Connectez-vous S'inscrire

Points de vue

De la hiérarchisation du racisme en France : au-delà de l'affaire Dieudonné

Rédigé par Nassurdine Haidari | Mardi 7 Janvier 2014 à 06:05

           


Au-delà de l'affaire dite de « la quenelle » et de la circulaire du ministre de l'Intérieur visant à interdire Dieudonné M'bala M'bala de se produire sur scène, c'est bien la question du respect des mémoires, de la lutte contre le racisme en France et de la dénonciation de toutes ses formes qui nous est collectivement posée.

Oui, le racisme n'est pas simplement une monstruosité, une basse vue de l'esprit. Il est avant tout une idéologie ! Une idéologie qui a longtemps servi à détruire des populations, à justifier des crimes contre l'humanité ; de la traite négrière, des camps d’Auschwitz, aux massacres de Setif-Guélma-Khérata, en passant par les horreurs de Thiaroye... Bref, de l'esclavage à la colonisation, en passant par la Shoah, l'idéologie raciste classa, infériorisa et extermina des hommes au nom de l'infériorité supposée d'autres hommes.

Et il faut saluer le président de la République, François Hollande qui, le 12 octobre 2012 à Dakar, fut le premier président français à rappeler les horreurs de Tiaroye : « La part d'ombre de notre Histoire, c'est aussi la répression sanglante qui, en 1944 au camp de Thiaroye, provoqua la mort de 35 soldats africains qui s'étaient pourtant battus pour la France. J'ai donc décidé de donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu'elles puissent être exposées au Musée du mémorial. »

C’est encore la lucidité de François Hollande qu’il faut saluer lorsque devant le parlement algérien. Il fut le premier président de la République à reconnaître officiellement « la sanglante répression » de Sétif, de Guelma et Kheratta : « Pendant 132 ans, l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Ce système a un nom : c'est la colonisation et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. » Et d'ajouter : « A Sétif, le 8 mai 1945, le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles. »

Le danger de la lutte contre le racisme à géométrie variable

Des déclarations encourageantes dans cette marche inlassable vers la paix des mémoires. Car tôt ou tard, la France devra s'incliner devant le sang injustement versé par la France ; s'incliner devant cette barbarie humaine qui s'est déversée sur tout un continent ; s'incliner devant toutes ces femmes violées, ces hommes broyés par l'injustice, la haine, le racisme dans son expression la plus brutale, ces enfants meurtris et ces orphelins de la vie, pour enfin faire acte de repentance. S’abstenir de toute repentance serait in fine un déni de justice.

De nos jours, le racisme continue à contaminer les consciences, à déchirer le pacte de dignité scellé entre la France, le droit et les Hommes. Cependant, disons-le une fois pour toute, la patrie des droits de l’Homme est en danger car elle ne s’exprime plus avec force et détermination contre toutes les formes de discriminations, d’insultes racistes et d’insinuations douteuses.

La République ne lutte plus efficacement contre la stigmatisation de certaines populations, contre l’ethnicisation et la paupérisation de certains quartiers populaires et glose des principes universels en créant des citoyens de seconde zone dans des territoires marqués par l’injustice économique et sociale. La République n'éduque plus ses enfants à vivre ensemble, regroupés trop souvent dans des écoles de plus en plus communautarisées et à se respecter mutuellement au-delà de leurs différences.

La France ne s’aime plus, elle se vide d’elle-même et réduit sa devise républicaine à un étendard mirage « Liberté, égalité, fraternité » en rusant avec l’application des valeurs humanistes qui ont, jadis, donné à notre pays une place distinguée dans le monde.

Pire encore, la France s'avère aujourd’hui incapable de condamner tous les actes racistes avec la même fermeté et la même équité. Qui pourrait dire que l'islamophobie, la négrophobie et la xénophobie sont combattues en France de la même manière que l'antisémitisme ? Je sais par avance que cette assertion soulèvera bon nombre de commentaires. J'entends déjà les bonnes consciences, promoteurs de la pensée unique, censeurs de la pensée multiple me dire : « Attention à la concurrence victimaire. » Je leur rétorquerai que les différentes formes de racisme ne se querellent pas, elles se renforcent mutuellement dans le concert de l'indignation.

