Dans le cadre d’une quête spirituelle, certaines personnes sont conduites à approfondir leur foi de naissance, mais d’autres n’y trouvent pas les réponses et se tournent vers d’autres messages religieux. Un nouveau livre présente vingt portraits de convertis, qui ont choisi le christianisme, l’islam, le judaïsme, le bouddhisme...
Les conversions religieuses sont de toutes les époques. Mais sans doute l’environnement des sociétés occidentales contemporaines est-il favorable à une variété accrue de conversions. Ces parcours sont passionnants, car une conversion met en jeu tant de choses. Rien d’étonnant si cela a intrigué la journaliste Béatrice Guelpa. Elle vient de publier un ouvrage intitulé D’une foi à l’autre : portraits de convertis. Un titre qui rappelle le livre plus ancien de Lisbeth Rocher et Fatima Cherqaoui, D’une foi l’autre : les conversions à l’islam en Occident (Paris, Seuil, 1986), qui se concentrait cependant, comme l’indique son titre, sur les conversions à une seule religion.
Ce livre n'est pas une étude des processus de conversion : journaliste, Béatrice Guelpa a choisi d'interroger vingt convertis (d’autres, pressentis, ont fini par renoncer), pour de mettre ensuite en forme et en scène ces récits. L'ouvrage propose donc des tranches de vie, sous une forme très lisible. Si l’on souhaite compléter ensuite par des analyses et recherches universitaires sur les phénomènes de conversion, il faut lire un utile ouvrage collectif paru deux ans plus tôt chez le même éditeur, sous la direction de Pierre-Yves Brandt et Claude-Alexandre Fournier : La Conversion religieuse : analyses psychologiques, anthropologiques et sociologiques (Genève, Labor et Fides, 2009).
Béatrice Guelpa n’a pas choisi particulièrement des figures connues. Et comme il ne s'agit pas de mettre l'accent sur les conversions à une religion particulière, le livre présente l’intérêt de placer à côte à côte des choix qui entraînent leurs acteurs dans des directions parfois opposées : musulmans qui se convertissent au christianisme ou chrétiens qui embrassent l'islam, par exemple.
Sans oublier la « conversion » à l'athéisme : le croyant qui abandonne la foi — tout en continuant parfois à mettre, d'une autre façon, la religion au centre de ses préoccupations —, est aussi une face des démarches de conversion et Béatrice Guelpa a eu raison d'inclure ainsi le portrait de René Cruse, un homme plein d’énergie protestataire, qui se définit comme « hérétique », mais fut pasteur pendant vingt-cinq ans : « J’ai choisi de ne plus croire en Dieu » (p. 87).
Originale aussi, l’idée de donner la parole à un homme, Jean-Bernard Lang, qui s’est converti du protestantisme au catholicisme à près de 50 ans et, sans renier sa démarche, admet qu’il ne la referait plus, se situant désormais « sur la crête » : « Si c’était à refaire, je ne changerais pas. Il me semble que les conversions comportent plus d’éléments humains que divins. Ce sont des constructions de la pensée humaine, le rôle de la tradition et de l’habitude est puissant » (p. 228). Une conversion se produit à un moment de l’existence, et ce moment passé, il n’est plus sûr que le grand saut soit toujours possible. Sans oublier le souvenir, voire la nostalgie, d’expériences précédentes, peut-être celles de l’enfance.
A l’inverse, de petits faits marquants de l’enfance peuvent avoir semé déjà les graines de la future conversion (et que de lectures ou expériences d’enfance, d’ailleurs, ont aussi déterminé des vocations professionnelles, par exemple !). Patrick Balland, pasteur protestant converti au catholicisme évoque ainsi avec nostalgie de l'atmosphère de messes auxquelles il avait assisté dans son enfance, dans un village où il n’y avait pas de lieu de culte réformé : « Un souvenir marquant pour l’enfant qui conserve son livre de messe de l’époque comme un relique et parle avec des étoiles dans les yeux de la manière dont le curé célèbre l’eucharistie. [Par la suite, il] regrette l’encens et les bougies des catholique » (p. 78). Un protestant genevois devenu juif accordait une importance particulière à un porte-document surmonté d’une menorah (chandelier à sept branches) surmontée de l’étoile de David, reçue en cadeau de ses grands-parents à l'âge de 6 ans : « Ils m’avaient ramené ce souvenir d’un voyage en Israël. Je ne savais pas ce que cela représentait, eux non plus. L’objet était en bronze, mais pour moi, c’était le plus précieux que je possédais » (p. 56).
