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Monde

Elections Tunisie : « L’exclusion par les urnes est un défi pour les forces pro-révolution »

Interview de Nadia Tarhouni, présidente d'Uni*T

Rédigé par | Mercredi 22 Octobre 2014 à 06:05

           

L'Assemblée constituante est appelée à renouveler ses 217 sièges, dimanche 26 octobre, après trois ans d'une transition démocratique entamée non sans ratés mais avec une dextérité unique dans le monde arabe. Pour aider les électeurs et électrices tunisien-ne-s à faire leur choix face aux dizaines de listes qui s'offrent à eux, l'association franco-tunisienne Uni*T a lancé, en collaboration avec Jeunes Tunisiens de France (JTF), « 1 minute pour convaincre », une initiative salutaire que Nadia Tarhouni, présidente d'Uni*T, explique à Saphirnews. La militante chevronnée, également infirmière de profession, nous confie son regard sur la nouvelle Tunisie à l'aube d'une échéance électorale qui déterminera l'avenir politique des cinq prochaines années.



La Tunisie à l'heure de nouvelles élections libres le 26 octobre 2014, la première depuis l'adoption de la nouvelle Constitution.
La Tunisie à l'heure de nouvelles élections libres le 26 octobre 2014, la première depuis l'adoption de la nouvelle Constitution.
Les Tunisiens de France sont invités à prendre part aux élections législatives du vendredi 24 au dimanche 26 octobre. A l'issue de ce scrutin, le premier depuis l'adoption d'une nouvelle Constitution en janvier 2014, seuls dix députés - cinq représentant le nord de la France, cinq le sud - auront le privilège de siéger à l'Assemblée constituante. La bataille sera rude : 19 listes ont été retenues pour France Nord, 18 pour France Sud. « 1 minute pour convaincre » (vidéos plus bas) offre un coup de projecteur aux listes afin d'éclairer davantage des électeurs perdus dans leur choix.

Saphirnews : Trois ans sont passés après les premières élections historiques de 2011. Quel regard posez-vous sur la transition démocratique tunisienne ?

Nadia Tarhouni : Un regard globalement positif. Il s’agit toujours de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Premièrement, nous sommes le seul pays arabe à avoir réussi l’expérience de la Constitution et du passage à la seconde République. Deuxièmement, nous allons vers d’autres élections, législatives, présidentielles et on l’espère municipales en 2015. Nous avons constitutionnalisé beaucoup d’éléments importants, il suffit de lire la Constitution pour s’en rendre compte.

Des instantes indépendantes ont vu le jour telles que l’ISIE (Instance supérieure indépendante pour les élections, ndlr), la HAICA pour le contrôle de l’audiovisuel... une course constitutionnelle est en train d’être formalisée et mise en place afin de vérifier la constitutionnalité des lois. Toutes ces institutions sont critiquables sur bien des points mais elles sont là, elles se renforceront avec le temps et ont le devoir d’être au service de la démocratie, de l’égalité et du citoyen.

Le pays, malgré les tensions très fortes en Libye, arrive à se maintenir et à absorber, difficilement certes, le flux d’exilés libyens. Restent aujourd’hui à s’ouvrir aux Syriens et autres populations dans le besoin. La région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord, ndlr) est en grande difficulté. Elle aura besoin de notre aide et soutien et je pense tout particulièrement à la Palestine, la Syrie mais aussi l’Irak.

Nadia Tarhouni, présidente d'Uni*T.
Nadia Tarhouni, présidente d'Uni*T.

Une nouvelle page de l’histoire tunisienne s’écrit sans pour autant complètement tourner celle du benalisme. Quelles sont les réussites et les déceptions que vous entendez souligner ?

Nadia Tarhouni : La contre-révolution est là, elle l’a toujours été, elle n’est d’ailleurs jamais partie. Ben Ali était une partie émergente de l’iceberg. Restons vigilants. Maintenant, le vote est un moyen de régulation, nous avons fait le choix des urnes. Le challenge est énorme. L’exclusion par les urnes est un défi pour les forces pro-révolution. Nous apprenons à gérer le passé, le présent et nous préparons l’avenir. Il faut nous laisser le temps d’apprendre de nos réussites et de nos erreurs.

Si je devais choisir « un » raté de la Troïka, je choisirai la justice transitionnelle. Et surtout la possibilité historique qu’ils ont eue dans les premiers mois de mettre en place un tribunal exceptionnel, avec des lois exceptionnelles, afin de pallier à la justice actuelle qui a traité les dossiers de l’ancien régime comme des dossiers lambda. Pas de preuves, pas de poursuites. Comme ci l’ancien régime allait attendre patiemment ses procès pour détruire les preuves de leurs horreurs…

Des choses commencent à se mettre en place, nous y verrons plus claire après les élections. Pour les réussites, la première question y a un peu répondu, mais rien qu’être face à un pays qui organise ses deuxièmes élections libres est un immense succès.

Vous avez réalisé, avec Jeunes Tunisiens de France (JTF), « 1 minute pour convaincre ». Qu’est-ce qui vous a convaincu de répéter l’opération en 2014 ?

Nadia Tarhouni : L’union fait la force et le travail avec JTF était un plaisir. L’ensemble de nos membres ont effectué un travail remarquable. Cette initiative à mobilisé plus d’une dizaine de personnes. Pourquoi cette initiative ? Tout d’abord, ça avait plu en 2011 ! Mais il y avait alors plus de 40 listes, il y en a 19 cette fois-ci. Et depuis quelques semaines, les citoyens tunisiens nous ont interpellé : « Qui sont les 19 listes ? On n’a pas le temps de se renseigner sur ces listes. »

« 1 minute pour convaincre » permet de voir tous les candidats en peu de temps car, in fine, les gens n’ont pas le temps de regarder partout pour regrouper les informations. Le partenariat s’est très bien passé et les journées de tournage aussi. Les candidats ont joué le jeu et relevé le challenge ! Nous savions que ce n’était pas simple pour eux. L’objectif était vraiment de les faire connaître, tous aussi divers qu'ils soient, et encourager de ce fait les gens à aller voter. En quelques minutes, un citoyen peut visionner l’offre sur sa circonscription, et aller se renseigner sur ceux qui l’ont le plus intéressé.

