Yémen, Bahreïn, Liban, Irak, Koweït, Syrie... Autant de théâtres d'affrontements sanglants entre chiites et sunnites qui se déchirent bien plus pour des raisons géopolitiques que religieuses. Mais une autre guerre sévit entre ces deux camps. Une bataille pour préparer « les cœurs et les esprits » qui relève du « soft power », explique Yves Gonzalez-Quijano, chercheur au Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen Orient (Gremmo).
Le film de Moustapha Akkad, « Le Message », avec Anthony Quinn parmi les acteurs principaux, a marqué plusieurs générations de musulmans dans le monde. Même s’il est sorti en 1976, il reste une référence très importante. Un terrain très important est donc à conquérir dans le monde musulman. Pour l’enseignant de littérature arabe moderne et contemporaine à l'université Lumière Lyon 2, « il faut prêter attention à cette diplomatie d’influence qui se déplace du terrain du mot à celui de l’image », fait observer le chercheur.
Cette guerre oppose deux géants du monde arabo-musulman : l’Iran chiite, d’un côté, et les pays du Golfe, essentiellement le Qatar et l’Arabie Saoudite sunnites, de l’autre. Des acteurs nouveaux dans le règne de l’image qui était jusque-là représentés par les États-Unis. Si l’Égypte a toujours été un grand pays de films historiques depuis les années 1980 avec des biopics de Nasser ou de Hassan al-Banna, les autres grands pays pétroliers ont bien rattrapé leur retard.
Les images restent ainsi un des vecteurs et des symboles les plus anciens et les plus efficaces pour marquer les esprits, sensibiliser ou passer des messages, que ce soit avec des peintures, des gravures et, aujourd’hui, via les écrans de télévisions, d’ordinateurs et autres tablettes et smartphones.
Le film de Moustapha Akkad, « Le Message », avec Anthony Quinn parmi les acteurs principaux, a marqué plusieurs générations de musulmans dans le monde. Même s’il est sorti en 1976, il reste une référence très importante. Un terrain très important est donc à conquérir dans le monde musulman. Pour l’enseignant de littérature arabe moderne et contemporaine à l'université Lumière Lyon 2, « il faut prêter attention à cette diplomatie d’influence qui se déplace du terrain du mot à celui de l’image », fait observer le chercheur.
Cette guerre oppose deux géants du monde arabo-musulman : l’Iran chiite, d’un côté, et les pays du Golfe, essentiellement le Qatar et l’Arabie Saoudite sunnites, de l’autre. Des acteurs nouveaux dans le règne de l’image qui était jusque-là représentés par les États-Unis. Si l’Égypte a toujours été un grand pays de films historiques depuis les années 1980 avec des biopics de Nasser ou de Hassan al-Banna, les autres grands pays pétroliers ont bien rattrapé leur retard.
Les images restent ainsi un des vecteurs et des symboles les plus anciens et les plus efficaces pour marquer les esprits, sensibiliser ou passer des messages, que ce soit avec des peintures, des gravures et, aujourd’hui, via les écrans de télévisions, d’ordinateurs et autres tablettes et smartphones.
Yves Gonzalez-Quijano, chercheur au GREMMO.
Les représentations humaines interdites en islam ?
Pourtant, l’image reste taboue en islam, en particulier lorsqu’il s’agit de grands personnages religieux, sans même évoquer le Prophète Muhammad. « Il faut dynamiter le mythe selon lequel il n’y a pas d’images, et encore moins de figurations de personnes animées, donc dotées d’une âme, d’un souffle, en particulier de personnalités religieuses dans le monde musulman. Des témoignages abondent qui montrent que les images ont toujours circulé, avec des représentations humaines et y compris prophétiques », précise le chercheur.
Les faits sont en réalité beaucoup plus complexes, car « le visage du Prophète est caché par un voile blanc pour dissimuler ses traits. Il y a donc bien sûr des limites à sa représentation », commente le chercheur, évoquant des peintures persanes. Sur cette question des images de personnages religieux, « on ne peut pas nier qu’il y ait des oppositions majeures dans les grandes écoles de l’islam sunnite ou du chiisme, les avis sont partagés, la question est très discutée par les oulémas, les fuqaha ».