Parmi les vingt convertis de Béatrice Guelpa, plusieurs avaient une appartenance et pratique religieuse : ils étaient des croyants (plus ou moins fervents) qui ont fini pas adhérer à d'autres convictions. Même si la quête de sens est toujours présente, leur démarche n’est pas tout à fait la même que pour ceux qui n’avaient pas de croyance religieuse. Tel est, par exemple, le cas médiatisé de Claude Covassi, qui a « joué » au converti à l'islam en s'introduisant dans un centre islamique comme informateur de services de police et de renseignement — pour se retrouver progressivement « avalé par l’islam » (p. 38) et trouver dans celui-ci un sens à sa vie.
Les conversions religieuses sont de toutes les époques. Mais sans doute l’environnement des sociétés occidentales contemporaines est-il favorable à une variété accrue de conversions. Ces parcours sont passionnants, car une conversion met en jeu tant de choses. Rien d’étonnant si cela a intrigué la journaliste Béatrice Guelpa. Elle vient de publier un ouvrage intitulé D’une foi à l’autre : portraits de convertis. Un titre qui rappelle le livre plus ancien de Lisbeth Rocher et Fatima Cherqaoui, D’une foi l’autre : les conversions à l’islam en Occident (Paris, Seuil, 1986), qui se concentrait cependant, comme l’indique son titre, sur les conversions à une seule religion.
Ce livre n'est pas une étude des processus de conversion : journaliste, Béatrice Guelpa a choisi d'interroger vingt convertis (d’autres, pressentis, ont fini par renoncer), pour de mettre ensuite en forme et en scène ces récits. L'ouvrage propose donc des tranches de vie, sous une forme très lisible. Si l’on souhaite compléter ensuite par des analyses et recherches universitaires sur les phénomènes de conversion, il faut lire un utile ouvrage collectif paru deux ans plus tôt chez le même éditeur, sous la direction de Pierre-Yves Brandt et Claude-Alexandre Fournier : La Conversion religieuse : analyses psychologiques, anthropologiques et sociologiques (Genève, Labor et Fides, 2009).
Béatrice Guelpa n’a pas choisi particulièrement des figures connues. Et comme il ne s'agit pas de mettre l'accent sur les conversions à une religion particulière, le livre présente l’intérêt de placer à côte à côte des choix qui entraînent leurs acteurs dans des directions parfois opposées : musulmans qui se convertissent au christianisme ou chrétiens qui embrassent l'islam, par exemple.
Sans oublier la « conversion » à l'athéisme : le croyant qui abandonne la foi — tout en continuant parfois à mettre, d'une autre façon, la religion au centre de ses préoccupations —, est aussi une face des démarches de conversion et Béatrice Guelpa a eu raison d'inclure ainsi le portrait de René Cruse, un homme plein d’énergie protestataire, qui se définit comme « hérétique », mais fut pasteur pendant vingt-cinq ans : « J’ai choisi de ne plus croire en Dieu » (p. 87).
Originale aussi, l’idée de donner la parole à un homme, Jean-Bernard Lang, qui s’est converti du protestantisme au catholicisme à près de 50 ans et, sans renier sa démarche, admet qu’il ne la referait plus, se situant désormais « sur la crête » : « Si c’était à refaire, je ne changerais pas. Il me semble que les conversions comportent plus d’éléments humains que divins. Ce sont des constructions de la pensée humaine, le rôle de la tradition et de l’habitude est puissant » (p. 228). Une conversion se produit à un moment de l’existence, et ce moment passé, il n’est plus sûr que le grand saut soit toujours possible. Sans oublier le souvenir, voire la nostalgie, d’expériences précédentes, peut-être celles de l’enfance.
