Félix Marquardt, membre fondateur de la fondation Al-Kawakibi pour la réforme de la pensée islamique. (Photo : © Saphirnews)
Né avec une cuillère d’argent dans la bouche, l’Américain décomplexé, amoureux de la France, a longtemps ignoré l’appel de Dieu avant de trouver Allah sur son chemin tortueux à la veille de ses 40 ans. Depuis, Félix Marquardt se dit changé et résolu à apporter sa pierre à l’édifice d’une réforme de l’islam aux contours qui génèrent encore du scepticisme auprès des nouveaux siens. Présentation.
Saphirnews : Pouvez-vous présenter Al-Kawakibi et les ambitions que vous projetez à travers cette fondation ?
Félix Marquardt : L’idée est née au lendemain des attentats du 7 janvier. J’étais invité par Anwar Ibrahim, le patron de l’opposition malaisienne à Kuala Lumpur (aujourd'hui en prison, ndlr) à intervenir dans une conférence avec Tariq Ramadan. J’avais déjà, avec Anwar, depuis longtemps le projet de monter une sorte de club de leaders d’opinion musulmans du monde entier, réformistes et, à la fois, démocrates. Avec Tariq, nous avons eu une conversation à trois voix que j’ai immédiatement ouverte à Ghaleb Bencheikh, qui nous a menés à réfléchir sur la façon de mettre fin aux caricatures de notre religion. Nous avons alors publié une première tribune.
L’objectif d’Al-Kawakibi est d’être l’entité qui organisera la 1re édition du Forum mondial de la réforme islamique en 2016 pour réunir des musulmans qui soient démocrates ou qui aient des aspirations démocratiques, et qui soient dans la réflexion d’une rénovation de la pensée islamique. L’importance de réunir des gens du monde entier tient aujourd’hui au fait qu’il y a un arabo-centrisme devenu néfaste à la cause des musulmans éclairés. Des autorités s’arrogent le droit de décider ce qu’est ou non l’islam, qui est un bon musulman, qui ne l’est pas, alors que ce sont des pays dont les gouvernements sont parmi les plus rétrogrades sur les plans politique, social ou même économique. L’islam arabe a une place très importante au sein de la famille de l’islam, mais cette hiérarchie qui s’est installée au fil des siècles et qui dit, en gros, que ce sont aux Arabes du Golfe, en particulier les Saoud, qui décident de comment marche l’islam ou, en tout cas, la partie sunnite n’est plus possible. Trois musulmans sur quatre ne sont pas Arabes.
Nous souhaiterions aussi faire en sorte de distinguer ce qui relève du culturel et du religieux ; ce qu’un musulman de Belgique, du Maroc, d’Indonésie ou des Etats-Unis ont en commun dans leurs pratiques et leur compréhension de l’islam, et le reste. (…) Enfin, on voudrait essayer d’élaborer une sorte de charte réformiste qui permette aux mosquées et aux institutions musulmanes du monde entier de s’en réclamer, et aux gens de se situer par rapport à la doxa prédominante dans différents endroits… On n’est pas en train de dire que tout le monde doit marcher avec Adnan Ibrahim, Mohamed Bajrafil (cofondateurs d’Al-Kawakibi, ndlr) ou Tareq Oubrou mais il faut qu’on puisse, dans la voie qu’on a choisie, le faire sans être traité de mauvais musulman.
L’objectif d’Al-Kawakibi est d’être l’entité qui organisera la 1re édition du Forum mondial de la réforme islamique en 2016 pour réunir des musulmans qui soient démocrates ou qui aient des aspirations démocratiques, et qui soient dans la réflexion d’une rénovation de la pensée islamique. L’importance de réunir des gens du monde entier tient aujourd’hui au fait qu’il y a un arabo-centrisme devenu néfaste à la cause des musulmans éclairés. Des autorités s’arrogent le droit de décider ce qu’est ou non l’islam, qui est un bon musulman, qui ne l’est pas, alors que ce sont des pays dont les gouvernements sont parmi les plus rétrogrades sur les plans politique, social ou même économique. L’islam arabe a une place très importante au sein de la famille de l’islam, mais cette hiérarchie qui s’est installée au fil des siècles et qui dit, en gros, que ce sont aux Arabes du Golfe, en particulier les Saoud, qui décident de comment marche l’islam ou, en tout cas, la partie sunnite n’est plus possible. Trois musulmans sur quatre ne sont pas Arabes.
Nous souhaiterions aussi faire en sorte de distinguer ce qui relève du culturel et du religieux ; ce qu’un musulman de Belgique, du Maroc, d’Indonésie ou des Etats-Unis ont en commun dans leurs pratiques et leur compréhension de l’islam, et le reste. (…) Enfin, on voudrait essayer d’élaborer une sorte de charte réformiste qui permette aux mosquées et aux institutions musulmanes du monde entier de s’en réclamer, et aux gens de se situer par rapport à la doxa prédominante dans différents endroits… On n’est pas en train de dire que tout le monde doit marcher avec Adnan Ibrahim, Mohamed Bajrafil (cofondateurs d’Al-Kawakibi, ndlr) ou Tareq Oubrou mais il faut qu’on puisse, dans la voie qu’on a choisie, le faire sans être traité de mauvais musulman.
Pour rebondir sur l’arabo-centrisme, vous voulez donner la part belle aux musulmans issus du continent asiatique. Comment leur influence peut-elle permettre le renouvellement de la pensée islamique ?
Félix Marquardt : A partir du moment où l’on a accepté qu’une refondation de la pensée islamique passe par des notions de démocratie, cela implique la démographie. On ne peut pas faire comme si la vaste majorité des musulmans d’Asie (1,1 sur 1,6 milliard de personnes dans le monde) n’est pas représentative de ce qu’est l’islam. En leur donnant une voix plus forte qu’ils ne l’ont actuellement à l’échelle mondiale, nous voudrions amener autant que possible ces musulmans à la table pour le respect de la démocratie.
Comment espérez-vous construire des passerelles entre les musulmans d’Asie et du monde arabe, avec les musulmans d’Europe et d’ailleurs, au regard des différences dans leurs pratiques quotidiennes (du fait des contextes) ?
Félix Marquardt : Il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas chose facile. Les musulmans d’Amérique du Nord ont des positions très avant-gardistes sur l’islam mais, en même temps, parfois déconnectées des réalités. Les musulmans d’Asie ou d’Amérique latine ont des complexes souvent assez importants vis-à-vis du monde arabe et il ne faut pas sous-estimer l’influence de l’Arabie Saoudite qui, depuis 40 ans, inonde de fric le monde entier pour la construction de mosquées qui propagent une vision wahhabite. Ils ont l’impression qu’il faut suivre ce qui vient du Golfe. Ce que l’on peut faire en amenant tout le monde dans la même salle, c’est de permettre aux gens de surmonter leurs complexes.
Avec du recul, pensez-vous qu’il était pertinent d’inviter Alain Finkielkraut au dîner de lancement d’une fondation qui a pour objet la réforme de l’islam ? Ne pensez-vous pas que c'était une erreur ?
Félix Marquardt : Je comprends bien entendu que le choix d’inviter Finkielkraut, comme celui de laisser notre hôtesse – ma mère (qui n’est pas musulmane) – servir du vin lors de la soirée puissent interroger. Le tort que mes choix nous ont causés, pris hors de contexte par l'extrême droite et les néo-salafistes, me fait penser que je reverrai ma copie pour les prochains dîners d’Al-Kawakibi.
Je reste néanmoins convaincu qu’il est essentiel pour les réformistes musulmans de ne pas fuir le débat avec ceux qui les vilipendent. Dans les années 1930, un Égyptien publiait le livre Pourquoi je suis un athéiste. La réponse fut non pas une fatwa ni une peine de prison, mais un livre d'un théologien, lui aussi égyptien, intitulé Pourquoi je suis un musulman...
Je reste néanmoins convaincu qu’il est essentiel pour les réformistes musulmans de ne pas fuir le débat avec ceux qui les vilipendent. Dans les années 1930, un Égyptien publiait le livre Pourquoi je suis un athéiste. La réponse fut non pas une fatwa ni une peine de prison, mais un livre d'un théologien, lui aussi égyptien, intitulé Pourquoi je suis un musulman...
Dîner de lancement d'Al-Kawakibi. © Saphirnews
Votre fondation siège à Paris. Pourquoi ce choix ?
