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Politique

Emine Bozkurt : « L’Europe doit changer »

Interview

Rédigé par Nassira El Moaddem | Vendredi 29 Mai 2009 à 23:16

           

Emine Bozkurt est député européenne néerlandaise d’origine turque. Elle appartient au PSE, Parti socialiste européen, deuxième regroupement politique au sein du Parlement européen, derrière le PPE (Parti populaire européen, de droite). Elle nous reçoit dans son bureau parlementaire à Strasbourg.



Emine Bozkurt : « J’ai toujours été attachée à l’Europe et j’ai eu besoin de passer à l’action. »
Emine Bozkurt : « J’ai toujours été attachée à l’Europe et j’ai eu besoin de passer à l’action. »

En France, la question de l’adhésion de la Turquie a été agitée dans cette campagne européenne. Certains hommes politiques ont d’ailleurs interprété le « non » français au référendum de 2005 comme une volonté du peuple de ne pas voir s’élargir encore plus l’Union. Que pensez-vous de cette interprétation ? Aux Pays-Bas aussi, vous avez voté « non » à ce référendum ?

Emine Bozkurt :
Le référendum de 2005 n’avait aucunement à voir avec la question de la Turquie, mais il interrogeait les citoyens sur leur acceptation ou non de la Constitution européenne. Je trouve cela dommage que l’on fasse ce genre d’interprétations qui existent d’ailleurs aussi aux Pays-Bas. Sur la question de la Turquie, rappelons que des négociations ont été ouvertes en 2005 et que l’unique question qui se pose est : la Turquie remplit-elle les critères de Copenhague ? La Turquie a lancé un long processus de réformes qu’elle doit poursuivre. Elle doit montrer des résultats. Mais ce n’est pas à la France ni à d’autre pays, seuls, de décider de cela. Quant à ce genre de déclarations, je pense que beaucoup de politiques pensent à d’autres enjeux électoraux. Car rappelons que l’on ignore combien de temps ces négociations d’adhésion prendront.

Certains regrettent une hypocrisie de la part de l’Union européenne et pensent que le véritable problème concerne l’islam. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs rappelé, dans un discours prononcé à Nîmes, que la Turquie « n’avait pas vocation à entrer dans l’Union » en ajoutant que « l’Europe n’a pas à s’excuser de son héritage chrétien ».

E. B. :
Il faut surtout rappeler une chose essentielle : la Turquie est certes un pays musulman mais c’est avant tout un pays laïc, et très attaché à cette laïcité. Il y a une séparation de l’État et de la religion. Il n’y a, je crois, pas de polémique à créer. Des chapitres de négociation ont été ouverts avec la Turquie, elle doit répondre aux critères de Copenhague comme n’importe quel autre pays. Ni plus ni moins. La vraie question aujourd’hui, c’est quelle direction nous voulons pour l’Union européenne. Je crois surtout que les traités doivent être changés car nous sommes désormais 27 et nous devons faire face à cet élargissement. Les compétences, par exemple, des députés européens devraient être élargies.

En France, les partis politiques ont du mal à mobiliser les électeurs. Qu’en est-il aux Pays-Bas ?

E. B. :
Je crois que c’est la même chose dans beaucoup de pays, malheureusement. Pourtant, le contexte devrait nous inciter à nous mobiliser plus. Je suis persuadée que si quelque chose doit être fait pour faire face à cette crise, c’est non pas au niveau national que cela sera efficace, mais bien au niveau européen, comme le marché du travail par exemple. Or la campagne n’est pas, à mon sens, assez ouverte sur la question de la crise alors qu’elle devrait y prendre tout son sens. Et puis, aux Pays-Bas, beaucoup ignorent même l’existence de ces élections et, en même temps, les gens se plaignent de l’Europe. Je crois que c’est la preuve que l’Europe doit changer.

Ce paradoxe, n’est-ce pas aussi la preuve que si les gens se plaignent de l’Europe tout en en réclamant plus, c’est qu’ils adhèrent à l’idée sans en comprendre les vrais enjeux ? Est-ce que vous, les politiques, n’avez pas non plus une part de responsabilité ?