A l’inverse, de petits faits marquants de l’enfance peuvent avoir semé déjà les graines de la future conversion (et que de lectures ou expériences d’enfance, d’ailleurs, ont aussi déterminé des vocations professionnelles, par exemple !). Patrick Balland, pasteur protestant converti au catholicisme évoque ainsi avec nostalgie de l'atmosphère de messes auxquelles il avait assisté dans son enfance, dans un village où il n’y avait pas de lieu de culte réformé : « Un souvenir marquant pour l’enfant qui conserve son livre de messe de l’époque comme un relique et parle avec des étoiles dans les yeux de la manière dont le curé célèbre l’eucharistie. [Par la suite, il] regrette l’encens et les bougies des catholique » (p. 78). Un protestant genevois devenu juif accordait une importance particulière à un porte-document surmonté d’une menorah (chandelier à sept branches) surmontée de l’étoile de David, reçue en cadeau de ses grands-parents à l'âge de 6 ans : « Ils m’avaient ramené ce souvenir d’un voyage en Israël. Je ne savais pas ce que cela représentait, eux non plus. L’objet était en bronze, mais pour moi, c’était le plus précieux que je possédais » (p. 56).
Parmi les vingt convertis de Béatrice Guelpa, plusieurs avaient une appartenance et pratique religieuse : ils étaient des croyants (plus ou moins fervents) qui ont fini pas adhérer à d'autres convictions. Même si la quête de sens est toujours présente, leur démarche n’est pas tout à fait la même que pour ceux qui n’avaient pas de croyance religieuse. Tel est, par exemple, le cas médiatisé de Claude Covassi, qui a « joué » au converti à l'islam en s'introduisant dans un centre islamique comme informateur de services de police et de renseignement — pour se retrouver progressivement « avalé par l’islam » (p. 38) et trouver dans celui-ci un sens à sa vie.
Une expérience intérieure, parfois doublée de rupture familiale
Nous rencontrons également des figures de chercheurs spirituels, que leur soif de sens et de spiritualité conduit à s'approcher de différentes traditions religieuses, sur le mode d'une succession d'expériences, avant de se fixer... ou pas !
C’est le cas d’Olivier Zappelli, joliment décrit comme « globe-trotter de l’âme », dont le fil rouge est l’art (il est peintre), à travers des expériences qui le conduisent dans un monastère catholique, du côté du vaudou haïtien, dans l’univers de l’hindouisme où il devient sadhou (ascète), avant de redécouvrir le catholicisme lors d’un second voyage en Inde, devenant un pratiquant régulier pendant cinq ans, puis s'éloignant à nouveau du christianisme... Jouant « une partie de cache-cache avec Dieu » depuis plus de vingt ans, la quêe n’est sans doute pas finie : mais, « avec les années, je me rends compte du côté relatif de toutes ces traditions » (p. 118).
Il prend soin de préciser à Béatrice Guelpa que « la foi ne se résume pas à une course aux émotions fortes » (p. 117). Gardons en effet à l’esprit qu'il existe aussi des gens pour lesquels la succession des expériences finit par devenir un mode de vie spirituelle, évacuant d’emblée l'objecif d'un enracinement stable : mais ce ne sont plus là des conversions, bien sûr, même si ce profil n’est pas rare aujourd’hui, dans le sens de croyances à la carte en constant réaménagement.
Parmi les vingt convertis, il y a ceux qui souhaitent garder à leur démarche un caractère privé ; chez d'autres, au contraire, la conversion se transforme en témoignage public, parfois missionnaire, comme ces musulmans convertis au christianisme qui en font un argument de prédication. Il est vrai que, pour toute religion missionnaire, pouvoir présenter un converti peut apparaître comme une démonstration de plus de la valeur du message proposé, également à « usage interne », pour les fidèles. Moussa Koné, fils d’imam devenu chrétien, devant un auditoire, « raconte son histoire en ménageant habilement le suspense » (p. 96). Saïd Oujibou a fait de sa conversion au christianisme un spectacle, un one-man-show « pour souder la communauté et évangéliser » (p. 67).
Mais il y a aussi ceux qui, à l'instar de l’Iranien Tari, n'osent tout simplement pas avouer à leurs parents le choix qu'ils ont fait : « Je ne repousse pas ce moment de gaieté de cœur. Nous sommes une famille très unie, mais je ne peux pas être sûr de leur réaction » (p. 136). Ce n’est pas seulement le cas de musulmans convertis au christianisme : Jérôme, protestant devenu orthodoxe, n’a pas osé en parler à ses parents, pensant que sa mère ne comprendrait pas. « Il préfère éviter les explications compliquées et les querelles familiales » (p. 173). Il est vrai qu’il n’est pas toujours simple de rendre compte d’une expérience intérieure, ni n'est grande l’envie de devoir la transformer en argumentation.
