La mosquée de Genève possède un des quatre minarets de Suisse.
Pourquoi un tel débat en Suisse visant à interdire la construction de minarets ?
Il y a avant tout une spécificité suisse qui fait que ça passe par un vote populaire. On constate dans cette affaire une nouvelle focalisation – qui, elle, n’est pas seulement suisse mais se situe à l’échelle européenne – sur les enjeux symboliques ayant trait à l’islam.
Les minarets ne sont pas un enjeu social. Il y a actuellement deux projets de construction. C’est de l’ordre du marginal, mais c’est de l’ordre du symbolique ; exactement comme la question de la burqa en France où l’on avait recensé quelques centaines de cas. On avait en vérité là un débat lié à la banlieue et à la marginalisation qui n’a aucun rapport avec l’islam.
Le nouveau front de confrontation qui est en train de s’ouvrir en Europe, des deux côtés d’ailleurs, représente des enjeux qui sont complètement déconnectés des sociétés réelles. C’est le même problème pour l’affaire de la burqa, des minarets ou des caricatures.
Les minarets ne sont pas un enjeu social. Il y a actuellement deux projets de construction. C’est de l’ordre du marginal, mais c’est de l’ordre du symbolique ; exactement comme la question de la burqa en France où l’on avait recensé quelques centaines de cas. On avait en vérité là un débat lié à la banlieue et à la marginalisation qui n’a aucun rapport avec l’islam.
Le nouveau front de confrontation qui est en train de s’ouvrir en Europe, des deux côtés d’ailleurs, représente des enjeux qui sont complètement déconnectés des sociétés réelles. C’est le même problème pour l’affaire de la burqa, des minarets ou des caricatures.
Les vrais enjeux sont identitaires et non religieux ?
Il y a avant tout des enjeux strictement électoralistes de la part des partis politiques. Mais, plus profondément, il y a effectivement une vraie question identitaire, qui traverse l’ensemble de l’Europe aujourd’hui. L’Europe est-elle chrétienne, est-elle laïque ? En quels termes se définit-elle ? Ce nouveau foyer de tensions autour de la référence à l’islam fonctionne également comme miroir identitaire pour une Europe qui vit une période de remise en question.
L’image négative serait donc surtout liée à la recherche d’une identité européenne ?
Exactement. C’est lié au processus de construction européenne. Ce qui est le plus frappant dans les débats autour des minarets en Suisse, c’est l’absence totale des musulmans. On a certes invité Tariq Ramadan à elle Angle de débat » , mais globalement les pour et les contre se situent surtout dans le champ politique suisse. Les débats qui sont posés autour des minarets, dont dépendent la question de la tolérance, la question de la place du religieux dans l’espace public, de la gestion des minorités, de la nature de l’islam aussi, sont des débats sans suite. Un peu comme la question de la burqa en France, qui n’est débattue quasi qu’entre Français.
On ne demande pas l’avis des musulmans ?
La commission Stasi a montré le peu d’importance qu’on accorde à l’avis des musulmans. Mais ce que je voulais dire, c’est que c’est un débat qui ne concerne pas directement les musulmans, mais qui touche plutôt à la définition des identités politiques européennes aujourd’hui. Derrière les débats sur la burqa en France et les minarets en Suisse, il y a la question de la définition de l’espace public. Peut-il y avoir du religieux ?
C’est de cela dont parle le livre » Les Minarets de la discorde » , auquel vous avez participez ?
L’objectif du livre était de faire œuvre de salubrité intellectuelle dans un débat sur le projet d’inscrire dans la Constitution l’interdiction de la construction de minarets en Suisse. Le débat dure depuis environ un an, avec des positions assez radicales, principalement exprimées par la droite nationaliste.
Ce qu’on voulait faire, c’est apporter une contribution de chercheurs et d’académiciens à un sujet souvent posé avec des termes radicaux. On a essayé d’apporter un regard dépassionné à ce débat.
Ce qu’on voulait faire, c’est apporter une contribution de chercheurs et d’académiciens à un sujet souvent posé avec des termes radicaux. On a essayé d’apporter un regard dépassionné à ce débat.