E. B. :
Je crois surtout aux vertus de l’éducation. Moi, je n’ai pas attendu que l’on m’explique. Je m’y suis intéressée, j’ai étudié la question, j’ai appris grâce à mes études. C’est vrai qu’on devrait peut-être plus alerter les citoyens, en leur disant qu’ils peuvent nous appeler, que l’on est là pour eux et qu’ils peuvent nous contacter à tout moment.

Le Parlement reflète très peu la diversité des États qui le composent. Qu’en pensez-vous ?

E. B. :
Il y a beaucoup de progrès à faire au Parlement européen sur la question de la diversité. Il est clair que les États doivent faire de gros efforts pour que les gens qui siègent à Strasbourg reflètent la diversité des sociétés et celle des opinions aussi. Je vais vous raconter une anecdote. Lorsque je me rends en séance et que je vais pour rentrer dans l’Assemblée, eh bien, il m’arrive encore que l’on me dise : « Excusez-moi, Madame, mais ici c’est l’entrée des députés. » (Rires.) Plus sérieusement, je crois que cette élection, c’est aussi l’occasion de changer les choses.

Et le débat sur la diversité aux Pays-Bas, comment s’exprime-t-il ?

E. B. :
Nous avons les mêmes questionnements aussi aux Pays-Bas. Il est clair que les résultats en la matière peuvent être améliorés mais, depuis 1983, les citoyens étrangers peuvent voter aux élections locales et ont d’ailleurs voté pour la première fois en 1986. C’est une avancée démocratique importante. Cette évolution a permis, par exemple, qu’Ahmed Aboutaleb remporte les élections à Rotterdam et en devienne maire. Je crois en la puissance du vote : à partir du moment où tu as le droit de vote, tu as la possibilité de changer les choses. Si tu restes chez toi, que tu ne votes pas, je pense qu’on n’a alors pas le droit de se plaindre. En même temps, il y a un regain de discriminations à l’égard des étrangers et des immigrés et, notamment, sur la communauté marocaine. L’attitude de certains politiques et notamment celle du Parti de la liberté – parti populiste –, le PVV, est inquiétante, mais je reste optimiste en l’avenir.

La communauté turque aux Pays-Bas est-elle visible ?

E. B. :
C’est une communauté assez nombreuse, car il y a à peu près 450 000 Turcs ou d’origine turque aux Pays-Bas. Certains ont réussi à émerger, que ce soit dans le monde des affaires, en politique, dans la société civile. Je crois que c’est surtout une génération qui souhaite compter dans la société. Les parents n’ont pas eu cette chance-là. Les nouvelles générations souhaitent peser et avoir leur mot à dire, notamment en politique.

Pourquoi avez-vous choisi de vous orienter vers une carrière européenne ?

E. B. :
J’ai toujours été attachée à l’Europe. Je suis Néerlandaise d’origine turque et je vis entre Bruxelles et la France. Ma vie est européenne. Petite, je me souviens des voyages que l’on faisait pour se rendre en Turquie : nous traversions tous les pays d’Europe centrale et orientale. Ces trajets estivaux ont sans aucun doute inspiré mes orientations européennes. À l’université, j’ai étudié les langues européennes, dont le français et l’anglais, et je suis diplômée d’une maîtrise d’études européennes. J’ai toujours pensé que les enfants d’immigrés étaient plus ouverts sur ces questions-là. Mais je ne voulais pas être uniquement une observatrice ; j’avais besoin de m’engager et de prendre part concrètement au débat. J’ai travaillé pendant des années comme consultante et à un moment j’ai eu besoin de passer à l’action.

Vous êtes mariée et avez un enfant, comment conciliez-vous vie de famille et vie politique, notamment quand on a, comme vous, un mandat parlementaire qui nécessite des déplacements constants ?

E. B. :
Mon mari est metteur en scène de théâtre, donc il peut travailler en free-lance, ce qui me convient parfaitement ! Quant à mon fils, nous l’avons inscrit dans une école bilingue à Bruxelles. Grâce à cela, il parle allemand et français parfaitement, et nous lui apprenons le turc aussi. C’est un véritable Européen. Même si, pour moi, être citoyen en Europe ne veut pas dire oublier ses origines.

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