Félix Marquardt : Parce que Paris est la capitale du premier pays musulman d’Europe et qu’il y a une vocation universaliste dans le discours français qui se prête bien au fait de se baser ici. J’ajouterai aussi le contexte : la France vient de se prendre une grosse gifle avec les attentats de Charlie, les crispations identitaires sont en train de s’accentuer. Aussi parce qu’il y a un déficit de fierté de la communauté musulmane en France.
J’ai beau ne pas être Français mais j’habite ici et j’adore ce pays. Il y a une chance pour la France, en étant les hôtes de ce Forum, de permettre à une jeunesse musulmane, qui vit une sorte de schizophrénie, de se réapproprier une certaine fierté. Certains n’en sont pas conscients mais les musulmans de France sont à l’avant-garde de l’islam mondial, leur place est enviée et enviable. Dans beaucoup de discours victimaires qu’on entend à tort et à travers – le complotisme dans lequel on se répand et on se complaît –, il y a un manque de lucidité par rapport à la chance d’être musulman de France. Ce n’est pas tous les jours facile de l'être mais, en réalité, c’est une vue de l’esprit : il vaut mieux être musulman en France que dans la plupart des pays du monde.
J’ai beau ne pas être Français mais j’habite ici et j’adore ce pays. Il y a une chance pour la France, en étant les hôtes de ce Forum, de permettre à une jeunesse musulmane, qui vit une sorte de schizophrénie, de se réapproprier une certaine fierté. Certains n’en sont pas conscients mais les musulmans de France sont à l’avant-garde de l’islam mondial, leur place est enviée et enviable. Dans beaucoup de discours victimaires qu’on entend à tort et à travers – le complotisme dans lequel on se répand et on se complaît –, il y a un manque de lucidité par rapport à la chance d’être musulman de France. Ce n’est pas tous les jours facile de l'être mais, en réalité, c’est une vue de l’esprit : il vaut mieux être musulman en France que dans la plupart des pays du monde.
Les musulmans de France, et même d’ailleurs, sont assez perméables au discours salafisant. Pour vous, la réforme de la pensée islamique passe-t-elle par une confrontation franche et directe contre l’idéologie wahhabite ou y a t-il un préalable au dialogue avec des penseurs de cette tendance ?
Félix Marquardt : Je n’ai aucun problème à dialoguer avec des gens qui sont prêts à le faire, y compris des salafs. Maintenant, je veux appeler à la circonspection et au fait que les discours et les dialogues soient francs. Aujourd'hui, il y a des salafs qui ont un discours en France qui paraît et qui est tout à fait pacifique. C’est : « Foutez-nous la paix, je veux faire mes trucs à l’ancienne… et puis, je ne force personne à se convertir à l’islam. » Le problème, c’est qu’il faut vivre ensemble. (…) Je suis prêt à parler avec tout le monde mais je veux le faire en usant de ma raison et de mes moyens intellectuels. Les discours de sourds ne nous emmèneront pas très loin.
Ce qui m’intéresse n’est pas pour moi de regarder les types qui ne sont pas comme moi en les pointant du doigt, mais c’est plutôt de faire en sorte que de moins en moins de jeunes trouvent rock ’n’ roll de rejoindre les rangs de ceux dont le discours dérange. Pour cela, il faut discuter, comprendre d’abord qu’on vit dans des sociétés en Occident où les gens deviennent adultes entre 25 et 30 ans et, avant, ils peuvent être convaincus par n’importe quoi et n’importe qui, il faut être clément là-dessus… Je préfère avoir un discours d’échange qui me permette de comprendre quel est le problème des gens que j’ai en face et, sans être condescendant, de discuter de leur vision.
Ce qui m’intéresse n’est pas pour moi de regarder les types qui ne sont pas comme moi en les pointant du doigt, mais c’est plutôt de faire en sorte que de moins en moins de jeunes trouvent rock ’n’ roll de rejoindre les rangs de ceux dont le discours dérange. Pour cela, il faut discuter, comprendre d’abord qu’on vit dans des sociétés en Occident où les gens deviennent adultes entre 25 et 30 ans et, avant, ils peuvent être convaincus par n’importe quoi et n’importe qui, il faut être clément là-dessus… Je préfère avoir un discours d’échange qui me permette de comprendre quel est le problème des gens que j’ai en face et, sans être condescendant, de discuter de leur vision.
La fondation Al-Kawakibi a-t-elle vocation à ne se positionner que sur des questions d'ordre théologique ? Peut-on véritablement envisager une profonde réforme en évacuant les facteurs exogènes (racisme institutionnalisé, colonialisme, capitalisme outrancier…) qui peuvent constituer des obstacles à ce travail ?
Félix Marquardt : En tant que réformistes, nous devons publiquement exprimer notre attachement aux valeurs des Lumières et au respect des libertés individuelles, sans jamais oublier qu'à l'échelle mondiale les musulmans sont les premières victimes, à la fois des intégristes souvent violents qui se réclament de l'islam et des autocrates séculaires qui se présentent comme les seuls remparts contre ces derniers. Al-Kawakibi n'a à priori pas vocation à s'emparer de questions exogènes, mais elle compte bien rappeler sans cesse que la liberté, l’égalité des droits pour l’ensemble des citoyens, l’Etat de droit, le suffrage universel, la responsabilité des élus et la séparation des pouvoirs (religieux et politique) sont des principes auxquels une majorité de musulmans adhérent au 21e siècle.
Quelles sont les points d’avant-gardisme de l’islam dans son temps que vous retenez et le parallèle que l’on peut faire aujourd’hui ?
Félix Marquardt : La première fois que j’ai lu le Coran, je faisais des études aux Etats-Unis (…) et j’ai été frappé à l’époque par son avant-gardisme incontestable dans la manière d’encourager un changement de pratique. Jusqu’à l’arrivée de l’islam, en Arabie, on enterrait les veuves avec leurs époux défunts ; on faisait témoigner quatre femmes pour un homme dans une dispute devant un juge : on est passé à deux femmes avec l’islam.
Aujourd'hui, le problème est qu’on est resté sur deux femmes. L’avant-gardisme de l’islam, qui est en fait une de ses caractéristiques transcendantales, fait qu’on ne peut pas rester sur le « deux » qui donne l’air d’être archaïque. Il faut continuer d’être en avance. La question de tout bon musulman est comment on continue d’être dans l’innovation, de célébrer des choses qui font des êtres humains des êtres de progrès. Je suis toujours frappé par le fait qu’on ait perdu cette notion car on a fini par être obnubilé pour des questions vestimentaires, alimentaires et diverses marques de formalisme et par perdre de vue l’essentiel. L’islam, c'est avant tout la liberté, la miséricorde, la justice sociale, l’innovation. C’est avant tout l’égalité, entre autres des hommes et des femmes, des différentes religions. (…) C’est pour cela que l’éducation importe.
Aujourd'hui, le problème est qu’on est resté sur deux femmes. L’avant-gardisme de l’islam, qui est en fait une de ses caractéristiques transcendantales, fait qu’on ne peut pas rester sur le « deux » qui donne l’air d’être archaïque. Il faut continuer d’être en avance. La question de tout bon musulman est comment on continue d’être dans l’innovation, de célébrer des choses qui font des êtres humains des êtres de progrès. Je suis toujours frappé par le fait qu’on ait perdu cette notion car on a fini par être obnubilé pour des questions vestimentaires, alimentaires et diverses marques de formalisme et par perdre de vue l’essentiel. L’islam, c'est avant tout la liberté, la miséricorde, la justice sociale, l’innovation. C’est avant tout l’égalité, entre autres des hommes et des femmes, des différentes religions. (…) C’est pour cela que l’éducation importe.
Comment continuer d’être dans l’innovation sans tomber dans l’accusation qui ferait des réformistes des innovateurs (au sens de bid’a) ?
Félix Marquardt : On parle de réforme islamique mais, en réalité, la mission qu’on se fixe n’est pas de métamorphoser, de remaquiller ni de « vaticaniser 2 » l’islam, pas du tout. Il s’agit, au contraire, de retourner aux textes et à leurs fondamentaux. Adnan Ibrahim n’aurait pas autant de followers en Arabie si ce n'était pas le cas. C’est justement parce que son approche est éminemment religieuse. Retourner au texte donne des résultats ahurissants parce qu’en fait ceux qui pensent que la réflexion en islam ne doit venir que d’un certain point géographique et non d’un converti oublie que l’islam est par excellence la religion où la relation se fait entre Dieu et le croyant, point barre. Je n’ai pas besoin d’être adoubé par tel ou tel mec dans l’islam : ma relation est avec Dieu, je n’ai rien à faire des commentaires contre moi. Je suis, entre guillemets, dans mon droit là-dessus par rapport au dogme islamique. Je pense qu’il est fondamental d’avoir une approche neuve et, en même temps, qui ne prétend à changer quoi que ce soit.
Un travail est entamé par le Centre de recherche sur la législation islamique et l'éthique (CILE), dirigé par Tariq Ramadan. Quelles différences nouez-vous entre Al-Kawakibi et le centre basé au Qatar ? Pour quelles collaborations futures ?
Félix Marquardt : Je suis déjà très content d’avoir pu réviser mon opinion sur Tariq Ramadan car j’avais été très largement mal informé par les médias français alors que Tariq dispose d’une crédibilité dans l’ensemble des pays de la communauté internationale, qui est troublante quand on connaît son image en France.
La réalité est qu’on a signé uniquement une tribune ensemble. Je me reconnais dans énormément de choses qu’il dit. C’est d’abord un vrai démocrate, j’y crois fermement. C’est une personne qui est parfaitement consciente des problèmes que rencontre notre religion dans le contexte contemporain et qui est très versée dans le sens critique.
Mais il est, à mon avis, timoré sur certains aspects de la réforme. Il a un attachement sur certains formalismes, vestimentaires par exemple, qui font partie, pour moi, des carcans. (...) A la seconde où l'on dit que les bons musulmans sont ceux qui font ci, et les mauvais, cela, ça me pose problème. Mais la réalité est que Tariq est le théologien, celui qui a une vraie science de l’islam ; moi, je suis un néophyte. Je n’aurais pas la prétention de développer plus mon propos.
Pour l’essentiel, ma rencontre intellectuelle et personnelle avec lui est belle. On n’est pas sur la même longueur d’onde sur tout, mais on est bien assez sur la même longueur d’onde pour avancer ensemble dans la réforme. On peut parler avec Tariq ; et ceux qui pensent qu’il n’est pas dans le camp des réformistes et des modernistes se fourvoient complètement.
La réalité est qu’on a signé uniquement une tribune ensemble. Je me reconnais dans énormément de choses qu’il dit. C’est d’abord un vrai démocrate, j’y crois fermement. C’est une personne qui est parfaitement consciente des problèmes que rencontre notre religion dans le contexte contemporain et qui est très versée dans le sens critique.
Mais il est, à mon avis, timoré sur certains aspects de la réforme. Il a un attachement sur certains formalismes, vestimentaires par exemple, qui font partie, pour moi, des carcans. (...) A la seconde où l'on dit que les bons musulmans sont ceux qui font ci, et les mauvais, cela, ça me pose problème. Mais la réalité est que Tariq est le théologien, celui qui a une vraie science de l’islam ; moi, je suis un néophyte. Je n’aurais pas la prétention de développer plus mon propos.
Pour l’essentiel, ma rencontre intellectuelle et personnelle avec lui est belle. On n’est pas sur la même longueur d’onde sur tout, mais on est bien assez sur la même longueur d’onde pour avancer ensemble dans la réforme. On peut parler avec Tariq ; et ceux qui pensent qu’il n’est pas dans le camp des réformistes et des modernistes se fourvoient complètement.
Vous dites vous-même que vous êtes un néophyte. On peut se demander quelle est votre légitimité à lancer une fondation sur la question de la réforme ? Quel est votre rôle dans cette fondation ?
Félix Marquardt : C’est une pertinente question, merci de la poser. Je suis 100 % d’accord : j’ai, en tout et pour tout, zéro légitimité, aucune autre à part celle d’être un croyant comme un autre, ni plus ni moins. En réalité, je n’ai aucune prétention fondée sur un savoir religieux, aucune expertise théologique. Ma spécialité est de rencontrer des gens et de les faire se rencontrer. Je prétends en l’occurrence être un catalyseur qui permet de faire en sorte qu’Adnan Ibrahim rencontre Financial Times. Je voudrais modestement, humblement, faire en sorte qu’on puisse réunir dans la même pièce Tareq Al-Suwaidan (célèbre prédicateur koweïtien, ndlr), Adnan Ibrahim et Amina Wadud (une figure du féminisme islamique, ndlr)… Je n’ai rien inventé. Tout ce que je fais est de mettre mon savoir-faire pour réunir les gens et faire du boucan.
