Une initiative à voir au cas par cas
Au magasin Cora de Dreux, dans l'Eure-et-Loir, on affiche un certain optimisme. L'enseigne, pionnière en ce domaine, attend beaucoup de cette première expérience qui déterminera de la suite. Les musulmans de la région, après les humiliations de l'année précédente, affichent leur intérêt face à cette proposition commerciale. Mais ils savent que les musulmans sont devenus une cible marketing. Ces dernières années, la multiplication et la diversification des rayons hallal dans les hyper marchés traditionnels en témoignent. Mais le marché est encore mal connu.
A Gennevilliers (92), le magasin Carrefour, au coeur de la ville a tenté une ouverture sur ce marché de l'Aïd el-Kébir. La direction a aussitôt été contactée par les membres d'une association locale, Ennor, soutenue par d'autres associations du département. L'objectif était de s'assurer du « strict respect du rite musulman et proposer un travail de fond pour les années à venir ».
Dans le département voisin, en Seine-Saint-Denis, M. Khaled Bouchama, président de Conseil régional du culte musulman en Ile de France est deçu de sa visite dans un super marché de la ville de Stain. « Leur viande marquée Aïd ne l'est pas, déclare-t-il à l'AFP. C'est une publicité mensongère, ils promettent la livraison des carcasses de moutons « Aïd » à partir de 8 heures 30 mardi sur le parking du supermarché, alors que l'abattage ne doit commencer qu'après le lever du soleil à 8 heures 45. »
A Evry, dans l'Essonne, les choses se passent autrement. Dans un article publié par le quotidien Libération, l'on apprend que le recteur de la mosquée, le Cheikh Khalil Méroun, s'est longuement entretenu avec le directeur du magasin Carrefour de la ville. Pragmatique, selon son habitude, le Cheikh Méroun a finalement donné des consignes au directeur du magasin en lui fixant les normes à respecter pour que le sacrifice soit valide: ne pas sacrifier avant 9 heures 30 le premier jour de l'Aïd, dire le nom du client au moment de procéder au sacrifice. Accord conclu. « J'ai été rassuré, explique M. Méroun, et j'ai donné ma bénédiction ».
L’hypermarché, une initiative hallal et citoyenne
Il est à noter que les opérations que nous avons pu observer sont isolées. La cilbe publicitaire est souvent très locale, idéale pour des initiatives locales. A la direction nationale de Carrefour on affirme ne pas avoir connaissance d'une politique menée à l'endroit des musulmans durant la fête de l'Aid. Des magasins de l'enseigne, implantés dans des agglomérations à forte population musulmane, proposent ce type d'offres.
Le delai de livraison démeure un casse tête pour les promoteurs du mouton de l'Aïd. Pour des raions techniques, les moutons commandés pour l'Aïd ne seront délivrés qu'au deuxième ou troisième jour de la fête. Ce qui est une légère entorse aux habitudes traditionnelles…
Chaque année, les festivités de l'Aïd-el-adha donnent lieu à des polémiques relatives aux pratiques rituelles de cette fête. Le manque d'abattoirs, leur éloignement et la très forte affluence le premier jour de la fête, sont de nature à inciter aux abattages sauvages. La prolifération de scandales et rumeurs touchant les boucheries dites hallal conduit les musulmans à se tourner vers les traditionnels hypermarchés. A la fiabilité des labels et la confiance en une enseigne s'ajoute la sécurité juridique face aux répressions sévères des dérives clandestines. Et même si les piliers de la grande distribution française semblent n'en faire que peu de cas, ils jouent, au-delà du rôle commercial, un rôle citoyen important. Et participent incontestablement à l'appropriation nationale d'une fête musulmane tant décriée.
Risque de confusion
Fouad Alaoui, vice-président du Conseil Français du culte musulman (CFCM) déplore une confusion possible entre l'agneau de l'Aïd et la viande Halal : "Des milliers de consommateurs risquent d'être induits en erreur car il semble que l'on mélange la viande halal et le sacrifice". Le mouton de l'Aïd doit être sacrifié après la prière du même nom qui a lieu le matin du premier jour de la fête (soit le 10 janvier 2006, vers 9 heures). Outre ces écueils, M. Alaoui dénonçait aussi le « manque de transparence et de traçabilité », la liste des lieux d'abattage n'ayant pas été fournie aux Conseils régionaux du culte musulman.
Cette déclaration, à deux jours de la fête, met en lumière une fois de plus l'incompétence et le manque de moyens des institutions représentatives de la communauté musulmane à gérer ses propres affaires. Espérons que ces atermoiements augureront d'une prise de conscience collective pour les années à venir, afin que l'Aïd-el-kébir se déroule dans la sérénité. Cela ne sera pas possible avant que les CRCM sortent de leurs petites intrigues politiciennes pour s'unir et consacrer leur énergie à l'organisation du culte musulman en France. Cette intervention unilatérale des grandes surfaces dans le champ du culte musulman est un franc échec des CRCM. Car, malgré tout le bien que l'on peut en penser, il s'agit bien d'une exploitation mercantile du fait religieux par des institutions commerciales.