Comment la gauche conçoit-elle la laïcité selon vous ?
Hamou Bouakkaz : Il y a aujourd’hui une certaine partie de la gauche qui fait de la laïcité une véritable religion. On y met tout ce que l’on veut pour exclure, alors que la laïcité initiale, c’était une laïcité d’inclusion. C’était un corpus de règles qui permettaient à tout le monde de vivre en société, sans nécessité de se renier, tout simplement en créant les conditions pour que l’espace public soit relativement viable.
Toute la gauche ?
H. B. : Non, pas toute la gauche. Il y a des gens qui ont une conception de la laïcité très inclusive. C’est le cas à Paris. Ici, on essaye de donner l’impression que chacun, à partir du moment où il paye ses impôts, où il fait partie intégrante de la communauté parisienne, est reconnu pour ce qu’il est et n’a pas à avoir honte d’être ce qu’il est. C’est pour cela que nous, plutôt que de stigmatiser, nous essayons de montrer ce que les cultures et les civilisations ont de beau quand elles s’exercent dans un endroit où elles sont libres de s’exprimer. C’est ce que l’on a fait en organisant une soirée du ramadan tous les ans ou en créant l’Institut des cultures d’islam.
Et pour cette gauche majoritaire, d’où vient le problème ?
H. B. : C’est l’idée que la laïcité vient parachever le triomphe de la vision de la civilisation occidentale progressiste comme supérieure aux autres. Celui qui n’est pas un adepte de cette civilisation est un type qu’il faut civiliser. Il ne peut pas, de son plein gré, en homme libre, succomber aux rites et aux croyances. On a, là aussi, une sorte d’excroissance des conflits de décolonisation. Je pense que, malgré tout, les têtes n’ont pas été décolonisées.
Mais, alors, la gauche ne fait-elle pas précisément du communautarisme tout en le critiquant ?
H. B. : Mais la gauche française est absolument communautariste. C’est une gauche qui favorise les statuts, les castes. Pour qu’il y ait lutte des classes, il faut qu’il y ait cohésion. Cohésion de classe, ça veut dire communauté. Tout cela est en train d’imploser, mais la gauche a une histoire communautariste de longue date.
En parlant ici de gauche, vous parlez de la gauche en général ou spécifiquement du Parti socialiste ?
H. B. : Je pense à la structure et à l’histoire du mouvement de gauche depuis un siècle. Je dirais même depuis les années 1950. La grande césure, c’est au moment du questionnement sur la colonisation. La base du PS se situe en droite ligne là-dedans. Mais il y a aussi des gens plus ouverts, des élus locaux, qui ont appréhendé ce phénomène autrement.
Que pensez-vous du vote du Sénat forçant les assistantes maternelles à se dévoiler chez elles ?
H. B. : Je trouve cela atterrant. D’abord, comment faire pour le vérifier ? On va mettre des caméras de surveillance chez les gens ? Chez moi, je fais comme je veux.
C’est là qu’il y a une limite qui a été franchie, puisque c’est la première fois qu’on s’immisce même dans l’espace privé, non ?
H. B. : Encore une fois, on veut domestiquer les animaux. On veut être certains que le dressage est assuré. On a donc renoncé à éduquer les gens.
Du coup, avec l’interdiction des sorties scolaires, par exemple, on les enferme chez elles ?
H. B. : Oui, c’est le but, alors qu’actuellement ce sont les femmes les plus engagées. Une femme n’est pas moins laïque parce qu’elle est voilée. Vous pouvez sortir promener vos enfants avec le nombril à l’air, des tatouages, des dreadlocks, des vêtements gothiques, mais pas voilée ! Pourtant, je suis totalement hostile au voile. J’adore les femmes, je n’aime pas qu’on les enferme. Mais plus on va être dans ce genre de lutte frontale, plus les femmes, pour des besoins d’affirmation identitaire, vont se voiler, c’est évident.
Avec le vote de ce type de loi pour les crèches, est-ce que les musulmans ne risquent pas de se sentir de plus en plus « trahis » par le PS ? Pour qui devraient-ils voter, dès lors, selon vous ?
H. B. : Evidemment, la gauche ! Il ne faut pas s’accrocher à ce type de provocations. Il ne faut pas essentialiser le problème. La gauche a du mal avec tout ce qui est singulier. Ce n’est pas un hasard si les trois lois qui ont structurellement changé la vie des personnes handicapées ont été plutôt votées par des gouvernements de droite. Cela ne veut pas dire que, lorsqu’elle est au pouvoir, elle ne traite pas mieux le pauvre, l’exclu. C’est quand même la gauche qui a fait le CMU, c’est elle qui est à l’origine de tous les acquis sociaux pour les plus démunis. Il faut donc adhérer massivement dans les partis de gauche pour se nourrir de l’esprit progressiste, du discours sur l’égalité et les aider à le faire vivre.
Pour moi, cette culture va décroître au fur et à mesure que les élites de la gauche, qui ont été fortement marquées par l’histoire coloniale, vont se retirer du jeu et laisser la place aux nouvelles générations. Par strict poids démographique, vous aurez de plus en plus de jeunes Français d’origine maghrébine qui auront accès à des postes à responsabilité. Il y aura probablement des députés d’origine maghrébine en 2012.
Pour moi, cette culture va décroître au fur et à mesure que les élites de la gauche, qui ont été fortement marquées par l’histoire coloniale, vont se retirer du jeu et laisser la place aux nouvelles générations. Par strict poids démographique, vous aurez de plus en plus de jeunes Français d’origine maghrébine qui auront accès à des postes à responsabilité. Il y aura probablement des députés d’origine maghrébine en 2012.
Vous pensez qu’il faut rester optimiste ?
H. B. : Quand vous êtes aveugle et arabe, vous êtes acculé à l’optimisme. Cela va se faire en dépit des gens qui y seront opposés. Dans dix ans, on se demandera comment gérer l’intégration des Indiens et des Chinois. Même si c’est vrai qu’il y a le problème de la colonisation. Beaucoup de dirigeants socialistes arrivent à prendre conscience de ces problèmes par moment. Les plus enracinés localement et les plus jeunes s’en rendent aussi vraiment compte. Et au PS, quand on persévère, cela fait avancer les choses.
Il y a des gens du Parti socialiste qui vous ont trouvé trop dur. Comment a réagi M. Delanoë, par exemple ?
H. B. : Certains m’ont trouvé dur, mais ce n’est pas grave, ce n’est qu’un point de vue. Je ne donne pas de leçon, j’essaye seulement de poser des diagnostics en soulevant des questions. Non, M. Delanoë n’est pas tout à fait d’accord avec le constat mais, par sa pratique innovante, il montre la voie à suivre pour en finir avec le parti-secte et passer au parti-bouquet des singularités.
Dans votre livre, vous liez l’exclusion de la personne handicapée et celle de l’Arabo-musulman. N’a-t-on pas, dans les deux cas, le souci d’enfermer derrière des murs ceux qui ne correspondent pas à l’image de la normalité ?
H. B. : Oui, c’est la même logique. La norme exclut de plus en plus de gens. Regardez le nombre de femmes qui se font faire des implants mammaires. Les gens se provoquent ainsi des cancers, parce que l’on est dans une société où le vieux et l’handicapé ne sont pas normaux.
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