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Société

L’Islam carcéral, une réalité ignorée en France

Rédigé par Nadia Swenny | Mercredi 1 Mars 2006 à 19:33

           

Les conditions de détention générale en France sont affligeantes. La prison est le miroir le plus sombre de la société et ses problèmes nous renvoient à des questions essentielles à la survie d’un équilibre vitale de cette même société. Selon Nikola Tietze, sociologue allemande «l’expression de l’islam dans les prisons françaises est une expression sociale. Sa condition déplorable dans le milieu carcéral est révélatrice de son intégration dans la société française, c’est un véritable défi pour ce pays. » L’exemple de l’islam dans les prisons françaises est impressionnant de révélations. Retour sur une discrimination certifiée au cœur du milieu carcéral.



Maison d'arrêt des hommes de Fleury Mérogis
Maison d'arrêt des hommes de Fleury Mérogis

Les conditions de détention en générale

Depuis la publication du rapport de la commission européenne concernant l'état des prisons françaises et les conditions d'incarcération, le débat est soulevé ! M. Alvaro Gil Robles, Commissaire européen aux droits de l'Homme déclare, « (…) de lieu de punition une prison doit devenir celui de la réinsertion et non pas celui du durcissement et de la préparation à la récidive. » Aujourd'hui, beaucoup s'alarment du caractère vengeur qu'a pris la mise en détention. Il faut cesser cette réaction répressive automatique d'une société agressée et qui n'a d'autres moyens que de sanctionner par un enfermement quasi immédiat et de plus en plus long. La justice française ne cesse d'abuser de son droit de mise en détention provisoire : 33% des personnes écrouées sont des prévenus (prisonniers pas encore jugés). Malgré la mise en place d'alternatives telles que les Travaux d'Intérêts Généraux, le nombre d'emprisonnements ne cesse d'augmenter. Il y aurait, cette année, plus de 60 000 détenus en France ! « Tout le monde sait mais tout le monde se tait » déclare Maître Maugendre, avocat à la cour au barreau de la Seine Saint Denis. La Maison d'Arrêt de Fleury Mérogis contiendrait 3390 détenus, tandis que sa capacité théorique d'accueil n'excède pas 3160 places. Un détenu me raconte : « Ma cellule doit faire à peu près 10 m² et nous sommes deux. Normalement se sont des cellules individuelles. Pour faire nos besoins ce n'est pas pratique : les toilettes sont ouvertes, alors on s'est fabriqué un rideau avec les moyens du bord. Et encore moi j'ai une des cellules les plus propres de tout le bâtiment et je ne la lâcherai pas !! Y en a où les murs sont tellement noirs que quand tu passes ta main t'es tout crade (…). A la télévision ils ont diffusé des images de mon bâtiment mais je vous assure qu'ils n'ont pas montré les cellules les plus sales !! » Le Commissaire européen va jusqu'à déclarer, au sujet des établissements de la Santé (Paris) ou des Baumettes (Marseille), « Le maintien de détenus en leur sein me paraît être à la limite de l'acceptable, et à la limite de la dignité humaine». Ces conditions inhumaines d'incarcération favorisent l'augmentation du taux de suicide. L'accès aux travailleurs sociaux (assistants sociaux pouvant aider les détenus dans différentes démarches) est très limité, pour la maison d'arrêt de Fleury Mérogis, il y a un travailleur social pour 140 détenus ! Le système médical est aussi scandaleux au point que « certains détenus ne veulent pas être soignés dans l'enceinte de la prison ! », affirme maître Maugendre. Enfin, le prix de la vie quotidienne est aussi endurci: le prix d'un paquet d'un kilogramme de sucre avoisine les 0,90€ dans une grande surface, il est de 1,27€ à la Santé, 1,48€ à Fleury-Mérogis et de 1,45€ à Strasbourg ! L'on imagine aisément le prix du kilo de viande Hallal ! La vie carcérale est une vie difficile, mais elle l'est encore plus pour les prisonniers musulmans qui veulent respecter certains préceptes de leur foi et aussi de leur culte.

Camion de livraison, Fleury Mérogis (91)
Camion de livraison, Fleury Mérogis (91)

L’Islam carcéral, un élément révélateur

Les musulmans forment la grande majorité de la population carcérale française. 50% à 80% des détenus dans les établissements proches des grands centres urbains et des quartiers sensibles sont musulmans. Et pourtant sur 186 établissements pénitentiaires et 918 aumôniers, seulement 69 sont musulmans, soit 7,5%. Selon l'article D434 du Code de procédure pénale « Les aumôniers ont pour mission de célébrer les offices religieux, d'administrer les sacrements et d'apporter aux détenus une assistance pastorale (...)». Nikola Tietze, sociologue allemande, a étudié l'islam dans les prisons françaises. Elle explique la diversité de la religiosité musulmane. Selon elle, il y a quatre manières d'expression de l'islam en prison : La première est une conception culturelle liée à l'origine immigrée du détenu ou de sa famille. Non pratiquant, il perçoit l'islam comme un statut social expliquant, selon lui, un racisme latent. La seconde dimension de l'islam est éthique. Il est utilisé comme moyen d'endurer l'enfermement et permet de retrouver une dignité personnelle. Le troisième cas est celui d'un islam échappatoire qui crée un autre monde : un « ailleurs ». Ces détenus sont souvent considérés comme des « fous » par les autres détenus. Enfin, pour les derniers, l'islam constitue une grille de lecture politique dont la pratique rituelle devient une bannière politique pour la remise en question de l'autorité carcérale et étatique. Souvent les croyants conjuguent ces logiques et créent un dynamisme. Face à cette énergie islamique, on ne peut que constater « l'absence de réponse institutionnelle à ce phénomène massif, l'impuissance de l'administration pénitentiaire à imaginer des solutions à ce problème. (…) La prière collective du vendredi est, dans de nombreux établissements, interdite. Elle devient donc clandestine. Les détenus ressentent ces règles comme des manifestations de mépris à leur égard » écrit le chercheur Farhad Khosrokhavar dans "L'islam dans les prisons" (Ed, Balland, 2004).

L'administration carcérale refuse de reconnaître l'islam dans son espace, Fleury Mérogis (91)
L'administration carcérale refuse de reconnaître l'islam dans son espace, Fleury Mérogis (91)
L'administration carcérale reconnait difficilement l'islam dans son espace, ce qui traduit un échec d'intégration pour cette « minorité musulmane» devenue majoritaire en prison. La difficulté de l'intégration du culte islamique dans le quotidien institutionnel des prisons françaises traduit un mal être plus général que l'on peut étendre à la société française dans son ensemble. Selon l'article 18 de la déclaration des droits de l'homme ratifiée par la France : « Toute personne a droit (…) à la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. » Et l'article D432 du Code de procédure pénale précise que : « Chaque détenu doit satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle. Il peut à ce titre participer aux offices ou réunions organisés par les personnes agréées à cet effet. » Logiquement, des citoyens son emprisonnés par l'Etat pour n'avoir pas respecté des lois. Comment alors leur faire entendre que l'Etat lui-même ne se conforme pas à certaines lois? Ainsi se pose aujourd'hui le débat sur la pratique de l'islam en prison pour les détenus musulmans en France.





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