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Points de vue

L'agriculture en Algérie française, une illustration concrète du processus colonial au Maghreb

Rédigé par Mehdi Benchabane | Mardi 7 Juillet 2015 à 08:05

           


Depuis la fin des années 1830, l’État français incite les métropolitains au départ vers l'Algérie, afin de contribuer à la colonisation terrestre du pays. Au départ, ce fut une parcelle agricole gratuite (8 hectares en moyenne) contre une garantie d'exploitation, puis ce système se complexifia. La spoliation s’appuya sur une main mise des terres abandonnées, ou bien en s'emparant des parcelles détenues par des adversaires de la France.

Thomas Robert Bugeaud, alors grand artisan de la conquête de l'Algérie, contribue à cette installation de colons qui ne se limite pas aux Français mais attire aussi des Espagnols, des Italiens ou des Maltais. En 1847, on compte plus de 100 000 Européens (dont environ 50 000 Français) installés dans le pays, 15 000 vivent dans le monde rural.

A la fin des années 1860, l'Algérie est frappée par une crise économique, politique et sociale majeure (sécheresse entraînant des mauvaises récoltes, dépossessions foncières coloniales marquées par la pratique du cantonnement...) qui accroît les contestations anticoloniales. Après la défaite de Sedan en 1870, le rêve de Napoléon III d'un « Royaume arabe » prend fin, une assimilation forcée est instituée par la IIIe République.

Il n'en demeure pas moins que la pratique de la dépossession foncière ne change pas, et va même s'aggraver. Une révolte éclate dans le Constantinois et dans toute la Kabylie menée par le bachaga Mokrani en 1871, la répression des autorités coloniales est féroce, le soulèvement devient un argument pour justifier les dépossessions agricoles. Près de 450 000 hectares de terres sont confisquées, en plus des 480 000 hectares déjà « légalement volés » depuis 1830. « Pour la population insurgée, le coût de la guerre se montait à près de 65 millions de francs-or, soit 70 % du capital des indigènes touchés, certaines tribus durent mettre jusqu'à vingt ans pour s'acquitter de leur dette. Pour la plupart, ce fut la ruine. » [2]

L'agriculture en Algérie française, une illustration concrète du processus colonial au Maghreb

Un phénomène aux graves conséquences

La loi Warnier du 26 juillet 1873 facilite cette dynamique coloniale en incitant les Algériens à vendre leur parcelle pour faire face aux impôts (arabes et coloniaux) ou à l'endettement, une fois la propriété rachetée par un Européen, celle-ci est obligatoirement divisée en plusieurs parcelles revendables. [1] La loi ré-institue une dynamique plus libre et privée. Moins coûteuse pour l’État, ce dernier n'hésite pas à s'appuyer sur la justice pour faciliter les expropriations. Au début de la décennie 1930, deux millions d'hectares sont entre les mains des Européens. En 100 ans, les « indigènes » ont quasiment perdu la moitié de leurs propriétés agricoles.

Ce phénomène contribue à l'appauvrissement généralisé des populations musulmanes qui vivaient pour l'essentiel d'une agriculture vivrière avant la colonisation, les famines se multiplient durant toute la fin du XIXe siècle (c'est une des causes du soulèvement porté par le bachaga Mokrani), les fellahs encore propriétaires détiennent des parcelles à la fois petites et pauvres, tout en étant écrasées par l'économie capitaliste, l'exode rural devient important accentuant le développement des bidonvilles dans les grandes villes algériennes (Alger, Constantine, Oran...).

L'agriculture coloniale est ainsi constituée de vastes propriétés, le blé et la vigne sont essentiellement exportées vers une métropole devenue indispensable après la crise des années 30. Le vin est la production la plus rentable des agriculteurs pieds-noirs. Près de 3000 familles de colons agricoles concentrent plus de 80% des terres colonisées à la veille de la guerre d'indépendance. [1] Le colonat algérien constitua durant les 130 ans de présence français en Algérie, un acteur incontournable de la vie politique exerçant une pression constante sur Paris afin de préserver ses intérêts au détriment des droits des Algériens. Il s'opposa par exemple au projet Blum-Violette (1936) visant à accorder la citoyenneté française à une élite de 25 000 Algériens.

[1] Bernard Droz, Main basse sur les terres, in L'Histoire, juin 2012
[2] Charles-Robert Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris, PUF, 1999 (édition corrigée et réactualisée).

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Mehdi Benchabane, professeur d’histoire-géographie, est notamment l’auteur de L’Émir Abdelkader face à la conquête française de l’Algérie (1832-1847), Edilivre, 2014. Il anime la page Facebook Histoire du Maghreb contemporain





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