Nous avons des moyens limités, nous n’avons pu mettre à profit cette expérience que sur notre circonscription (France Nord, ndlr).

Le Forum électoral le 18 octobre à Paris.
Le Forum électoral le 18 octobre à Paris.

Que retenez-vous de la myriade de candidats qui se présentent cette année dans les circonscriptions France Nord (1) et Sud (2) et à qui vous avez eu affaire ?

Nadia Tarhouni : J’ai eu affaire à tout le monde sur France Nord, je connais moins les candidats de France Sud ! Sur les 19 listes, seule une liste m’a annoncé ne pas faire campagne et n’a participé à aucune initiative. Il s’agit de Tayar al-Mahaba (Courant de l'Amour, ndlr), la liste numéro 4. Nous avons respecté son choix. Je ne sais pas s’il a changé d’avis depuis. Pour les autres, j’étais chargé du planning de tournage pour l’enregistrement de « 1 minute pour convaincre » et de la relation aux candidats pour la mise en place du Forum électoral qui s’est tenu le 18 octobre à Paris au Pavillon Wagram (sous l’égide de huit associations tunisiennes en France, ndlr) et où tous les partis étaient invités.

Il me semble que France Nord a les listes les plus jeunes en moyenne d’âge de toute la Tunisie, 33 ans je crois. Nous sommes fiers de cela. Nous n’avons cessé de promouvoir la jeunesse ! Avoir des interlocuteurs jeunes et sérieux a été très agréable, indépendamment de leurs appartenances politiques. La politique reste la politique, mais je les ai trouvé moins « virulents » qu’en 2011 où parfois les attaques ne volaient pas très hauts… cette fois-ci, c’était plus constructif, ils ont aussi retenu des leçons quant aux attentes des Tunisiens où qu’ils soient, et réalisent probablement l’ampleur de la tâche qui leur sera confié s’ils sont élus pendant cinq ans.

Que ressort-il le plus en commun des programmes ?

Nadia Tarhouni : Je n’ai pas tout lu, voir même peu lu de programmes, je n’ai pas encore eu le temps ! Néanmoins, il me semble que peu de partis se démarquent et qu’in fine, leur vision de la société reste compliqué à saisir à travers quelques lignes. L’aspect économique, les droits et les libertés mais aussi la place de la femme sont des sujets qui reviennent régulièrement.

Avez-vous aussi relevé des propositions ubuesques ou du moins qui sortent de l’ordinaire ?

Nadia Tarhouni : J’aurai du mal à en citer mais de fait, certains partis, ont des propositions populistes, avec des promesses irréalisables qui ne s’appuient sur rien. Ce sont en général ceux-là qui ont les propositions les plus ubuesques !

Comment donner le goût aux Tunisiens de l’étranger, binationaux ou pas, tous âges confondus, de s’impliquer davantage pour leur pays, son avenir ?

Nadia Tarhouni : Normalement c’est un donnant/donnant. Ca reste encore compliqué. La classe politique a déçu. Il y a un travail de confiance à travailler, qui prendra du temps et c’est normal car les relations ont été compliquées ces trois dernières années. Les Tunisiens de l’étranger attendent d’être reconnus comme des Tunisiens à part entière, surtout les binationaux. Ceux-ci veulent souvent s’impliquer, par différents moyens, économiquement surtout mais ce n’est pas simple techniquement parlant. Il y a besoin d’une modernisation du rapport entre l’Etat et les ressortissants tunisiens à travers le monde, cela passera par des réformes de fond. Il faut se rappeler qu’il n’y a encore pas si longtemps l’Office des Tunisiens à l’étranger (OTE) appelait les Tunisiens de l’étranger « la colonie tunisienne à l’étranger ». Il y a, à ce niveau, une nécessité de restructuration. Elle est en train de se faire je pense, mais ça prendra du temps.

Notre travail en tant qu'organisation de la société civile est sensé donner envie aux Tunisiens de l’étranger de s’impliquer. On propose une structure qui a vocation justement à les encourager à s’informer et à prendre part à ce qui se passe en Tunisie… c’est un travail de fourmi mais il est nécessaire. Ils ont beaucoup à apporter à la Tunisie.

Pour visionner les vidéos des candidats qui se sont soumis à l'exercice d'Uni*T/JTF « 1 minute pour convaincre », cliquez ici.

Ce qu'il faut savoir sur les élections législatives tunisiennes 2014

Les élections législatives tunisiennes en chiffres

33 : le nombre de circonscriptions que compte la Tunisie.
40 : la moyenne des listes pour chaque circonscription (contre 50 en 2011). Certaines en comptent jusqu'à 70.
1 327 : le total des listes acceptées par l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). 97 sont à l'étranger, dont 37 en France.
217 : le nombre de sièges appelés à être occupés le 26 octobre. 18 sont des députés de l'étranger.

311 034 : le nombre de résidents à l'étranger qui pourront voter aux législatives de 2014.
993 696 : le nombre de Tunisiens inscrits sur les listes électorales ces derniers mois.
5,236 millions : le total des électeurs inscrits depuis les élections de 2011.
8 millions : le potentiel du corps électoral tunisien.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


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