Pourtant, à la fin des années 1970, à Fès, au Maroc, « à la sortie des mosquées, on vendait des images reproduites mécaniquement avec les personnages d'Ali et de ses deux fils, de Joseph ou autre. Des sortes d’images d’Épinal, pourrait-on dire, dans une autre culture ». Elles étaient affichées dans les rues, les souks, les librairies… Une scène inimaginable aujourd’hui. « Il est quasi impossible de retrouver ces images dans les pays sunnites. Car, lentement mais sûrement, une autre conception, une autre pratique de l’islam s’est petit à petit installée sous l’influence des médias et de toutes sortes de relais de puissance utilisés par les pays du Golfe et par l’Arabie Saoudite. L’utilisation de l’image religieuse est considérée comme une forme de paganisme, une forme d’"associationnisme", donc un péché très grave. »
Ce rapport à l’image a toujours été différent selon que l’on est dans un pays majoritairement sunnite ou majoritairement chiite. Tant que les figurations restaient dans le domaine privé, elles ne posaient pas de problème en pays sunnite ; mais lorsque leur diffusion a pris des proportions de masse, cela est devenu différent. Moins opposé à l’image, l’Iran s’est, quant à lui, vite lancé dans le feuilleton religieux avant ses concurrents arabes.
Les faits sont en réalité beaucoup plus complexes, car « le visage du Prophète est caché par un voile blanc pour dissimuler ses traits. Il y a donc bien sûr des limites à sa représentation », commente le chercheur, évoquant des peintures persanes. Sur cette question des images de personnages religieux, « on ne peut pas nier qu’il y ait des oppositions majeures dans les grandes écoles de l’islam sunnite ou du chiisme, les avis sont partagés, la question est très discutée par les oulémas, les fuqaha ».
Pourtant, à la fin des années 1970, à Fès, au Maroc, « à la sortie des mosquées, on vendait des images reproduites mécaniquement avec les personnages d'Ali et de ses deux fils, de Joseph ou autre. Des sortes d’images d’Épinal, pourrait-on dire, dans une autre culture ». Elles étaient affichées dans les rues, les souks, les librairies… Une scène inimaginable aujourd’hui. « Il est quasi impossible de retrouver ces images dans les pays sunnites. Car, lentement mais sûrement, une autre conception, une autre pratique de l’islam s’est petit à petit installée sous l’influence des médias et de toutes sortes de relais de puissance utilisés par les pays du Golfe et par l’Arabie Saoudite. L’utilisation de l’image religieuse est considérée comme une forme de paganisme, une forme d’"associationnisme", donc un péché très grave. »
Ce rapport à l’image a toujours été différent selon que l’on est dans un pays majoritairement sunnite ou majoritairement chiite. Tant que les figurations restaient dans le domaine privé, elles ne posaient pas de problème en pays sunnite ; mais lorsque leur diffusion a pris des proportions de masse, cela est devenu différent. Moins opposé à l’image, l’Iran s’est, quant à lui, vite lancé dans le feuilleton religieux avant ses concurrents arabes.
Majid Majidi, réalisateur iranien du biopic sur le Prophète Muhammad.
Le tournant du feuilleton « Omar »
Ainsi, malgré son opposition franche du départ, l’industrie cinématographique sunnite s’est rapidement mise en branle, pour rattraper l'Iran. « Chose complètement improbable, l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui se détestent, se sont associés pour cofinancer la série la plus chère de l’histoire du film arabe, le biopic d’Omar Ibn Khattab, le deuxième calife », commente Yves Gonzalez-Quijano.
