Mesdames et Messieurs les député-e-s,
J'aurais aimé vous parler de mon amour de Verlaine aussi fort et pénétrant que celui d’Adonis.
J'aurais aimé vous parler des Lumières autant que celle d'Al-Ghazali.
J'aurais aimé vous parler des récits de voyages d'un Vasco de Gama ou d'un Ibn Battuta.
J'aurais aimé vous dire que funambule je me tenais sur ces deux rives et vous persuader avant le vote que la déchéance de nationalité des binationaux est une insulte à mon bilinguisme, à mon identité plurielle.
J'aurais aimé vous dire que Daesh et les terroristes n'ont que faire de votre citoyenneté, et qu'en vous prenant à ces hommes et femmes qui préfèrent la mort et le chaos en fait ce sont les vivants que vous touchez avec cette loi.
Ne me dites pas que cette nouvelle mouture de la loi concerne tous les Français. Toutes les cours des droits de l'homme ont statué et vous avez ratifié tous ces textes. Il n'est pas possible de faire des apatrides. Et tant mieux. Mauvais souvenirs de l’Histoire.
Alors, en votant cette loi, c'est à moi, entre autres, que vous touchez dans mon bilinguisme et mon appartenance.
Je suis une française en sursis. En puissance.
Inscrivant mon inégalité juridique dans le marbre, vous faites de moi une paria de l'agora. Jetant la suspicion sur tous les basanés et métèques.
Les dés sont jetés. Alea jacta est.
Si j'écris, ce n'est pas pour vous convaincre de changer votre vote. J'ai compris que vous ne le feriez pas. Comme vous ne voteriez jamais le droit de vote des étrangers aux élections municipales. Tout cela, je le sais. Je suis résignée.
Je me suis laissée convaincre de poser ces quelques mots à la suite d’un évènement anodin, une simple anecdote.
Comme beaucoup de Français, j'aime faire mes courses après le travail. Cela paraît anodin mais, en écoutant autour de nous la vie normale, on en comprend davantage sur notre société qu'en regardant les documentaires et reportages anxiogènes sur les maux de notre société française qui se déversent sur les chaines d’infos.
Alors je vous disais. J'étais sur le point de choisir avec soin mes avocats auprès du vendeur de fruits et légumes quand j'ai été frappée par les échanges d'une mère et de son enfant qui choisissaient les leurs. Je ne sais trop comment le vendeur et la cliente en sont arrivés à parler de façon confuse de nationalité et de ce qui secoue l'actualité française.
C'est en écoutant les propos de cette mère à son enfant de 7 ans, né en France, que j'ai pris conscience de l'abîme dans lequel vous jetiez une partie de notre jeunesse.
C'est en entendant la mère dit à son gamin qu'il ne fallait pas faire de bêtises parce qu'il allait retourner au bled que j'ai compris les conséquences d’une telle loi auprès des plus jeunes, des plus fragiles, des êtres en construction identitaire.
C'est en écoutant la mère dire à cet enfant que, même né ici et français, il ne l'était pas vraiment.
Alors vous me rétorquerez que ce n'est pas tout à fait ça, que la mère et l’enfant n’ont pas compris la loi. Et je vous répondrai qu’ils n’en ont peut-être pas compris la lettre mais l’esprit est là.
L’esprit de votre loi inique, injuste et inefficace, cet enfant de 7 ans l’a compris.
En tant qu’ancienne enseignante en banlieue et membre active de la société civile, en face depuis de nombreuses années à de jeunes adolescents souvent binationaux, face à tous ces enfants de métèques, certains en colère, d’autres en proie au doute, un sentiment inhérent à cette étape de leur vie, je crains que votre vote vienne entériner une rupture déjà bien entamée.
****
Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
J'aurais aimé vous parler de mon amour de Verlaine aussi fort et pénétrant que celui d’Adonis.
J'aurais aimé vous parler des Lumières autant que celle d'Al-Ghazali.
J'aurais aimé vous parler des récits de voyages d'un Vasco de Gama ou d'un Ibn Battuta.
J'aurais aimé vous dire que funambule je me tenais sur ces deux rives et vous persuader avant le vote que la déchéance de nationalité des binationaux est une insulte à mon bilinguisme, à mon identité plurielle.
J'aurais aimé vous dire que Daesh et les terroristes n'ont que faire de votre citoyenneté, et qu'en vous prenant à ces hommes et femmes qui préfèrent la mort et le chaos en fait ce sont les vivants que vous touchez avec cette loi.
Ne me dites pas que cette nouvelle mouture de la loi concerne tous les Français. Toutes les cours des droits de l'homme ont statué et vous avez ratifié tous ces textes. Il n'est pas possible de faire des apatrides. Et tant mieux. Mauvais souvenirs de l’Histoire.
Alors, en votant cette loi, c'est à moi, entre autres, que vous touchez dans mon bilinguisme et mon appartenance.
Je suis une française en sursis. En puissance.
Inscrivant mon inégalité juridique dans le marbre, vous faites de moi une paria de l'agora. Jetant la suspicion sur tous les basanés et métèques.
Les dés sont jetés. Alea jacta est.
Si j'écris, ce n'est pas pour vous convaincre de changer votre vote. J'ai compris que vous ne le feriez pas. Comme vous ne voteriez jamais le droit de vote des étrangers aux élections municipales. Tout cela, je le sais. Je suis résignée.
Je me suis laissée convaincre de poser ces quelques mots à la suite d’un évènement anodin, une simple anecdote.
Comme beaucoup de Français, j'aime faire mes courses après le travail. Cela paraît anodin mais, en écoutant autour de nous la vie normale, on en comprend davantage sur notre société qu'en regardant les documentaires et reportages anxiogènes sur les maux de notre société française qui se déversent sur les chaines d’infos.
Alors je vous disais. J'étais sur le point de choisir avec soin mes avocats auprès du vendeur de fruits et légumes quand j'ai été frappée par les échanges d'une mère et de son enfant qui choisissaient les leurs. Je ne sais trop comment le vendeur et la cliente en sont arrivés à parler de façon confuse de nationalité et de ce qui secoue l'actualité française.
C'est en écoutant les propos de cette mère à son enfant de 7 ans, né en France, que j'ai pris conscience de l'abîme dans lequel vous jetiez une partie de notre jeunesse.
C'est en entendant la mère dit à son gamin qu'il ne fallait pas faire de bêtises parce qu'il allait retourner au bled que j'ai compris les conséquences d’une telle loi auprès des plus jeunes, des plus fragiles, des êtres en construction identitaire.
C'est en écoutant la mère dire à cet enfant que, même né ici et français, il ne l'était pas vraiment.
Alors vous me rétorquerez que ce n'est pas tout à fait ça, que la mère et l’enfant n’ont pas compris la loi. Et je vous répondrai qu’ils n’en ont peut-être pas compris la lettre mais l’esprit est là.
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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
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