On est, ici, tenté d’emprunter la démarche de Kant (la critique), davantage que la méthode de Descartes (le doute). Parce qu’il s’agit de révolution bien plus que de réforme.
La révolte
Les mots déterminent le poids d’une réflexion, c’est en quoi il importe de les peser préalablement, pour éviter toute confusion de l’esprit à l’heure des ambiguïtés terminologiques les plus déroutantes.
En effet, il est actuellement difficile de parler de révolution indépendamment des soulèvements arabes. Ainsi, nous restons prisonniers de cet aspect de la révolution en marche dans les pays du Sud, comme s’il n’y avait qu’une seule façon de se soulever. Nous entendons, cela dit, par révolution l’accomplissement d’une mutation, ou d’une transformation, d’un système politique dont le mécanisme diffère d’un pays à un autre.
Dans notre contexte bien particulier, c’est au niveau intellectuel, sur la place de la raison, que doit, me semble-t-il, se cristalliser la révolte (ici la révolte est un moyen qui a pour finalité la révolution). Parce qu’il s’agit, dans un premier temps, de s’affranchir des paradigmes qui déterminent nos systèmes de pensée et nos modes opératoires. C’est précisément là que le changement prend ses racines. Penser la transition dans le cadre de l’appareil théorique de notre société ou, plus précisément, selon sa « matrice disciplinaire », conduira notre action droit vers une impasse.
Il faut donc, dans cette entreprise critique, poser les questions en amont. En effet, plutôt que de s’interroger systématiquement sur le fait de voter à gauche ou à droite, se demander, au préalable, si ce vieux clivage a encore un sens ?
Existe-t-il une réelle distinction de fond entre ces deux mouvances politiques ? Les faits ne semblent pas répondre par l’affirmative. D’autant que la gauche actuelle apparaît surtout comme un simple régulateur de la droite. Une différence formelle, somme toute, plutôt que fondamentale.
Cela devrait donc nous inviter à nous libérer de cette grille de lecture binaire et, plus profondément, à repenser la configuration du système et des partis qui le composent. Cette bipolarisation politique doit ainsi être remise en cause et, surtout, dépassée.
Encore une fois, tenter de changer les choses, comme nous le faisons presque naïvement, dans les limites de cette dichotomie politique datant du XIXe siècle – particulièrement depuis l’affaire Dreyfus – est, nous semble-t-il, une voie sans issue, un combat contre des moulins à vent. Ce clivage doit désormais apparaître dans nos rétroviseurs.
En effet, il est actuellement difficile de parler de révolution indépendamment des soulèvements arabes. Ainsi, nous restons prisonniers de cet aspect de la révolution en marche dans les pays du Sud, comme s’il n’y avait qu’une seule façon de se soulever. Nous entendons, cela dit, par révolution l’accomplissement d’une mutation, ou d’une transformation, d’un système politique dont le mécanisme diffère d’un pays à un autre.
Dans notre contexte bien particulier, c’est au niveau intellectuel, sur la place de la raison, que doit, me semble-t-il, se cristalliser la révolte (ici la révolte est un moyen qui a pour finalité la révolution). Parce qu’il s’agit, dans un premier temps, de s’affranchir des paradigmes qui déterminent nos systèmes de pensée et nos modes opératoires. C’est précisément là que le changement prend ses racines. Penser la transition dans le cadre de l’appareil théorique de notre société ou, plus précisément, selon sa « matrice disciplinaire », conduira notre action droit vers une impasse.
Il faut donc, dans cette entreprise critique, poser les questions en amont. En effet, plutôt que de s’interroger systématiquement sur le fait de voter à gauche ou à droite, se demander, au préalable, si ce vieux clivage a encore un sens ?
Existe-t-il une réelle distinction de fond entre ces deux mouvances politiques ? Les faits ne semblent pas répondre par l’affirmative. D’autant que la gauche actuelle apparaît surtout comme un simple régulateur de la droite. Une différence formelle, somme toute, plutôt que fondamentale.
Cela devrait donc nous inviter à nous libérer de cette grille de lecture binaire et, plus profondément, à repenser la configuration du système et des partis qui le composent. Cette bipolarisation politique doit ainsi être remise en cause et, surtout, dépassée.
Encore une fois, tenter de changer les choses, comme nous le faisons presque naïvement, dans les limites de cette dichotomie politique datant du XIXe siècle – particulièrement depuis l’affaire Dreyfus – est, nous semble-t-il, une voie sans issue, un combat contre des moulins à vent. Ce clivage doit désormais apparaître dans nos rétroviseurs.
Voter : la panacée ?
Cela nous amène à une autre interrogation dont la réponse – qui n’a rien d’originale bien que singulière – risque de heurter la sensibilité politique et intellectuelle de certains de nos concitoyens. La question du vote en tant que tel.
Le vote – blanc y compris, bien entendu – a-t-il encore un sens dans l’actuelle société si, entre autres motifs, l’on consent que la bipolarité du système ne soit plus effective dans le fond ? On nous a toujours incités à nous rendre aux urnes, parce que, dit-on, c’est un devoir de citoyen.
N’est-ce pas, encore une fois, un engagement, voire un militantisme prisonnier des paradigmes conditionnant notre société ? On risque ainsi de sombrer dans une schizophrénie aggravée, en donnant notre voix, même pour éviter le pire, à un parti qu’on finit toujours par fustiger. La véritable question, comme l’avait très justement soulevée Yamin Makri lors des dernières échéances électorales, n’est donc pas de savoir pour qui voter, mais pourquoi ?
Les actions de sensibilisation au vote n’ont aucune pertinence si, en amont, il n’y a pas eu de véritable campagne de réflexion, de critique et d’autocritique au sein du peuple. Voter dans l’ignorance ou en pensant par procuration n’a jamais été un choix libre. Surtout lorsque les termes et le ton du débat n’ont pas été posés, mais imposés. D’ailleurs, faut-il encore parler de « démocratie » quand le pouvoir de l’illusion a remplacé celui du peuple ?
Sortir de nos paradigmes, c’est renverser le sens de nos interrogations : la question « est-ce pertinent de voter ? » devrait ainsi précéder l’éternelle énigme « voter pour qui ? ». A quoi sert, en effet, mon vote lorsque je suis, par exemple, convaincu qu’aucun des candidats, une fois élu, aura le pouvoir de prendre des décisions, qu’au cœur du capitalisme barbare, c’est la puissance économique qui dicte au pouvoir politique les règles du jeu ? Il est difficile de se positionner sur l’échiquier politique quand on est convaincu du caractère oligarchique du système. Il faut se désillusionner. Premier jalon sur le chemin de la révolution.
Plus encore, j’en conclus, avec toute la passion que cela peut susciter, que voter, actuellement, c’est cautionner la faillite du système, c’est lui accorder davantage de crédit, voire de crédibilité. Je crains que le débat soit passionné du fait de la sensibilité du sujet. Il est difficile d’accepter le changement quand il faut reconnaître les illusions les plus ancrées dans nos esprits. En effet, quand on soulève ce genre d’interrogation, c’est essentiellement sur le chantier des émotions que se mène le débat plutôt que devant « le tribunal de la raison ». Parce qu’on est, sans réellement savoir en quoi, pleinement convaincu que le « vote est une arme » qui donnerait au peuple le pouvoir de changer les choses.
Mais, aujourd’hui, du fait du déclin de notre « démocratie », on peut être – devrait-être ? – cette fois-ci convaincu du contraire. Puis, au fond, ne pas voter pour des motifs pertinents est un vote ; c’est faire le choix d’une autre société. C’est, en d’autres termes, une abstention engagée.
Difficile à admettre parce que cela reviendrait à creuser au plus profond de notre intelligence pour déraciner les mauvaises plantes qui nuisent à l’écologie de la réflexion et du changement. Dure entreprise qui requiert de la volonté et, surtout, beaucoup d’humilité…
* Sofiane Meziani est enseignant et auteur.
Le vote – blanc y compris, bien entendu – a-t-il encore un sens dans l’actuelle société si, entre autres motifs, l’on consent que la bipolarité du système ne soit plus effective dans le fond ? On nous a toujours incités à nous rendre aux urnes, parce que, dit-on, c’est un devoir de citoyen.
N’est-ce pas, encore une fois, un engagement, voire un militantisme prisonnier des paradigmes conditionnant notre société ? On risque ainsi de sombrer dans une schizophrénie aggravée, en donnant notre voix, même pour éviter le pire, à un parti qu’on finit toujours par fustiger. La véritable question, comme l’avait très justement soulevée Yamin Makri lors des dernières échéances électorales, n’est donc pas de savoir pour qui voter, mais pourquoi ?
Les actions de sensibilisation au vote n’ont aucune pertinence si, en amont, il n’y a pas eu de véritable campagne de réflexion, de critique et d’autocritique au sein du peuple. Voter dans l’ignorance ou en pensant par procuration n’a jamais été un choix libre. Surtout lorsque les termes et le ton du débat n’ont pas été posés, mais imposés. D’ailleurs, faut-il encore parler de « démocratie » quand le pouvoir de l’illusion a remplacé celui du peuple ?
Sortir de nos paradigmes, c’est renverser le sens de nos interrogations : la question « est-ce pertinent de voter ? » devrait ainsi précéder l’éternelle énigme « voter pour qui ? ». A quoi sert, en effet, mon vote lorsque je suis, par exemple, convaincu qu’aucun des candidats, une fois élu, aura le pouvoir de prendre des décisions, qu’au cœur du capitalisme barbare, c’est la puissance économique qui dicte au pouvoir politique les règles du jeu ? Il est difficile de se positionner sur l’échiquier politique quand on est convaincu du caractère oligarchique du système. Il faut se désillusionner. Premier jalon sur le chemin de la révolution.
Plus encore, j’en conclus, avec toute la passion que cela peut susciter, que voter, actuellement, c’est cautionner la faillite du système, c’est lui accorder davantage de crédit, voire de crédibilité. Je crains que le débat soit passionné du fait de la sensibilité du sujet. Il est difficile d’accepter le changement quand il faut reconnaître les illusions les plus ancrées dans nos esprits. En effet, quand on soulève ce genre d’interrogation, c’est essentiellement sur le chantier des émotions que se mène le débat plutôt que devant « le tribunal de la raison ». Parce qu’on est, sans réellement savoir en quoi, pleinement convaincu que le « vote est une arme » qui donnerait au peuple le pouvoir de changer les choses.
Mais, aujourd’hui, du fait du déclin de notre « démocratie », on peut être – devrait-être ? – cette fois-ci convaincu du contraire. Puis, au fond, ne pas voter pour des motifs pertinents est un vote ; c’est faire le choix d’une autre société. C’est, en d’autres termes, une abstention engagée.
Difficile à admettre parce que cela reviendrait à creuser au plus profond de notre intelligence pour déraciner les mauvaises plantes qui nuisent à l’écologie de la réflexion et du changement. Dure entreprise qui requiert de la volonté et, surtout, beaucoup d’humilité…
* Sofiane Meziani est enseignant et auteur.