La chaîne MBC a frappé fort en diffusant la série lors du Ramadan 2012. Malgré les critiques à sa sortie, c'est un succès fulgurant pour ce feuilleton diffusé dans les pays arabes, en Turquie, en Indonésie, sans oublier Internet. « Ce feuilleton a eu un impact très fort dans les pays arabes et également dans les pays européens à forte population musulmane. Nous n’avons pas de chiffres mais on le voit dans les partages sur YouTube ou à travers les traductions en français notamment », précise le chercheur. C'est un tournant pour le cinéma des pays du Golfe. Depuis une dizaine d'années, la production cinématographique explose, les investissements comme les festivals de Tribeca, de Doha, d’Abu Dhabi et de Dubaï se multiplient.
La chaîne MBC a frappé fort en diffusant la série lors du Ramadan 2012. Malgré les critiques à sa sortie, c'est un succès fulgurant pour ce feuilleton diffusé dans les pays arabes, en Turquie, en Indonésie, sans oublier Internet. « Ce feuilleton a eu un impact très fort dans les pays arabes et également dans les pays européens à forte population musulmane. Nous n’avons pas de chiffres mais on le voit dans les partages sur YouTube ou à travers les traductions en français notamment », précise le chercheur. C'est un tournant pour le cinéma des pays du Golfe. Depuis une dizaine d'années, la production cinématographique explose, les investissements comme les festivals de Tribeca, de Doha, d’Abu Dhabi et de Dubaï se multiplient.
Le cinéma iranien n'a pas dit son dernier mot
Mais le cinéma iranien compte bien refaire parler de lui. Le célèbre réalisateur Majid Majidi a bouclé, cette année, son ambitieux film en trois volets sur le Prophète de l’islam. Avec un budget de 30 millions de dollars, le plus cher de l’histoire du cinéma iranien. « Muhammad, le Messager de Dieu » a été présenté au Festival international du film de Téhéran au début de l’année. L'ayatollah Ali Khamenei s’était lui-même rendu sur les lieux du tournage en 2012. « Mais sa diffusion publique traîne un peu pour des raisons géopolitiques, semble-t-il. L’Iran est en train de négocier la sortie de l’embargo… Il ne faut froisser personne », commente Yves Gonzalez-Quijano.
En effet, dès l’annonce du tournage en 2012, la plus grande institution sunnite, Al-Azhar, a réagi par voie de communiqué : « Nous demandons à l’Iran de renoncer à ce film, pour que image non déformée du Prophète soit préservée dans l’esprit des musulmans. Nous lançons cet appel à tous les cinéastes à respecter les religions et les prophètes. »
L’Iran a donc rattrapé son retard et pris de l’avance sur le nouveau projet similaire du Qatar. Le petit pays des Emirats a, lui aussi, lancé un projet de biopic du Prophète s'offrant les services de Barrie Osborne, producteur américain du « Seigneur des anneaux », avec les conseils religieux de Yusuf al-Qaradawi. Le budget annoncé est pharamineux, il atteint 1 milliard de dollars. Qui fera le meilleur film ? La compétition est bel et bien lancée, pour ne pas dire la surenchère.
*Yves Gonzalez-Quijano tient depuis 2006 un blog/carnet de recherche Culture et politique arabes qui couvre l’actualité politique et culturelle du monde arabe.
En effet, dès l’annonce du tournage en 2012, la plus grande institution sunnite, Al-Azhar, a réagi par voie de communiqué : « Nous demandons à l’Iran de renoncer à ce film, pour que image non déformée du Prophète soit préservée dans l’esprit des musulmans. Nous lançons cet appel à tous les cinéastes à respecter les religions et les prophètes. »
L’Iran a donc rattrapé son retard et pris de l’avance sur le nouveau projet similaire du Qatar. Le petit pays des Emirats a, lui aussi, lancé un projet de biopic du Prophète s'offrant les services de Barrie Osborne, producteur américain du « Seigneur des anneaux », avec les conseils religieux de Yusuf al-Qaradawi. Le budget annoncé est pharamineux, il atteint 1 milliard de dollars. Qui fera le meilleur film ? La compétition est bel et bien lancée, pour ne pas dire la surenchère.
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