L’islam pâtit des difficultés de l’Europe à se définir ?
C’est plus que ça. L’islam, en tant que figure d’altérité, sert précisément à définir l’identité d’un groupe. Là, je pense que très clairement l’islam a une fonction de miroir dans lequel l’Occident se regarde pour gérer ses propres crises. Étant donné le processus d’immigration, qui fait qu’on parle en Europe beaucoup plus d’islam qu’aux États-Unis, l’islam est l’altérité en quelque sorte la plus visible.
Il y a aussi l’instrumentalisation politique qui a contribué à faire de l’islam un miroir identitaire.
Il y a aussi l’instrumentalisation politique qui a contribué à faire de l’islam un miroir identitaire.
Pourquoi ?
L’Europe et les autres pays des environs sont dans une phase de remise en cause. On peut citer la question du statut des États-nations dans la définition des identités politiques, la construction européenne, mais aussi, au niveau plus local, la crise des sociétés et du lien social. Les poches de crise comme les banlieues montrent que l’État-nation est sapé à la fois par le haut, avec la globalisation, que par le bas, notamment dans les endroits considérés comme des zones de non-contrôle étatique.
Les musulmans ne sont-ils pas les principales victimes de cette stigmatisation ?
Je pense que les plus grands perdants dans cette histoire-là sont principalement les musulmans, surtout sur des sujets comme les minarets ou la burqa, qui ne font, par exemple, même pas consensus chez les musulmans eux-mêmes. Il y a une grande différence entre la burqa et le hijab. Avec ce dernier, on ne se coupe pas de la communauté française, alors que c’est le cas avec la burqa.
D’autant que l’opinion publique française a du mal à concevoir qu’on puisse être aussi bien contre la burqa que contre une loi qui l’interdirait…
Absolument. Ce genre d’initiative pousse à la radicalisation des opinions et empêche la diversité des approches. On peut très bien être musulman conservateur et avoir de sérieuses réticences par rapport à la burqa. La critique de la loi est indépendante de la position de chacun par rapport à la burqa. La question est : est-ce qu’il faut une loi pour légiférer sur une pratique religieuse et vestimentaire dans l’espace public ? Et on peut très bien être contre la burqa, mais aussi contre l’interventionnisme de l’État.
Quelle est votre position personnelle à propos de l’interdiction des minarets ? Vous êtes contre ?
Évidemment. J’analyse personnellement une approche fondamentaliste du religieux, y compris de la part de ceux qui s’y opposent.
L’UDC, l’Union démocratique du centre, qui est le parti qui a fait campagne autour de l’interdiction des minarets, prétend qu’ils ne sont pas contre la pratique religieuse, puisqu’ils ne sont pas contre les mosquées. Ils disent que les minarets ne relèvent pas de l’application canonique de l’islam. Ce qui est vrai, mais une religion ce n’est pas uniquement un dogme. C’est aussi une tradition culturelle et historique.
Il y a une espèce de convergence de visions entre l’attaque de l’islam, sur une base idéologique, et la position fondamentaliste musulmane, représentée par le courant salafiste qui veut aussi lutter contre l’Histoire et la culture. Du coup, en Suisse, les musulmans radicaux se sont peu mobilisés pour les minarets car, pour eux, l’absence de minarets n’est pas un problème. Ils ne relèvent pas de l’ordre du sacré. Pour eux, c’est une invention de l’Histoire et non quelque chose de directement islamique. Les opposants aux minarets vont finalement dans le même sens. La plupart des musulmans sont ainsi pris en otage par un débat qui leur est imposé.
L’UDC, l’Union démocratique du centre, qui est le parti qui a fait campagne autour de l’interdiction des minarets, prétend qu’ils ne sont pas contre la pratique religieuse, puisqu’ils ne sont pas contre les mosquées. Ils disent que les minarets ne relèvent pas de l’application canonique de l’islam. Ce qui est vrai, mais une religion ce n’est pas uniquement un dogme. C’est aussi une tradition culturelle et historique.
Il y a une espèce de convergence de visions entre l’attaque de l’islam, sur une base idéologique, et la position fondamentaliste musulmane, représentée par le courant salafiste qui veut aussi lutter contre l’Histoire et la culture. Du coup, en Suisse, les musulmans radicaux se sont peu mobilisés pour les minarets car, pour eux, l’absence de minarets n’est pas un problème. Ils ne relèvent pas de l’ordre du sacré. Pour eux, c’est une invention de l’Histoire et non quelque chose de directement islamique. Les opposants aux minarets vont finalement dans le même sens. La plupart des musulmans sont ainsi pris en otage par un débat qui leur est imposé.
Cette opposition à l’islam n’est-elle pas plus active ces dernières années ?
Il y a un regain de vitalité et une nouvelle fixation sur la question de l’islam. C’est le cheval de bataille de l’UDC depuis quelque temps. Alors qu’auparavant sa mobilisation se faisait surtout contre les immigrés ou la naturalisation, d’où une confusion constante dans le discours de cette droite-là entre l’image du musulman fondamentaliste et celle du dealer.
* Patrick Haenni et Stéphane Lathion (sous la dir.), Les Minarets de la discorde - Éclairages sur un débat suisse et européen, Éd. Religioscope - Gollion - Infolio, 2009, 112 p.
Lire aussi : « Les minarets de la discorde » : le débat autour des minarets en Suisse
* Patrick Haenni et Stéphane Lathion (sous la dir.), Les Minarets de la discorde - Éclairages sur un débat suisse et européen, Éd. Religioscope - Gollion - Infolio, 2009, 112 p.
Lire aussi : « Les minarets de la discorde » : le débat autour des minarets en Suisse
LES MOSQUÉES OUVRENT LEURS PORTES AUX SUISSES
Les musulmans de Suisse se mobilisent pour répondre au vent d’opposition à l’islam suscité par la campagne contre les minarets. Le 29 novembre prochain, les Suisses seront appelés à voter pour ou contre l’initiative populaire* voulant interdire la construction de nouveaux minarets en Suisse.
Émanant de la droite conservatrice, UDC en tête, elle est présentée comme un moyen de lutte contre « l'islamisation rampante » de la Suisse. Pour autant, les promoteurs de l’initiative se défendent de porter atteinte à la liberté de culte : ils se disent opposés non aux mosquées, mais au minaret même, qui est « très clairement le symbole d'un islam politique qui essaie gentiment de prendre sa place en Europe et en Suisse », comme l’explique Oskar Freysinger, député UDC.
Dans le cadre de la Semaine des religions, plus d'une centaine de mosquées ont organisé une journée portes ouvertes ce samedi 7 novembre. À quelques trois semaines de la votation fédérale sur l'initiative anti-minarets, l’aspect politique ne saurait être absent : « Nous espérons que ces rencontres permettront de construire un dialogue et d'améliorer la compréhension », déclare Hisham Maizar, président de la Fédération faîtière des communautés musulmanes de Suisse orientale.
La communauté musulmane, qui représente 5 % de la société suisse, revendique les mêmes droits, « ni plus ni moins », que les autres citoyens du pays.
Le Comité des droits de l'homme de l'ONU s’est déclaré, de son côté, inquiet face à l’initiative populaire visant à interdire la construction de minarets et à « la campagne d'affiches discriminatoire » qui l'accompagne. La Confédération helvétique a été exhortée à « assurer activement le respect de la liberté de culte et combattre fermement les incitations à la discrimination, à l'hostilité et à la violence ».
Le gouvernement, comme les deux chambres du Parlement, avaient déjà appelé au rejet du texte de cette initiative au nom des principes d’égalité et de liberté de culte. Cependant, une telle consultation populaire est légale, et ne saurait par là même être interdite. Par ailleurs, dans un communiqué commun, les deux plus importantes organisations représentant la communauté juive de Suisse se déclarent « résolument » opposées à l’interdiction des minarets.
* En Suisse, l'Initiative populaire est une procédure par laquelle un groupe de citoyens peut obtenir par pétition l'organisation d'un vote au Parlement ou un référendum sur un projet de loi, une révision constitutionnelle, une demande d'abrogation ou de création d'une loi.