C’est de Beyrouth, ville qui a vu naître Amin Maalouf, auteur des Identités meurtrières et qui a été le théâtre d’une guerre identitaire, que j’écris ces quelques lignes. C’est de là que je contemple à la fois inquiète et peu surprise de la mini-guerre israélo-palestinienne, judéo-arabe qui semble se jouer dans les rues de Paris et sur les réseaux sociaux français.
Je travaille depuis quelques années, en France et en Europe, à coordonner des tentatives de rapprochement des communautés religieuses juives et musulmanes. J’ai aussi travaillé et vécu au Proche-Orient. C’est avec effroi que je regarde l’actualité moyen-orientale et par ricochet française. Il existe en France l’idée largement répandue qu’il faut éviter d’importer le conflit en France. Mais au regard de l’actualité, il serait temps de repenser ce vœu pieu. D’autant que dès les années 1968, notamment à Ménilmontant, le conflit est là.
Aujourd’hui, la croyance que les manifestations pro-palestiniennes sont composées d’une horde de jeunes instrumentalises par des islamistes, clairement antisémites, se répand. Cette vision, énoncée et partagée par les élites au pouvoir, à commencer par notre Premier ministre, est dangereuse et erronée. À y regarder de plus près, on se rend aisément compte que la très large majorité des manifestants sont de jeunes Français qui manifestent non pas leur haine des juifs mais leur colère, leur rejet de la politique israélienne de Benyamin Netanyahou et de Naftali Bennett. Une question de politique étrangère à l’instar des manifestants à Melbourne, Londres, Malmö ou encore Istanbul.
À la différence des autres villes et pays cités, la France se distingue malheureusement par ses violences, ses scènes de guérillas urbaines qui ont été commentées par de nombreux médias étrangers comme le journal israélien Haaretz qui est allé jusqu’à titrer de façon éhontée « La France va-t-elle expulser ses juifs ? » sans que cela soit démenti par nos gouvernants. La gestion désastreuse de François Hollande, avec sa prise de position unilatérale en faveur d’Israël, est sans précédent dans la gestion du conflit israélo-palestinien, mais elle a aussi surpris un très grand nombre de Français dont une large partie de l’électorat socialiste.
Oui des heurts ont pu avoir lieu, il faut les condamner avec fermeté et vigueur. L’antisémitisme n’a aucune place, dans aucun combat et ne peut être justifié dans aucun cas. Il n’existe pas d’excuses à la violence et aux slogans anti-juifs et anti-arabes que l’on a entendus des parties extrémistes de chaque communauté. Que cela soit dit et répété.
Mais en confondant la critique de l’Etat d’Israël avec le racisme, Manuel Valls ne fait qu’alimenter ce qu’il essaie de combattre. Non, les rues de notre pays ne sont pas peuplées de « hordes de barbares antisémites ». A force de crier et clamer ce leitmotiv, le Premier ministre va effectivement faire tomber une large partie des Français dans un ressentiment et une frustration aisément compréhensibles. En stigmatisant une partie de la population, Manuel Valls se fait l’héritier de la politique qu’avait inauguré Nicolas Sarkozy en créant ex nihilo « un vote musulman ».
Chacun d’entre nous souhaiterait voir la résolution de ce conflit tant il alimente les pires extrémismes. Mais à défaut de pouvoir régler cette question au Moyen-Orient, il serait bon que nos élites médiatiques et politiques comprennent enfin que ce n’est pas en interdisant à des citoyens français de s’exprimer que l’on parviendra à surmonter cette crise. La censure, la frilosité, la peur d’évoquer la question moyen-orientale dans les médias, à l’école, dans la cité ou ailleurs créent davantage de tensions, de suspicions et d’incompréhensions que d’apaisement. En France, la question est presque devenue un sujet de politique intérieure, pourquoi l’éviter ?
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Première parution de cet article dans Libération, le 22 juillet 2014.
Samia Hathroubi est professeure d'histoire et militante associative.
En direct de Gaza. Suivez les principaux événements et réactions du jour
Je travaille depuis quelques années, en France et en Europe, à coordonner des tentatives de rapprochement des communautés religieuses juives et musulmanes. J’ai aussi travaillé et vécu au Proche-Orient. C’est avec effroi que je regarde l’actualité moyen-orientale et par ricochet française. Il existe en France l’idée largement répandue qu’il faut éviter d’importer le conflit en France. Mais au regard de l’actualité, il serait temps de repenser ce vœu pieu. D’autant que dès les années 1968, notamment à Ménilmontant, le conflit est là.
Aujourd’hui, la croyance que les manifestations pro-palestiniennes sont composées d’une horde de jeunes instrumentalises par des islamistes, clairement antisémites, se répand. Cette vision, énoncée et partagée par les élites au pouvoir, à commencer par notre Premier ministre, est dangereuse et erronée. À y regarder de plus près, on se rend aisément compte que la très large majorité des manifestants sont de jeunes Français qui manifestent non pas leur haine des juifs mais leur colère, leur rejet de la politique israélienne de Benyamin Netanyahou et de Naftali Bennett. Une question de politique étrangère à l’instar des manifestants à Melbourne, Londres, Malmö ou encore Istanbul.
À la différence des autres villes et pays cités, la France se distingue malheureusement par ses violences, ses scènes de guérillas urbaines qui ont été commentées par de nombreux médias étrangers comme le journal israélien Haaretz qui est allé jusqu’à titrer de façon éhontée « La France va-t-elle expulser ses juifs ? » sans que cela soit démenti par nos gouvernants. La gestion désastreuse de François Hollande, avec sa prise de position unilatérale en faveur d’Israël, est sans précédent dans la gestion du conflit israélo-palestinien, mais elle a aussi surpris un très grand nombre de Français dont une large partie de l’électorat socialiste.
Oui des heurts ont pu avoir lieu, il faut les condamner avec fermeté et vigueur. L’antisémitisme n’a aucune place, dans aucun combat et ne peut être justifié dans aucun cas. Il n’existe pas d’excuses à la violence et aux slogans anti-juifs et anti-arabes que l’on a entendus des parties extrémistes de chaque communauté. Que cela soit dit et répété.
Mais en confondant la critique de l’Etat d’Israël avec le racisme, Manuel Valls ne fait qu’alimenter ce qu’il essaie de combattre. Non, les rues de notre pays ne sont pas peuplées de « hordes de barbares antisémites ». A force de crier et clamer ce leitmotiv, le Premier ministre va effectivement faire tomber une large partie des Français dans un ressentiment et une frustration aisément compréhensibles. En stigmatisant une partie de la population, Manuel Valls se fait l’héritier de la politique qu’avait inauguré Nicolas Sarkozy en créant ex nihilo « un vote musulman ».
Chacun d’entre nous souhaiterait voir la résolution de ce conflit tant il alimente les pires extrémismes. Mais à défaut de pouvoir régler cette question au Moyen-Orient, il serait bon que nos élites médiatiques et politiques comprennent enfin que ce n’est pas en interdisant à des citoyens français de s’exprimer que l’on parviendra à surmonter cette crise. La censure, la frilosité, la peur d’évoquer la question moyen-orientale dans les médias, à l’école, dans la cité ou ailleurs créent davantage de tensions, de suspicions et d’incompréhensions que d’apaisement. En France, la question est presque devenue un sujet de politique intérieure, pourquoi l’éviter ?
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