L'intellectuel, selon la définition la plus couramment admise, est une personne dont la profession comporte essentiellement une activité de l'esprit ou qui a un goût affirmé pour les activités de l'esprit. Cette définition doit cependant être relativisée.
Dans une perspective gramciste[1], les intellectuels doivent être considérés en fonction de l'ensemble du système des rapports sociaux dans lesquels les activités intellectuelles et les groupes qui les personnifient sont situés. Les intellectuels doivent être étudiés en fonction des rapports de domination fondamentaux et des forces productives. Dans la société coloniale et post-coloniale un des rapports de domination axiale, pour ne pas dire le rapport de domination axiale, est celui qui permet la domination du colonisateur sur le colonisé et du post-colonisateur sur le post-colonisé; et au-delà la domination de la civilisation occidentale sur les autres civilisations.
Selon Antonio Gramsci, les intellectuels sont les fonctionnaires des superstructures politiques, culturelles et sociales. Par leur action ils permettraient à la société politique d'assurer "légalement" et "loyalement" la discipline des groupes subalternes ; dans notre cas les colonisés ou les post-colonisés. Dans cette perspective, ils aident à l'organisation de la société civile, par la production du "consensus" de la majorité aux formes de vie, aux modes de comportement, de pensée et aux pratiques institutionnelles imposées par le groupe dominant, pour nous les colonisateurs, comme autant de forme de direction. L'intellectuel à donc une fonction éminemment politique et idéologico-culturelle.
L'intellectuel peut aussi avoir un rôle "subversif" en décidant de devenir un intellectuel organique d'une fraction dominée de la société. Il devient dès lors un grain de sable dans l'hégémonie construite par le bloc historique dominant. Dans cette perspective, les intellectuels participeront à la production d'un nouveau bloc historique par la mise en crise, sur le plan politique et idéologico-culturel, du rapport de domination entre dominant et dominé ; entre colonisateur et colonisé. La production de ce nouveau bloc historique passe par le refus des colonisés puis des post-colonisés, et notamment des "intellectuels" parmi ceux-ci, de l'acceptation passive leur de subalternité.
Ce refus de la subalternité est capital dans la lutte contre le colonialisme puisque sa structure repose entièrement sur une idéologie instituant une hiérarchie entre les différents groupes humains. Dans la société coloniale ou post-coloniale, le colonisé ou le post-colonisé représente physiquement le groupe dominé politiquement, institutionnellement, idéologiquement et culturellement. De fait l'"intellectuel" peut avoir un rôle capital dans le refus de cette domination.
Parmi les intellectuels du Sud qui refusèrent cette domination idéologico-culturelle Frantz Fanon, Ali Shariati et Edward Saïd eurent un rôle d'avant-garde intellectuel. Leur pensée s'est avant tout caractérisée par un refus de voir les cultures non occidentales enfermées dans un statut de subalternité. Tout trois se voulurent des penseurs critiques et autonomes face au discours dominant produit en Occident.
Frantz Fanon est né à Fort-de-France en Martinique en 1925. Engagé dans l'armée française durant la seconde guerre mondiale, il est blessé au combat et décoré de la croix de guerre. En 1947, bénéficiant d'une bourse d'état, Frantz Fanon s'installe dans l'hexagone afin d'étudier le médecine à la faculté de Lyon. Il décide de se spécialiser en psychiatrie. En 1952, il publie son premier ouvrage, Peau noire masques blancs, dans lequel il aborde les rapports inégalitaires entre Noir et Blanc. L'année suivante, il est nommé à l'hôpital psychiatrique de Blida en Algérie. De là, il observe la réalité des rapports de dominations coloniaux, c'est-à-dire d'un monde dominé par les colonisateurs européens. Quelques mois après le déclanchement de la révolution algérienne, Fanon rentre en contact avec le Front de Libération National. En 1956, Frantz Fanon démissionne de son poste de médecin psychiatre et rallie le FLN. Il devient collaborateur de la presse nationaliste algérienne et publie en 1959 un essaie fracassant, L'an V de la révolution algérienne. Peu après il apprend qu'il est atteint d'un leucémie. Franz Fanon meurt en décembre 1961 alors que son ouvrage majeur, Les damnés de la terre, sort des imprimeries des éditons Maspero. Ouvrage culte, des sa sortie Les damnés de la terre exerça une influence considérable sur une grande partie des intellectuels et des militants des pays du tiers-monde, et notamment sur Ali Shariati et Edward Saïd.
Ali Shariati est né en 1933 à Mazinan dans le Nord-est de l'Iran. En 1952, à la fin de son 1ier cycle des études secondaires, il devient enseignant des lycées. L'année suivante il adhère au Mouvement de Résistance Nationale qui défend les idées de Mossadegh. En 1955, il rentre à la faculté des Lettres de Machad. Il obtient une bourse qui lui permet de se rendre en France en 1959. Là, il entre en contact avec le FLN et découvre l'?uvre de Fanon qu'il traduit partiellement en persan. Outre ses activités militantes il suit les cours de Louis Massignon, Jacques Berque et Georges Gurvitch. En 1963, il obtient un doctorat ès lettres à
Enfin, Edward W. Saïd est né en 1935 à Jérusalem. Il passa son adolescence en ?gypte puis parti poursuivre ses études aux Etats-Unis. Edward W. Saïd fut professeur de littérature anglaise et de littérature comparée à
Comme nous venons de le voir, ces trois intellectuels, dont nous allons étudier les positions, ont joué un rôle particulièrement important dans la lutte idéologico-culturelle menée par les peuples et les cultures dominés dans le monde colonial et post-colonial. Tous trois peuvent être considérés comme des références de la lutte idéologico-culturelle en pays colonisés.