Et les cas de rupture familiale existent aussi : le livre inclut des récits douloureux, comme celui de cette femme d'origine juive avec laquelle ses parents ont coupé toute relation à la suite de sa conversion à l'islam : « Ils ne veulent pas comprendre ce que représente l’islam pour moi » (p. 147). Et d’ajouter : « Même si je suis heureuse d’être ce que je suis aujourd’hui, j’ai tout brisé... les liens avec ma famille, mon pays que je ne vois plus... » (p. 157). En lisant ce portrait, revient en mémoire le titre du récit d’un itinéraire en sens inverse (sortie de l’islam), très lu depuis quelque temps dans des milieux catholiques francophones : Le Prix à payer (Paris, Ed. de l’Œuvre, 2010), dans lequel Joseph Fadelle raconte tout ce qu’il lui a fallu subir (dont l’emprisonnement et la torture, la rupture avec sa famille et finalement l’exil) pour réussir à devenir chrétien. Même sous des formes moins dramatiques, une conversion peut impliquer des sacrifices importants.
C’est le cas d’Olivier Zappelli, joliment décrit comme « globe-trotter de l’âme », dont le fil rouge est l’art (il est peintre), à travers des expériences qui le conduisent dans un monastère catholique, du côté du vaudou haïtien, dans l’univers de l’hindouisme où il devient sadhou (ascète), avant de redécouvrir le catholicisme lors d’un second voyage en Inde, devenant un pratiquant régulier pendant cinq ans, puis s'éloignant à nouveau du christianisme... Jouant « une partie de cache-cache avec Dieu » depuis plus de vingt ans, la quêe n’est sans doute pas finie : mais, « avec les années, je me rends compte du côté relatif de toutes ces traditions » (p. 118).
Il prend soin de préciser à Béatrice Guelpa que « la foi ne se résume pas à une course aux émotions fortes » (p. 117). Gardons en effet à l’esprit qu'il existe aussi des gens pour lesquels la succession des expériences finit par devenir un mode de vie spirituelle, évacuant d’emblée l'objecif d'un enracinement stable : mais ce ne sont plus là des conversions, bien sûr, même si ce profil n’est pas rare aujourd’hui, dans le sens de croyances à la carte en constant réaménagement.
Parmi les vingt convertis, il y a ceux qui souhaitent garder à leur démarche un caractère privé ; chez d'autres, au contraire, la conversion se transforme en témoignage public, parfois missionnaire, comme ces musulmans convertis au christianisme qui en font un argument de prédication. Il est vrai que, pour toute religion missionnaire, pouvoir présenter un converti peut apparaître comme une démonstration de plus de la valeur du message proposé, également à « usage interne », pour les fidèles. Moussa Koné, fils d’imam devenu chrétien, devant un auditoire, « raconte son histoire en ménageant habilement le suspense » (p. 96). Saïd Oujibou a fait de sa conversion au christianisme un spectacle, un one-man-show « pour souder la communauté et évangéliser » (p. 67).
Mais il y a aussi ceux qui, à l'instar de l’Iranien Tari, n'osent tout simplement pas avouer à leurs parents le choix qu'ils ont fait : « Je ne repousse pas ce moment de gaieté de cœur. Nous sommes une famille très unie, mais je ne peux pas être sûr de leur réaction » (p. 136). Ce n’est pas seulement le cas de musulmans convertis au christianisme : Jérôme, protestant devenu orthodoxe, n’a pas osé en parler à ses parents, pensant que sa mère ne comprendrait pas. « Il préfère éviter les explications compliquées et les querelles familiales » (p. 173). Il est vrai qu’il n’est pas toujours simple de rendre compte d’une expérience intérieure, ni n'est grande l’envie de devoir la transformer en argumentation.