Pour revenir à votre cheminement personnel, quelles ont été les rencontres ou les événements clés qui vous ont amené à l’islam ?
Félix Marquardt : Je me suis converti à l’islam il y a 11 ans pour épouser une Carthaginoise. Je suis allé devant le mufti de Tunisie dont le bureau était au ministère de l’Intérieur et je l’ai fait sans réfléchir une seconde parce que j’étais agnostique. Cela ne me posait aucun problème à l’époque de le faire pour me marier. Et, à la limite, cela me faisait bien marrer de faire de la provoc et de me convertir (sourires)... Il y a un an et demi, j’ai eu une crise personnelle très dure qui m’a fait remettre en cause la manière dont je menais ma vie et cesser de faire pas mal de bêtises. Avant, je faisais beaucoup la fête, j'avais des relations peu nettes avec les femmes, je me droguais… et j’ai arrêté… Enfin, Dieu m’a béni d’une sorte de capacité soudaine à ne plus faire ces choses.
Très rapidement après avoir arrêté, je me suis rendu compte que ce n’est pas moi qui avais réussi quoi que ce soit et que la seule manière pour moi de rester sain était, quelque part, d’honorer mon Créateur, celui qui m’a permis de changer de vie. Avoir une spiritualité pour moi est une question de vie ou de mort. Si j’arrête d’en avoir une, je peux crever de mes bêtises la prochaine fois... Moi qui étais très condescendant vis-à-vis de la théologie, je m’étais dit que si j’avais vécu sincèrement et spirituellement ma conversion il y a 11 ans, j’aurais pu m’épargner 11 ans de conneries. J’ai donc décidé a posteriori que cette conversion n’était pas anodine et la conversation que je voulais avoir avec Dieu se passera par le biais de l’islam.
Très rapidement après avoir arrêté, je me suis rendu compte que ce n’est pas moi qui avais réussi quoi que ce soit et que la seule manière pour moi de rester sain était, quelque part, d’honorer mon Créateur, celui qui m’a permis de changer de vie. Avoir une spiritualité pour moi est une question de vie ou de mort. Si j’arrête d’en avoir une, je peux crever de mes bêtises la prochaine fois... Moi qui étais très condescendant vis-à-vis de la théologie, je m’étais dit que si j’avais vécu sincèrement et spirituellement ma conversion il y a 11 ans, j’aurais pu m’épargner 11 ans de conneries. J’ai donc décidé a posteriori que cette conversion n’était pas anodine et la conversation que je voulais avoir avec Dieu se passera par le biais de l’islam.
Votre discours actuel sur l’islam était-il celui que vous aviez depuis le départ ?
Félix Marquardt : Mon affinité avec les réformistes ? Oui, elle date depuis longtemps. Ma connexion spirituelle et religieuse avec l’islam est récente mais ma connexion intellectuelle avec l’islam, les mouvements réformistes avec Mohamed Abduh, cela fait 15 ans.
Vous êtes un des initiateurs du manifeste « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous ! » en 2012. Quel message souhaitez-vous adresser à cette jeunesse musulmane qui songe à se barrer, bien évidemment pour des raisons économiques comme d’autres Français, mais aussi pour fuir un climat d’islamophobie ?
Félix Marquardt : C’est hyper important de songer à se barrer et je le comprendrai pour le jeune musulman de France car, disons les choses, la grande majorité est d’origine maghrébine et ils se prennent régulièrement des baffes, ils ont vu leurs parents se prendre des baffes racistes… Or un musulman d’origine maghrébine aux Etats-Unis, s’il a vécu en France, est un Français et, s’il n’a pas vécu en France, est un Américain.
