Aimer la musique classique et grandir en banlieue n’est pas antinomique ! Par exemple, Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale), une initiative lancée en 2010 en Île-de-France, initie les enfants des quartiers populaires à la musique classique. Âgés entre 7 et 14 ans, les jeunes sont encadrés par des musiciens de l’Orchestre de Paris et de l’orchestre Divertimento, dirigé par Zahia Ziouani.
Le problème de la culture est réel au sein de nos quartiers. Le poser convenablement pourrait nous permettre de réfléchir dans la pratique sur le fond des impasses qui peuvent se dresser devant certaines ambitions artistiques de nos jeunes dans les zones difficiles. Il en va de l’épanouissement de beaucoup d’âmes et de l’apaisement de la société tout entière.
Je pars d’une anecdote dont j’ai pu mesurer l’équivalent chez de nombreuses autres personnes ayant eu des débuts similaires aux miens. À la suite d’une écoute en classe de collège d’un morceau de Mozart, j’ai aimé la musique classique et, sur son rythme, je trouvais qu’il était agréable de peindre mes fresques de graffiti. En rentrant un jour de la médiathèque de ma ville avec Les Quatre Saisons de Vivaldi entre mes mains, je croise une bande de camarades qui veut absolument voir le CD que je m’efforce de cacher vainement. Par honte. À la vue du titre, mes amis crient au scandale. Je suis jeté dans la confusion, et pourtant je suis parmi les garçons les plus charismatiques de la cité.
Cette petite aventure comico-tragique pose le problème du tabou dans nos quartiers. En effet, il y a un rejet, dès le plus jeune âge de tout ce qui a trait à la culture officielle. Que ce soit dans le domaine pictural, littéraire ou musical, on considère que cela nous est étranger ou, pis, que cet univers est porteur d’hostilité. Récemment, j’ai encore croisé un étudiant qui m’expliquait combien il lui était difficile de s’adonner pleinement à sa passion, la pratique de l’opéra, dans son quartier du nord marseillais.
Je pars d’une anecdote dont j’ai pu mesurer l’équivalent chez de nombreuses autres personnes ayant eu des débuts similaires aux miens. À la suite d’une écoute en classe de collège d’un morceau de Mozart, j’ai aimé la musique classique et, sur son rythme, je trouvais qu’il était agréable de peindre mes fresques de graffiti. En rentrant un jour de la médiathèque de ma ville avec Les Quatre Saisons de Vivaldi entre mes mains, je croise une bande de camarades qui veut absolument voir le CD que je m’efforce de cacher vainement. Par honte. À la vue du titre, mes amis crient au scandale. Je suis jeté dans la confusion, et pourtant je suis parmi les garçons les plus charismatiques de la cité.
Cette petite aventure comico-tragique pose le problème du tabou dans nos quartiers. En effet, il y a un rejet, dès le plus jeune âge de tout ce qui a trait à la culture officielle. Que ce soit dans le domaine pictural, littéraire ou musical, on considère que cela nous est étranger ou, pis, que cet univers est porteur d’hostilité. Récemment, j’ai encore croisé un étudiant qui m’expliquait combien il lui était difficile de s’adonner pleinement à sa passion, la pratique de l’opéra, dans son quartier du nord marseillais.
Le rap français perd ses couleurs
À cause de ce rejet, peu de choses sont possibles. La culture parallèle, développée dans nos zones sensibles, peine à s’épanouir en dépit d’un intérêt certain pour l’art, et des petites expériences dans l’univers du cinéma, de la peinture, du théâtre ou de la littérature. Et quand elle le fait à travers le rap par exemple, cela donne les dérapages que nous connaissons.
En effet, la musique rap, à ses débuts dans les années 1990, portait en elle les germes d’un beau combat social à venir, et les annonces d’un retour prometteur à la lecture, à la poésie et à l’art oratoire. Mais au confluent des deux millénaires, il y a eu une rupture.
Certains médias, deux ou trois radios en l’occurrence, qui n’avaient au départ rien à voir avec la culture hip-hop s’y sont intéressés tout à coup dès qu’ils ont senti l’odeur de l’argent. Ils en sont devenus de bien mauvais maîtres et ont fini par la régler sur le modèle américain. Perdant vite ses couleurs et son authenticité de départ, le rap français bascule alors dans une nouvelle ère, celle de la vulgarité, de la renommée facile et du mépris envers la femme.
Il est indéniable d’affirmer aujourd’hui que le rap a, depuis 15 ans, travaillé à fragiliser les valeurs morales dans nos quartiers, trompant beaucoup de jeunes sur la définition d’un véritable projet artistique. Il existe toujours de bons et d’authentiques artistes rappeurs, avec une profondeur verbale et des mots à même d’élever la pensée. Mais, marginalisés par les différents canaux de diffusion, ils sont loin d’être la priorité des jeunes oreilles.
En effet, la musique rap, à ses débuts dans les années 1990, portait en elle les germes d’un beau combat social à venir, et les annonces d’un retour prometteur à la lecture, à la poésie et à l’art oratoire. Mais au confluent des deux millénaires, il y a eu une rupture.
Certains médias, deux ou trois radios en l’occurrence, qui n’avaient au départ rien à voir avec la culture hip-hop s’y sont intéressés tout à coup dès qu’ils ont senti l’odeur de l’argent. Ils en sont devenus de bien mauvais maîtres et ont fini par la régler sur le modèle américain. Perdant vite ses couleurs et son authenticité de départ, le rap français bascule alors dans une nouvelle ère, celle de la vulgarité, de la renommée facile et du mépris envers la femme.