Des faits rien que des faits

Lorsque l'islam (deuxième religion de France) est régulièrement mise en cause dans le débat national avec des injonctions de laïcisation permanente comme si les musulmans n'étaient pas encore intégrés à la République française, comme s'il y avait une incompatibilité de fait entre les musulmans et la République; c'est le racisme post-colonial qui se fraye tranquillement un chemin au cœur des consciences françaises.

Lorsque des femmes voilées de France se sont faites agressées verbalement et physiquement à plusieurs reprises en 2013, l'indignation collective fut absente et les associations féministes muettes. La réaction de l'Etat, quant à elle, fut tardive, quasi imperceptible et peu encline à rassurer la communauté musulmane de France.

Lorsque des mots blessants, humiliants à l'encontre de ministre de la Justice, furent prononcées « Guenon mange ta banane », l'indignation collective, spontanée, s'est faite attendre et n'a été déclenché qu'après une magnifique tribune de la Christine Taubira qui s'étonnait qu'aucune belle et haute voix ne se soit levée pour alerter sur la dérive de la société française (sic).

Lorsque les contrôles au faciès humilient chaque jour des individus parce que "noirs" ou "arabes" six fois à huit fois plus contrôlés que les autres,, sans que rien ne soit fait pour laver cet affront, c'est laisser entrouvertes les portes d'un racisme structurel. Et ce n’est point le retour du matricule qualifié de « mesurette » par les associations de terrain et le collectif Stop le contrôle au faciès qui pourra apaiser les tensions toujours vives et reconstruire le lien police-citoyen qui a été au centre de toutes les émeutes françaises.

Lorsque des humoristes s'en prennent ouvertement aux Noirs en les comparant à des singes, en tournant en dérision les affres de l'esclavage, en s'esclaffant de rire sur le génocide rwandais (récemment sur Canal +), silence radio. La République se tait. La République accepte ce racisme « pour rire », ce racisme « de dérision », un racisme « qui passe ».

Lorsqu'en 2013, le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) posa sur la place publique la question des réparations liées à l'esclavage pour qu'enfin le commerce le plus honteux de l'Histoire ne puisse jamais tombé dans l'oubli et que les effets de ce crime contre l'humanité (crime à caractère imprescriptible dans le droit international) puisse trouver des réponses appropriées, le refus est catégorique. Pourtant, le Conseil d'Etat avait reconnu et accepté en 2009 de mettre en place des mesures de réparation pour tous les crimes liés à la déportation.

Deux poids, deux mesures ; un seul et même crime, deux lectures

En réalité, la recrudescence du racisme sans gène n’est plus imputable à la seule montée du Front National. Elle traduit l’état de la République, ce « grand corps malade » traversé par des crispations identitaires récurrentes, les atermoiements des partis politiques sur la gestion de l’immigration, les inquiétudes liées à la montée de l’islam ou la présence des Roms. Et pour s’en défendre, la République résiste dans le déni et la contradiction : à l’intérieur, dans l’exercice du pouvoir, elle ne favorise guère l'émergence significative des minorités, et à l’extérieur, elle a recours aux incantations républicaines routinières dès que l’on touche à l’égalité. Bref, ce manque de conviction profonde et surtout ce manque d’applications juste, intelligente et intelligible qui devrait en découler, génère une libéralisation sournoise et dangereuse d’un racisme polymorphe et de plus en plus actif, mettant à mal les valeurs de la République.

Condamner ne suffit pas, ne suffit plus... Il faut agir vite et en profondeur. A la veille des municipales, le président de République et le gouvernement devrait impérativement mettre en place un grand plan de lutte contre le racisme et les discriminations avant que ces idées ne s’enracinent durablement en France.

Car tant que la République ne condamnera pas l'ensemble des actes racistes avec la même fermeté, la même spontanéité et la même détermination, elle créera indubitablement une hiérarchisation des actes racistes, une hiérarchisation de la dénonciation raciste, par conséquent une hiérarchisation du racisme.






SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !