« La démocratie est à leurs yeux semblable aux idoles faites de dattes qu’adoraient les Arabes à l’époque antéislamique, ils y croient tant qu’elle leur est favorable puis la dévorent lorsque son verdict les prend au dépourvu. » Hassan al-Banna (1906-1949), fondateur des Frères musulmans.
Bachar Al-Assad est formel mais avec lui la fine fleur de analystes européens de la scène politique arabe : « Le résumé de ce qui se passe en Égypte, c’est la chute de ce que l’on appelle l’islam politique ! » Peu importe que celui qui nous assène cette analyse n’ait jamais triomphé par les urnes face au moindre opposant et que son refus de quitter le pouvoir ait provoqué une guerre civile et la mort de plus de 100 000 personnes. Sa formule, annonçant « la fin de l’islam politique » sera pourtant reprise par plusieurs éditorialistes aussi bien arabes qu’européens.
À bien y regarder, cette analyse n’est pas totalement dénué de fondement mais pourrait concerner un seul segment du champ islamiste, dont les « islamo-démocrates » issus des Frères musulmans sont en quelque sorte devenus le maillon faible. Chassé du palais présidentiel le 3 juillet 2013, un an et trois jours après son élection le 30 juin 2012, puis placé aux arrêts, le président déchu Mohamed Morsi a donc été chassé par un coup d’État qui aurait été légitimé par les manifestations massives ayant exigé la chute du « gouvernement des Frères ».
Pourrait-on imaginer un Barack Obama et ses ministres jetés en prison par des officiers nostalgiques des années Bush, débarquant le locataire de la Maison Blanche pour effectuer un « impeachment » à l’égyptienne ? À cette interrogation, on ne cesse de nous répondre par l’argument massue de l’« exceptionnalisme culturel », qui exigerait d’abandonner les « concepts occidentaux », voire « colonialistes », pour comprendre les dynamiques politiques en cours de l’autre côté de la Méditerranée. Soit.
Cependant, cette leçon donnée par les milieux libéraux pourrait à terme se retourner contre eux, leurs opposants pourraient en effet rapidement conclure que « l’islamisme qui marche » n’est pas celui qui ne s’appuie que sur la « légitimité démocratique ».
Sans doute la popularité du Hamas est-elle pour beaucoup dans son maintien au pouvoir dans la bande de Gaza, toutefois si le mouvement palestinien ne s’était appuyé que sur sa « légitimité démocratique », obtenue par les urnes face au Fatah de Mahmoud Abbas en janvier 2006, il aurait probablement subi le même sort que celui des Frères musulmans en Égypte.
On peut également s’interroger sur les performances politiques engrangées par le Hezbollah libanais, malgré le rejet – plus que justifié – dont celui-ci fait l’objet dans les milieux islamistes sunnites en raison du soutien militaire apporté par ses troupes au « régime alaouite » de Bachar Al Assad. Est-ce parce qu’il est le premier parti politique libanais que ses membres n’ont pas été arrêtés pour satisfaire au mandat d’arrêt émis par le Tribunal spécial pour le Liban, sous contrôle occidental, ou bien en raison de son arsenal et de sa puissance de feu ?
À l’heure où la contre-révolution, menée par les rescapés des régimes autoritaires arabes alliés aux libéraux et autres vaincus des urnes, triomphe sur les chars au Caire et peut-être demain à Tunis, il semble que désormais « l’islamisme qui marche » soit celui du Hamas, du Hezbollah ou même celui des talibans. Gageons que le modèle des talibans triomphants, qui sont en train de gagner leur guerre contre les États-Unis sans armes lourdes ni représentation politique dans les hôtels d’Istanbul, séduira davantage les révolutionnaires syriens que celui des « islamo-démocrates » qui remplissent aujourd’hui les geôles égyptiennes.
L’Occident aura « les islamistes qu’il mérite ». En cautionnant presque aveuglément la dépose militaire de la génération modérée des islamistes, il vient de donner un solide surcroît de légitimité à leurs successeurs, qui ne seront sans doute pas aussi légalistes, ou naïfs, que M. Morsi l’a été.