C’est faux de dire que c’est atroce (pour le musulman) de vivre en France. En revanche, quand il est à Bruxelles, ce jeune va se rendre compte qu’il est non plus un Maghrébin mais un Français et qu’il est beaucoup plus à l’aise dans le jeu européen qu’un Roumain ou qu’un Bulgare. Pour moi, il y a deux vertus cardinales à se barrer : la première est de se rendre compte que le monde est grand, que le monde n’est pas hexagonal ; la deuxième est de se rendre compte de la chance qu’on a d’être Français et même d’être un musulman en France. Pour moi, le parcours idéal d’un jeune est celui qui décide de partir (…) pour revenir et faire usage des leçons apprises ailleurs et enfin savourer à sa juste valeur cette chance d’être musulman en France.
C’est faux de dire que c’est atroce (pour le musulman) de vivre en France. En revanche, quand il est à Bruxelles, ce jeune va se rendre compte qu’il est non plus un Maghrébin mais un Français et qu’il est beaucoup plus à l’aise dans le jeu européen qu’un Roumain ou qu’un Bulgare. Pour moi, il y a deux vertus cardinales à se barrer : la première est de se rendre compte que le monde est grand, que le monde n’est pas hexagonal ; la deuxième est de se rendre compte de la chance qu’on a d’être Français et même d’être un musulman en France. Pour moi, le parcours idéal d’un jeune est celui qui décide de partir (…) pour revenir et faire usage des leçons apprises ailleurs et enfin savourer à sa juste valeur cette chance d’être musulman en France.
BIO EXPRESS – FÉLIX MARQUARDT EN SEPT DATES
5 janvier 1975 : naissance du jeune Félix à Paris, d’un père avocat d’affaire austro-hongrois et d’une mère galeriste gréco-américaine qui exerce actuellement sur la place des Vosges. Après une jeunesse chaotique en France et des études ratées aux Etats-Unis, il décide de devenir producteur de rap en montant le label Kohiba Productions à la fin des années 1990. Ce fut un échec. Commence alors pour lui une longue traversée du désert.
2004 : Il devient directeur de communication du quotidien américain International Herald Tribune à Paris. Il le restera pendant deux ans.
2007 : Il fonde avec son frère de Marquardt & Marquardt, un cabinet de conseil en communication stratégique.
2009 : Lancement des Dîners de l’Atlantique, un événement mondain réunissant le gratin des décideurs internationaux afin d’aborder les principaux enjeux de notre époque. Le dernier Dîner de l'Atlantique remonte à novembre 2012. Ont alors suivi les Dîners Emerging Times, lancés à l'occasion du Forum économique mondial de Davos en 2013.
2012 : Il est un l'initiateur, avec le journaliste Mouloud Achour et le rappeur Mockless, du manifeste « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous ! »
Fin 2013 : Date d'une rencontre spirituelle avec l'islam, 11 ans après sa conversion de « forme » pour se marier avec une Tunisienne.
2015 : Lancement de la fondation Al-Kawakibi pour la réforme islamique.
5 janvier 1975 : naissance du jeune Félix à Paris, d’un père avocat d’affaire austro-hongrois et d’une mère galeriste gréco-américaine qui exerce actuellement sur la place des Vosges. Après une jeunesse chaotique en France et des études ratées aux Etats-Unis, il décide de devenir producteur de rap en montant le label Kohiba Productions à la fin des années 1990. Ce fut un échec. Commence alors pour lui une longue traversée du désert.
2004 : Il devient directeur de communication du quotidien américain International Herald Tribune à Paris. Il le restera pendant deux ans.
2007 : Il fonde avec son frère de Marquardt & Marquardt, un cabinet de conseil en communication stratégique.
2009 : Lancement des Dîners de l’Atlantique, un événement mondain réunissant le gratin des décideurs internationaux afin d’aborder les principaux enjeux de notre époque. Le dernier Dîner de l'Atlantique remonte à novembre 2012. Ont alors suivi les Dîners Emerging Times, lancés à l'occasion du Forum économique mondial de Davos en 2013.
2012 : Il est un l'initiateur, avec le journaliste Mouloud Achour et le rappeur Mockless, du manifeste « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous ! »
Fin 2013 : Date d'une rencontre spirituelle avec l'islam, 11 ans après sa conversion de « forme » pour se marier avec une Tunisienne.
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