Et les cas de rupture familiale existent aussi : le livre inclut des récits douloureux, comme celui de cette femme d'origine juive avec laquelle ses parents ont coupé toute relation à la suite de sa conversion à l'islam : « Ils ne veulent pas comprendre ce que représente l’islam pour moi » (p. 147). Et d’ajouter : « Même si je suis heureuse d’être ce que je suis aujourd’hui, j’ai tout brisé... les liens avec ma famille, mon pays que je ne vois plus... » (p. 157). En lisant ce portrait, revient en mémoire le titre du récit d’un itinéraire en sens inverse (sortie de l’islam), très lu depuis quelque temps dans des milieux catholiques francophones : Le Prix à payer (Paris, Ed. de l’Œuvre, 2010), dans lequel Joseph Fadelle raconte tout ce qu’il lui a fallu subir (dont l’emprisonnement et la torture, la rupture avec sa famille et finalement l’exil) pour réussir à devenir chrétien. Même sous des formes moins dramatiques, une conversion peut impliquer des sacrifices importants.
Un tournant décisif, plus ou moins bien accueilli par la communauté de foi d'origine et d'accueil
Adhérer avec enthousiasme à une communauté ne signifie pas automatiquement que l'on y sera reçu à bras ouverts. L’enthousiaste converti n’est pas toujours attendu avec impatience. A cet égard, les expériences recueillies par Béatrice Guelpa sont très variées. Mohamed Raymond Bélanger, sympathique et pittoresque retraité converti à l'islam, se souvient d'un accueil chaleureux, de fidèles de la mosquée qui venaient le féliciter avec des larmes dans les yeux, sans le connaître, après avoir été témoins de sa profession de foi.
Mais Rachel Babecoff, venue au judaïsme après avoir pourtant baigné pendant longtemps dans la communauté, raconte l'expérience déplaisante qu'a été l'interaction avec les rabbins chargés d'approuver ou non sa conversion. Certains convertis demeurent relativement isolés dans leur nouvelle communauté. Les incompréhensions ne viennent pas toujours seulement des anciens coreligionnaires...
Par coïncidence, au même moment que ce livre est paru un article de Jean-Marc Joubert (auteur de Journal d’un sinaïte : moine français au Monastère Sainte-Catherine, Paris, L’Harmattan, 2004) sur « La condition du converti orthodoxe », paru dans le n° 150 (I-2010/2011) de la revue Le Messager orthodoxe (ACER : 91, rue Olivier-de-Serres, 75015 Paris). Il y évoque ses premiers pas et sa joie, mais aussi (et ce n’est pas le seul converti à le faire) le hiatus parfois ressenti entre son identité et sa mentalité française, d’une part, et les milieux orthodoxes russe, grec, serbe ou roumain : il n’avait pas envie de changer d’identité et de mentalité, explique-t-il, « ou d’adopter, comme un certain nombre de convertis croient bon de le faire, beaucoup des usages et même des préjugés — à ce qu’il me semble — des peuples orthodoxes ».
Il ne faut pas sous-estimer, dans une conversion, ce que signifie le saut culturel, et cela ne vaut pas simplement pour des passages de chrétiens occidentaux à l’islam ou à des religions d’origine orientale : il peut tout aussi bien exister pour des transferts d’une confession chrétienne à une autre. Joubert raconte également comment les nouveaux convertis s’échauffaient les uns les autres, soupçonnant souvent de tiédeur ou de compromission les orthodoxes « de souche », et inclinant volontiers vers les formes les plus rigoristes : un phénomène classique chez plus d'un converti, qui ne joue pas toujours en leur faveur.
Sans oublier qu’il existe des conversions aux conséquences dramatiques, parce que le néophyte prend pour guide — sans le savoir — un maître spirituel abusif, indigne de confiance ou sans discernement. L’absolutisme du converti offre un terreau favorable, s’il est attiré par un discours qui lui offre d’appartenir au petit troupeau des élus, des croyants purs. Ce n’est pas ce genre de conversion qui a retenu l’attention de Guelpa (elle explique d’ailleurs avoir choisi de ne pas s’intéresser aux convertis les plus radicaux), mais les témoignages sur des itinéraires de ce genre existent : parmi les plus récents, signalons celui de Claire Vajou, Iô (Paris, Odile Jacob, 2010).
