Connectez-vous S'inscrire

Points de vue

Dix ans après les émeutes en banlieue : Marseille un cas d’école

Rédigé par Nassurdine Haidari | Mardi 27 Octobre 2015 à 08:00

           


Dix ans après les émeutes en banlieue : Marseille un cas d’école
Il y a dix ans, les banlieues s’embrasaient les unes après les autres suite au tragique décès de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique. Trois semaines d’affrontements où les jeunes criaient par la violence leur désespoir. Une situation inédite qui avait poussé le Premier ministre de l’époque Dominique de Villepin à imposer un couvre-feu et à déclarer l’état d’urgence. Dans ce déferlement de violence spontanée, une seule grande ville de France avait pourtant échappé aux violences.

Marseille, la rebelle, n’avait pas bronché, elle était restée sourde à la colère de cette génération malgré la pauvreté et la misère sociale de la ville. Certains nous expliquaient avec légèreté que les grands frères avaient retenu les « petits » sur le terrain, d’autres avançaient avec une certaine gravité que la prégnance des réseaux était trop forte et que le bruit de la colère aurait porté atteinte au business de la drogue.

De tout manière, Marseille s’était tue, comme si ces évènements ne la concernait pas. Aucune voiture brulée, aucune revendication portée, un silence de mort qui ne présageait rien de bon...

Les raisons du silence

La violence s’étalait comme une tache d’huile sur toute la France. Tout le monde pensait que Marseille allait entrer dans un cycle de violence. Mais contre toute attente, les quartiers sensibles de Marseille ne s’étaient pas soulevés. Les habitants de ces quartiers avaient déjà cessé de croire en la République. Ils avaient déjà compris que le chômage de masse, en moyenne deux à trois fois plus concentré dans les quartiers populaires, les inégalités scolaires, les confrontations violentes et répétées avec la police, les conditions de logement indécentes, les discriminations qui touchaient même ceux qui miraculeusement s’étaient extirpés du système scolaire avec succès, étaient voulus, organisés, orchestrés et condamnaient de facto les générations futures.

Non seulement, l’état avancé de déliquescence sociale de ces territoires avait créé une République parallèle là où la République réelle avait disparu, mais, fait aggravant, une certaine jeunesse marseillaise avait assimilé que les lois de la République se construisaient à leurs dépens. Ils avaient simplement compris qu’ils demeureraient pour toujours les enfants illégitimes de la République et que leurs vies ne valaient pas grand chose comme celle de leurs parents qui avaient traversé le corps social avec perte et fracas.

Affreuse désillusion de toute une jeunesse prise en tenaille entre une vie dépourvue de sens et une République porteuse de désolation. Une génération réduite à choisir entre vivre dangereusement ou mourir socialement.

Dix ans après les émeutes en banlieue : Marseille un cas d’école

La langue du désespoir

En 2005, une partie de Marseille parlait déjà une autre langue. Celle du désespoir. Dix ans plus tard, le constat est sans appel, les crimes de sang, la réalité féroce du trafic de drogue organisent et rythment la vie de nos cités. La barbarie ne se cache plus, elle se met en scène, elle sème la terreur, elle ébranle les consciences et anéantit l'espoir en des jours meilleurs. Ici, la drogue détruit nos enfants, alimente les conflits de voisinage, impose aux familles de se claquemurer chez elles, délimite des territoires, organise une économie, accompagne l'insertion sociale des plus jeunes, et oblige les habitants jugés trop encombrants à quitter leurs lieux de résidence.

Ici, l’enfance est un luxe, l’adolescence un péril, l’âge adulte une course poursuite contre la mort. Certains choufs ont l’âge de sept ans, les jeux d’enfants sont bien souvent trop tôt des jeux d’argent et le jeune citoyen ou du moins ce qu’il en reste ne se construit plus dans la sérénité de l’école mais dans la laideur des tours et le diktat des armes. La récente exécution à bout portant dans cette cité des lauriers nous rappelle que le sang n’a pas cessé de couler et qu’à chaque fois que les armes parlent, c’est la République qui se tait.

Cette scène de guerre nous rappelle qu’une partie de Marseille part à la dérive, insensible aux transformations notoires de la ville. Elle cherche sa propre voie. Une voie sans issue certes, mais la seule qui se dessine devant elle. Ce drame à ciel ouvert nous rappelle, comme l’a si bien dit le père d’une des victimes, que les soldats du désespoir viendront encore et encore grossir les rangs du trafic de drogue, tant il est vrai qu’aucun bouleversement n’est prévu pour demain. La banlieue se vit de nos jours comme l’impensé de nos politiques publiques. Sans oublier le fameux « changement » du président de la République qui n’a jamais opéré et l’apartheid français de Manuel Valls qui, par contre, a tenu toutes ses promesses.

La République en perdition

En réalité, il n’y a jamais eu de territoires perdus de la République : la République et ceux qui la construisent ont seulement décidé de partir de ces territoires en acceptant les inégalités, les discriminations, le communautarisme forcé, en achetant à coup de subventions la paix sociale, en pactisant avec des personnes peu recommandables l’accès à certaines cités, en offrant des emplois de complaisance et surtout en n’assurant jamais l’égalité des droits en nous renvoyant à une égalité des chances inaccessible pour nous et nos enfants.

Marseille l’avait compris et avait choisi de garder le silence. Une attitude qui en disait long sur la réalité sociale de nos quartiers populaires. Malheureusement, dix ans plus tard, la France n’a jamais engagé d’action de grande envergure pour ramener ces territoires à la République. Une faute grave qui condamne à vie certaines populations qui se murent de plus en plus dans un silence marseillais qui ne présage rien de bon…

****
Nassurdine Haidari est ancien élu socialiste et président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) dans la région PACA.

Lire aussi :
Zyed et Bouna : réponse à Marion-Maréchal Le Pen
Zyed et Bouna : les policiers relaxés, les familles dépitées
Marseille : 20 ans après le meurtre d'Ibrahim Ali, le difficile combat contre le FN
Lettre ouverte au Premier ministre : Apartheid français, cette République qui nous tue




SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !