© DR / Haoues Seniguer
Saphirnews : Quel regard posez-vous sur le Forum de l'islam de France ?
Haoues Seniguer : Un regard prudent dicté par un rapport critique au « présentisme » et, surtout, à plus de vingt ans de tentatives plus ou moins fructueuses ou infructueuses d’organisation « par le haut » de l’islam de France.
Ce qui caractérise fondamentalement le Forif, c'est qu'il s'agit d'une tentative de construire un islam « organisé » par le bas. Autrement dit, les services de l’Etat souhaitent partir des départements, des territoires, du travail des acteurs musulmans à l’échelle locale, pour structurer tant soit peu l’islam de France : un islam qui ressemblerait plus au terroir, aux couleurs et dynamiques des territoires, avec moins de centralisme parisien que par le passé. Le Forif a ainsi pour vocation affichée de fluidifier les relations entre l’Etat, les représentants locaux de l’islam de France et leurs fidèles.
Ce qui caractérise fondamentalement le Forif, c'est qu'il s'agit d'une tentative de construire un islam « organisé » par le bas. Autrement dit, les services de l’Etat souhaitent partir des départements, des territoires, du travail des acteurs musulmans à l’échelle locale, pour structurer tant soit peu l’islam de France : un islam qui ressemblerait plus au terroir, aux couleurs et dynamiques des territoires, avec moins de centralisme parisien que par le passé. Le Forif a ainsi pour vocation affichée de fluidifier les relations entre l’Etat, les représentants locaux de l’islam de France et leurs fidèles.
L’idée de partir des territoires m’apparaît inspirée et inspirante, car c’est le cœur battant de l’islam du quotidien.
Quels rapports se nouent-ils aujourd'hui entre l'Etat, sous l'ère Macron, et les acteurs musulmans ?
Haoues Seniguer : La question dépasse amplement celle des « acteurs musulmans ». Il est difficile de répondre définitivement ou d’un seul bloc à cette question tant les relations ou le rapport à l’islam depuis 2017 sont en dents de scie. On se rappelle quelques « sorties » présidentielles au sujet des femmes portant le foulard, vu comme attentatoire à la civilité française, ou celle de son ministre de l’Education de l’époque, Jean-Michel Blanquer, du même acabit. Sans compter celles de son ministre de l’Intérieur, à l’oral, lorsqu’il évoqua les rayons halal et casher des supermarchés, ou à l’écrit, assumant de ce point de vue une position ouvertement gallicane au sujet spécifique de l’islam avec lequel il faudrait procéder à la manière des juifs de France à l’époque de la convocation du Grand Sanhédrin en 1807 sous Napoléon...
Je pourrais aussi évoquer la Charte pour les principes de l’islam de France initiée par l’Elysée fin 2020, puis portée à bout de bras par un CFCM « moribond » dont le ministre de l’Intérieur dira quelque temps après, en janvier 2022, de manière unilatérale, « qu’il a vécu ».
La loi du 24 août 2021, en dépit des « ruses » de la raison politique et juridique pour la rendre « impersonnelle » et de portée « générale », a, aux origines, clairement visé l’islam et ses manifestations jugées plus enclines à « la déviance » que d’autres pratiques sociales et religieuses. C’est une atmosphère générale de suspicion qui s’est donc progressivement installée, catalysée par des tragédies nationales à l’instar de l’assassinat par un islamiste radical de Samuel Paty le 16 octobre 2020, qui a rythmé les relations entre les plus hautes sphères de l’Etat et les représentants réels ou présumés de l’islam.
Peut-être s’agira-t-il justement à présent de réassurer les partenaires musulmans du dialogue pour corriger ce qui peut l’être en matière de gestion dépassionnée du fait islamique, sans l’accompagner de gestes ou de discours qui pourraient apparaître méprisants, paternalistes ou infantilisants.
Je pourrais aussi évoquer la Charte pour les principes de l’islam de France initiée par l’Elysée fin 2020, puis portée à bout de bras par un CFCM « moribond » dont le ministre de l’Intérieur dira quelque temps après, en janvier 2022, de manière unilatérale, « qu’il a vécu ».
La loi du 24 août 2021, en dépit des « ruses » de la raison politique et juridique pour la rendre « impersonnelle » et de portée « générale », a, aux origines, clairement visé l’islam et ses manifestations jugées plus enclines à « la déviance » que d’autres pratiques sociales et religieuses. C’est une atmosphère générale de suspicion qui s’est donc progressivement installée, catalysée par des tragédies nationales à l’instar de l’assassinat par un islamiste radical de Samuel Paty le 16 octobre 2020, qui a rythmé les relations entre les plus hautes sphères de l’Etat et les représentants réels ou présumés de l’islam.
Peut-être s’agira-t-il justement à présent de réassurer les partenaires musulmans du dialogue pour corriger ce qui peut l’être en matière de gestion dépassionnée du fait islamique, sans l’accompagner de gestes ou de discours qui pourraient apparaître méprisants, paternalistes ou infantilisants.
Lorsque le président déclare aujourd'hui que « le Forif participe de cette ambition d'un réveil républicain » qui entend assurer aux musulmans « l’accès à un islam des Lumières », qu'est-ce qu'une telle aspiration vous inspire ?
Haoues Seniguer : J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer dans mon ouvrage récent (« La république autoritaire. Islam de France et illusion républicaine », Le Bord de l’Eau, 2022, ndlr) et en dehors une critique forte sur ce type de déclaration ou d’ambition parfaitement démesuré ou inadéquat à la situation.
J’y vois deux problèmes principaux qui trahissent in fine deux préjugés dont n’arrive pas, décidément, à se dépêtrer le locataire de l’Élysée. D’une part, est-ce à dire qu’avant le Forif ou sans le Forif, les musulmans, en quelque sorte endoloris, furent ou sont en marge de la République, voire hostiles à ce que cette dernière peut symboliser, en termes d’idéal ou de lois ? Les musulmans, en règle générale, attendent d’être respectés, au même titre que les autres, et de ne pas être continûment tenus pour suspects de je ne sais quoi en raison de leur appartenance religieuse réelle ou présumée.
D’autre part, les faire « accéder à un islam des Lumières » suppose, outre une forme d’injonction paternaliste difficilement audible, qu’en dehors de cette vision philosophique de l’islam, point de salut pour les croyants français de foi musulmane. Quid des conservateurs musulmans, par ailleurs légalistes ? Seraient-ils moins acceptables ou solubles en République que d’autres de leurs concitoyens ? Ceux qui représentent l’Etat, le président de la République au premier chef, n’ont pas à appeler de leurs vœux l’avènement de telle ou telle option ou vision religieuse, mais à ce que chacun, quelle que soit sa conviction, librement consentie et exprimée, respecte formellement ou extérieurement la loi. Rien de plus. L’islam des Lumières, à supposer que la solution aux maux des musulmans s’y trouve (ce dont pour partie je doute), ne se décrète pas, il se construit avec celles et ceux qui le veulent bien.
J’y vois deux problèmes principaux qui trahissent in fine deux préjugés dont n’arrive pas, décidément, à se dépêtrer le locataire de l’Élysée. D’une part, est-ce à dire qu’avant le Forif ou sans le Forif, les musulmans, en quelque sorte endoloris, furent ou sont en marge de la République, voire hostiles à ce que cette dernière peut symboliser, en termes d’idéal ou de lois ? Les musulmans, en règle générale, attendent d’être respectés, au même titre que les autres, et de ne pas être continûment tenus pour suspects de je ne sais quoi en raison de leur appartenance religieuse réelle ou présumée.
D’autre part, les faire « accéder à un islam des Lumières » suppose, outre une forme d’injonction paternaliste difficilement audible, qu’en dehors de cette vision philosophique de l’islam, point de salut pour les croyants français de foi musulmane. Quid des conservateurs musulmans, par ailleurs légalistes ? Seraient-ils moins acceptables ou solubles en République que d’autres de leurs concitoyens ? Ceux qui représentent l’Etat, le président de la République au premier chef, n’ont pas à appeler de leurs vœux l’avènement de telle ou telle option ou vision religieuse, mais à ce que chacun, quelle que soit sa conviction, librement consentie et exprimée, respecte formellement ou extérieurement la loi. Rien de plus. L’islam des Lumières, à supposer que la solution aux maux des musulmans s’y trouve (ce dont pour partie je doute), ne se décrète pas, il se construit avec celles et ceux qui le veulent bien.
L’islam des Lumières, à supposer que la solution aux maux des musulmans s’y trouve, ne se décrète pas, il se construit avec celles et ceux qui le veulent bien.
De toutes les tentatives d'organisation du culte musulman en France ces dernières décennies, quelles chances donnez-vous au Forif ? A quelles conditions ?
Haoues Seniguer : Je ne saurai véritablement répondre à cette question. Le Forif a aujourd’hui, objectivement, autant de chance que le CFCM hier. Je pense que si, collectivement, on ne souhaite pas qu’il échoue, il faudra veiller à élaborer un cahier des charges viable, correspondant aux intérêts mutuels des musulmans de France, notamment versés dans le culte, et de l’Etat. Mais à la condition que l’Etat n’apparaisse pas trop comme « faiseur de rois ».
Il faudra veiller à des objectifs réalistes et conformes aux intérêts et besoins mutuels aussi bien des musulmans que de l'Etat.
Le Forif n'est pas, comme le fut le CFCM, un organe de représentation. Voyez-vous cette transformation comme inévitable ?
Haoues Seniguer : Le CFCM lui-même n’était pas un organe de représentation à proprement parler, sinon du culte. Finalement, peu importe le nom qu’on lui donne, dès lors que les objectifs, disais-je, soient réalistes et conformes aux intérêts et besoins mutuels de chacune des parties engagées dans le dialogue.
L’idée de partir des territoires m’apparaît inspirée et inspirante, car c’est le cœur battant de l’islam du quotidien. Nous verrons bien ce que cela donne, dans le temps. Mais attention à ne pas trop y mettre d’espoir et à y voir la solution à tous les problèmes d’organisation et de « représentation » des musulmans de France rencontrés depuis des décennies par les différents gouvernements successifs. Macron, pas plus que ses prédécesseurs, n’a aucune recette miracle. Il tente des choses, certes, ni plus ni moins.
Lire aussi :
Islam de France : le « triple pacte » d'Emmanuel Macron engagé avec le Forif
La république autoritaire. Islam de France et illusion républicaine, par Haoues Seniguer
L’idée de partir des territoires m’apparaît inspirée et inspirante, car c’est le cœur battant de l’islam du quotidien. Nous verrons bien ce que cela donne, dans le temps. Mais attention à ne pas trop y mettre d’espoir et à y voir la solution à tous les problèmes d’organisation et de « représentation » des musulmans de France rencontrés depuis des décennies par les différents gouvernements successifs. Macron, pas plus que ses prédécesseurs, n’a aucune recette miracle. Il tente des choses, certes, ni plus ni moins.
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