Il est indéniable d’affirmer aujourd’hui que le rap a, depuis 15 ans, travaillé à fragiliser les valeurs morales dans nos quartiers, trompant beaucoup de jeunes sur la définition d’un véritable projet artistique. Il existe toujours de bons et d’authentiques artistes rappeurs, avec une profondeur verbale et des mots à même d’élever la pensée. Mais, marginalisés par les différents canaux de diffusion, ils sont loin d’être la priorité des jeunes oreilles.
La jeunesse, âmes fortes des cités
Notre jeunesse des cités est pleine d’imagination, d’énergie, d’inventivité, de créativité, et il est temps qu’elle comprenne que ce qui a été réalisé en matière de culture jusqu’à présent lui appartient pleinement. Cette jeunesse a besoin de s’exprimer et elle pourrait le faire à travers l’art. Cela viendra transformer les violences urbaines en une créativité qui fera trembler les sots et tous ces faux intellectuels qui sévissent sur les plateaux de télévision.
Quand elle aura compris qu’elle porte en elle l’avenir culturel de la France, elle pourra sans complexe développer ses talents, s’épanouir et exiger de l’État les moyens de ses réussites.
Pour le moment, il s’agit de conduire notre jeunesse des cités jusqu’à cette conscience. Déjà, des associations s’activent sur le terrain et les expériences se multiplient avec parfois des résultats au-delà de toutes les espérances. Le tutorat, l’accompagnement régulier, l’écoute, les encouragements doivent être les préoccupations de toutes ces femmes, de tous ces hommes et de toutes ces associations qui ont à cœur de voir, un jour, sortir de nos cités de petits prodiges qui viendront bousculer sur la scène artistique ceux qui l’occupent de manière exclusive et parfois même bien illégitime.
La culture, sous toutes ses formes, n’est pas porteuse d’hostilité à l’endroit de nos croyances, de nos sensibilités ou de nos coins marginalisés, elle est au contraire libératrice et source de paix. Mais sa confiscation par une certaine classe arrogante l’a dévoyée et en a infléchi l’esprit dans des directions qui lui ont toujours été étrangères. Il s’agit de la reconduire de nouveau à ses objectifs originels : la libération des cœurs et des sensibilités.
Il faudrait se réapproprier cette culture. Il est du rôle des municipalités et de l’État de prendre à bras-le-corps le problème des déserts culturels dans les quartiers défavorisés de France, mais les associations et les bonnes volontés ont aussi un rôle de première importance dans ce beau combat. Jouer la carte de la culture, c’est jouer la carte de l’avenir.
Il faut réapprendre à nos jeunes à rêver de nouveau, et l’art et la culture sont là pour aider à donner forme aux aspirations de chaque cœur. Il faut leur expliquer sans cesse que quasi rien n’est possible sans l’école, et que les professeurs et les livres sont leurs clés pour ouvrir les portes d’un beau futur. Le jour où notre jeunesse des quartiers connaîtra une approche avec une aisance de même ordre à l’égard de la culture en général que celle qu’elle connaît envers le sport, nous pourrons sourire.
Il m’a toujours semblé que la violence de nos jeunes dans les cités était le résultat d’âmes fortes dont les hautes aspirations artistiques et professionnelles ont été contrariées.
*****
Abderrahim Bouzelmate, auteur et enseignant, a publié Dernières nouvelles de notre monde et Apprendre à douter avec Montaigne (De Varly Éditions, 2013) et Al-Andalus, Histoire essentielle de l’Espagne musulmane (Albouraq Éditions, 2015 ). Avec Sofiane Méziani, il a publié De l’Homme à Dieu, voyage au cœur de la philosophie et de la littérature (Albouraq Éditions, 2015).
Quand elle aura compris qu’elle porte en elle l’avenir culturel de la France, elle pourra sans complexe développer ses talents, s’épanouir et exiger de l’État les moyens de ses réussites.
Pour le moment, il s’agit de conduire notre jeunesse des cités jusqu’à cette conscience. Déjà, des associations s’activent sur le terrain et les expériences se multiplient avec parfois des résultats au-delà de toutes les espérances. Le tutorat, l’accompagnement régulier, l’écoute, les encouragements doivent être les préoccupations de toutes ces femmes, de tous ces hommes et de toutes ces associations qui ont à cœur de voir, un jour, sortir de nos cités de petits prodiges qui viendront bousculer sur la scène artistique ceux qui l’occupent de manière exclusive et parfois même bien illégitime.
La culture, sous toutes ses formes, n’est pas porteuse d’hostilité à l’endroit de nos croyances, de nos sensibilités ou de nos coins marginalisés, elle est au contraire libératrice et source de paix. Mais sa confiscation par une certaine classe arrogante l’a dévoyée et en a infléchi l’esprit dans des directions qui lui ont toujours été étrangères. Il s’agit de la reconduire de nouveau à ses objectifs originels : la libération des cœurs et des sensibilités.
Il faudrait se réapproprier cette culture. Il est du rôle des municipalités et de l’État de prendre à bras-le-corps le problème des déserts culturels dans les quartiers défavorisés de France, mais les associations et les bonnes volontés ont aussi un rôle de première importance dans ce beau combat. Jouer la carte de la culture, c’est jouer la carte de l’avenir.
Il faut réapprendre à nos jeunes à rêver de nouveau, et l’art et la culture sont là pour aider à donner forme aux aspirations de chaque cœur. Il faut leur expliquer sans cesse que quasi rien n’est possible sans l’école, et que les professeurs et les livres sont leurs clés pour ouvrir les portes d’un beau futur. Le jour où notre jeunesse des quartiers connaîtra une approche avec une aisance de même ordre à l’égard de la culture en général que celle qu’elle connaît envers le sport, nous pourrons sourire.
Il m’a toujours semblé que la violence de nos jeunes dans les cités était le résultat d’âmes fortes dont les hautes aspirations artistiques et professionnelles ont été contrariées.
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