Romain Caillet, Beyrouth, le 15 juillet 2013.
* Romain Caillet est doctorant en histoire contemporaine.
Bachar Al-Assad est formel mais avec lui la fine fleur de analystes européens de la scène politique arabe : « Le résumé de ce qui se passe en Égypte, c’est la chute de ce que l’on appelle l’islam politique ! » Peu importe que celui qui nous assène cette analyse n’ait jamais triomphé par les urnes face au moindre opposant et que son refus de quitter le pouvoir ait provoqué une guerre civile et la mort de plus de 100 000 personnes. Sa formule, annonçant « la fin de l’islam politique » sera pourtant reprise par plusieurs éditorialistes aussi bien arabes qu’européens.
À bien y regarder, cette analyse n’est pas totalement dénué de fondement mais pourrait concerner un seul segment du champ islamiste, dont les « islamo-démocrates » issus des Frères musulmans sont en quelque sorte devenus le maillon faible. Chassé du palais présidentiel le 3 juillet 2013, un an et trois jours après son élection le 30 juin 2012, puis placé aux arrêts, le président déchu Mohamed Morsi a donc été chassé par un coup d’État qui aurait été légitimé par les manifestations massives ayant exigé la chute du « gouvernement des Frères ».
Pourrait-on imaginer un Barack Obama et ses ministres jetés en prison par des officiers nostalgiques des années Bush, débarquant le locataire de la Maison Blanche pour effectuer un « impeachment » à l’égyptienne ? À cette interrogation, on ne cesse de nous répondre par l’argument massue de l’« exceptionnalisme culturel », qui exigerait d’abandonner les « concepts occidentaux », voire « colonialistes », pour comprendre les dynamiques politiques en cours de l’autre côté de la Méditerranée. Soit.
Cependant, cette leçon donnée par les milieux libéraux pourrait à terme se retourner contre eux, leurs opposants pourraient en effet rapidement conclure que « l’islamisme qui marche » n’est pas celui qui ne s’appuie que sur la « légitimité démocratique ».
Sans doute la popularité du Hamas est-elle pour beaucoup dans son maintien au pouvoir dans la bande de Gaza, toutefois si le mouvement palestinien ne s’était appuyé que sur sa « légitimité démocratique », obtenue par les urnes face au Fatah de Mahmoud Abbas en janvier 2006, il aurait probablement subi le même sort que celui des Frères musulmans en Égypte.
On peut également s’interroger sur les performances politiques engrangées par le Hezbollah libanais, malgré le rejet – plus que justifié – dont celui-ci fait l’objet dans les milieux islamistes sunnites en raison du soutien militaire apporté par ses troupes au « régime alaouite » de Bachar Al Assad. Est-ce parce qu’il est le premier parti politique libanais que ses membres n’ont pas été arrêtés pour satisfaire au mandat d’arrêt émis par le Tribunal spécial pour le Liban, sous contrôle occidental, ou bien en raison de son arsenal et de sa puissance de feu ?
À l’heure où la contre-révolution, menée par les rescapés des régimes autoritaires arabes alliés aux libéraux et autres vaincus des urnes, triomphe sur les chars au Caire et peut-être demain à Tunis, il semble que désormais « l’islamisme qui marche » soit celui du Hamas, du Hezbollah ou même celui des talibans. Gageons que le modèle des talibans triomphants, qui sont en train de gagner leur guerre contre les États-Unis sans armes lourdes ni représentation politique dans les hôtels d’Istanbul, séduira davantage les révolutionnaires syriens que celui des « islamo-démocrates » qui remplissent aujourd’hui les geôles égyptiennes.
L’Occident aura « les islamistes qu’il mérite ». En cautionnant presque aveuglément la dépose militaire de la génération modérée des islamistes, il vient de donner un solide surcroît de légitimité à leurs successeurs, qui ne seront sans doute pas aussi légalistes, ou naïfs, que M. Morsi l’a été.
Romain Caillet, Beyrouth, le 15 juillet 2013.
* Romain Caillet est doctorant en histoire contemporaine.
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