Celle-ci raconte, après un début de quête d’absolu en milieu catholique, sa rencontre avec un groupe orthodoxe appartenant au mouvement vieux-calendariste grec (dissident de l’Eglise orthodoxe grecque), puis son départ dans un monastère isolé sur une île grecque, où elle passe quinze ans, avant de s’en enfuir grâce à une véritable opération d’exfiltration évoquant plus un scénario d’espionnage que la vie monastique (mais la seule solution pour lui permettre de sortir d’un milieu de plus en plus dangereux). Alors que le père spirituel se révèle être un manipulateur et un pervers, et qu’elle en a conscience, elle livre des pages très intéressantes sur les balancements entre le désir de fuir et celui de rester fidèle envers et contre tout à son engagement. Cela dépasse la question des conversions, tout en rappelant les considérables enjeux que l’adhésion à une voie religieuse implique si l’on prend celle-ci au sérieux : cela peut devenir une véritable question de vie et de mort, bien loin d’un butinage spirituel soft.
Pour retourner aux convertis que présente Béatrice Guelpa, nous percevons deux types d’attitudes par rapport à la religion d’origine — avec toutes les nuances possibles entre les deux positions. Certains s’efforcent de voir dans leur démarche un développement harmonieux, une logique qui les conduit à leur nouvelle condition, sans vraiment renier leur précédente affiliation, tandis que d’autres éprouvent un fort rejet de leur religion d’origine : ainsi, Yamina, musulmane convertie au protestantisme, dont l’histoire est triste, ne rend pas sa famille responsable ce qu’elle a subi avant de pouvoir quitter le Maroc et de se faire baptiser, mais bien leur religion : « C’est de la faute de l’islam ! » (p. 144).
Dans plusieurs des récits recueillis par Béatrice Guelpa, il se produit à un moment un expérience forte ou surnaturelle, qui marque parfois le tournant décisif, ou est annonciatrice de ce qui suivra. La veille de sa conversion, Claude Covassi éprouve ce que le responsable du centre islamique interprète comme une attaque démoniaque (p. 36). A l’inverse, demandant à Dieu un signe clair, Moussa Koné voit des braises enflammées s’abattre sur le Coran qu’il tient dans la main et le réduire en cendres (p. 101-102).
Variété des expériences, des récits, souvent touchants, honnêtes, et qui bénéficient grandement de l’unité de style et de la qualité d’écriture de Béatrice Guelpa, qui a su mettre en forme ces témoignages avec une parfaite lisibilité. Vingt itinéraires offrent un bon échantillon, suffisamment divers pour éclairer la multiplicité des démarches. A travers celles-ci, grâce à ces visages humains que l’écriture fait ressortir, avec leur richesse intérieure, le lecteur comprend sans doute mieux l'attrait que peut exercer un message religieux, au point de conduire des gens à transformer leur vie.
* Jean-François Mayer est directeur de l’institut Religioscope, qui se consacre à l’étude des faits religieux et à leur impact dans le monde contemporain. Auteur de nombreux articles, il a notamment publié Les Fondamentalismes (Éd. Georg, 2002) et Internet et religions (Éd. Religioscope, 2008).
Mais Rachel Babecoff, venue au judaïsme après avoir pourtant baigné pendant longtemps dans la communauté, raconte l'expérience déplaisante qu'a été l'interaction avec les rabbins chargés d'approuver ou non sa conversion. Certains convertis demeurent relativement isolés dans leur nouvelle communauté. Les incompréhensions ne viennent pas toujours seulement des anciens coreligionnaires...
Par coïncidence, au même moment que ce livre est paru un article de Jean-Marc Joubert (auteur de Journal d’un sinaïte : moine français au Monastère Sainte-Catherine, Paris, L’Harmattan, 2004) sur « La condition du converti orthodoxe », paru dans le n° 150 (I-2010/2011) de la revue Le Messager orthodoxe (ACER : 91, rue Olivier-de-Serres, 75015 Paris). Il y évoque ses premiers pas et sa joie, mais aussi (et ce n’est pas le seul converti à le faire) le hiatus parfois ressenti entre son identité et sa mentalité française, d’une part, et les milieux orthodoxes russe, grec, serbe ou roumain : il n’avait pas envie de changer d’identité et de mentalité, explique-t-il, « ou d’adopter, comme un certain nombre de convertis croient bon de le faire, beaucoup des usages et même des préjugés — à ce qu’il me semble — des peuples orthodoxes ».
Il ne faut pas sous-estimer, dans une conversion, ce que signifie le saut culturel, et cela ne vaut pas simplement pour des passages de chrétiens occidentaux à l’islam ou à des religions d’origine orientale : il peut tout aussi bien exister pour des transferts d’une confession chrétienne à une autre. Joubert raconte également comment les nouveaux convertis s’échauffaient les uns les autres, soupçonnant souvent de tiédeur ou de compromission les orthodoxes « de souche », et inclinant volontiers vers les formes les plus rigoristes : un phénomène classique chez plus d'un converti, qui ne joue pas toujours en leur faveur.
Sans oublier qu’il existe des conversions aux conséquences dramatiques, parce que le néophyte prend pour guide — sans le savoir — un maître spirituel abusif, indigne de confiance ou sans discernement. L’absolutisme du converti offre un terreau favorable, s’il est attiré par un discours qui lui offre d’appartenir au petit troupeau des élus, des croyants purs. Ce n’est pas ce genre de conversion qui a retenu l’attention de Guelpa (elle explique d’ailleurs avoir choisi de ne pas s’intéresser aux convertis les plus radicaux), mais les témoignages sur des itinéraires de ce genre existent : parmi les plus récents, signalons celui de Claire Vajou, Iô (Paris, Odile Jacob, 2010).
Celle-ci raconte, après un début de quête d’absolu en milieu catholique, sa rencontre avec un groupe orthodoxe appartenant au mouvement vieux-calendariste grec (dissident de l’Eglise orthodoxe grecque), puis son départ dans un monastère isolé sur une île grecque, où elle passe quinze ans, avant de s’en enfuir grâce à une véritable opération d’exfiltration évoquant plus un scénario d’espionnage que la vie monastique (mais la seule solution pour lui permettre de sortir d’un milieu de plus en plus dangereux). Alors que le père spirituel se révèle être un manipulateur et un pervers, et qu’elle en a conscience, elle livre des pages très intéressantes sur les balancements entre le désir de fuir et celui de rester fidèle envers et contre tout à son engagement. Cela dépasse la question des conversions, tout en rappelant les considérables enjeux que l’adhésion à une voie religieuse implique si l’on prend celle-ci au sérieux : cela peut devenir une véritable question de vie et de mort, bien loin d’un butinage spirituel soft.
Pour retourner aux convertis que présente Béatrice Guelpa, nous percevons deux types d’attitudes par rapport à la religion d’origine — avec toutes les nuances possibles entre les deux positions. Certains s’efforcent de voir dans leur démarche un développement harmonieux, une logique qui les conduit à leur nouvelle condition, sans vraiment renier leur précédente affiliation, tandis que d’autres éprouvent un fort rejet de leur religion d’origine : ainsi, Yamina, musulmane convertie au protestantisme, dont l’histoire est triste, ne rend pas sa famille responsable ce qu’elle a subi avant de pouvoir quitter le Maroc et de se faire baptiser, mais bien leur religion : « C’est de la faute de l’islam ! » (p. 144).
Dans plusieurs des récits recueillis par Béatrice Guelpa, il se produit à un moment un expérience forte ou surnaturelle, qui marque parfois le tournant décisif, ou est annonciatrice de ce qui suivra. La veille de sa conversion, Claude Covassi éprouve ce que le responsable du centre islamique interprète comme une attaque démoniaque (p. 36). A l’inverse, demandant à Dieu un signe clair, Moussa Koné voit des braises enflammées s’abattre sur le Coran qu’il tient dans la main et le réduire en cendres (p. 101-102).
Variété des expériences, des récits, souvent touchants, honnêtes, et qui bénéficient grandement de l’unité de style et de la qualité d’écriture de Béatrice Guelpa, qui a su mettre en forme ces témoignages avec une parfaite lisibilité. Vingt itinéraires offrent un bon échantillon, suffisamment divers pour éclairer la multiplicité des démarches. A travers celles-ci, grâce à ces visages humains que l’écriture fait ressortir, avec leur richesse intérieure, le lecteur comprend sans doute mieux l'attrait que peut exercer un message religieux, au point de conduire des gens à transformer leur vie.
* Jean-François Mayer est directeur de l’institut Religioscope, qui se consacre à l’étude des faits religieux et à leur impact dans le monde contemporain. Auteur de nombreux articles, il a notamment publié Les Fondamentalismes (Éd. Georg, 2002) et Internet et religions (Éd. Religioscope, 2008).
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