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Points de vue

La lutte pour l’égalité des sexes en Europe et dans les pays arabes : des contextes différents

Par Christophe Courtin

Rédigé par Christophe Courtin | Lundi 19 Novembre 2007 à 16:31

           


La place du religieux dans nos sociétés revient en force dans les débats publics occidentaux. Il ne faut pas y voir tout d’un coup, comme certains l’aimeraient, un retour de flamme spirituel collectif dans nos sociétés sécularisées par deux siècles de modernité, mais bien le résultat de rapports sociaux à l’échelle d’un monde de plus en plus présent à lui-même.

Si au niveau européen l’inscription de la référence au christianisme dans la Constitution mort-née a fait long feu, le débat qui semblait stabilisé en Europe et en France est revenu sur le devant de la scène. C’était à l’occasion de la revendication légitime à entrer dans l’espace public de la part d’une partie des Français dont l’histoire n’est pas celle d’une longue maturation sociétale dans l’espace national de plus en plus déchristianisé mais bien celle d’une émergence récente à partir d’ex-pays colonisés et islamisés.

Dans les pays arabes et plus spécifiquement arabo-berbères du Maghreb, dont la proximité historique avec notre pays est forte, ce débat collectif n’est pas nouveau. Dès les indépendances ces pays, comme la Tunisie, ont voulu tracer une délimitation entre les domaines religieux et publics. Les lignes ne passaient pas aux mêmes endroits que ceux de l’ex métropole mais les nouvelles élites au pouvoir, formées dans le cadre français, avaient intégré la nécessité de légiférer rapidement dans ce domaine en tenant compte des spécificités culturelles et des rapports sociaux.

Des Codes de la famille plus ou moins protecteurs des femmes ont été mis en place dans ces pays. Les rapports de force n’étaient pas stabilisés, mais l’expression politique des organisations qui mettaient en avant une vision religieuse de la société était circonscrite, dans la violence et l’arbitraire parfois, dans un cadre étatique.

Dans les années soixante-dix, au moment de la première crise pétrolière, l’émergence de la puissance économique et politique des pays pétroliers, l’Arabie saoudite et les Emirats du Golfe essentiellement, a radicalement changé la donne. Ces riches monarchies théocratiques promeuvent un islam particulier qui interprète la Sunna à la lettre, mesurée à l’aune de leur pensée rustique, et qui renvoie à un Occident fantasmé toutes les avancées d’une modernité dénoncée comme acculturée et irréligieuse. L’universalité des droits humains celui de l’égalité entre les femmes et les hommes plus particulièrement, sont remis en cause.

Cet islam anti-humaniste avait les moyens financiers et politiques pour se développer dans tout le monde musulman. Depuis la chute du mur de Berlin, qui marque la défaite définitive de la grande proposition politique alternative au libéralisme économique, les plus radicaux de cette vision du monde ont trouvé dans la mondialisation libérale, assimilée à l’Occident, l’argument pour passer la vitesse supérieure. Ils pensent le moment venu pour forcer les pays musulmans à intégrer radicalement leur vision religieuse dans tous les aspects de la vie en société.

Le creusement des inégalités sociales et économiques, les régimes policiers et corrompus, la domination consumériste et culturelle des pays riches, le contrôle des ressources énergétiques par les pays développés, la chronicisation de la question palestinienne sont autant de facteurs qui cristallisent et popularisent leur vision politique. Dans ce contexte dégradé, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes est essentielle parce qu’elle concentre sur une même réalité les oppositions éthiques et politiques entre les visions religieuses ou sécularisées de la vie en société.

Un terrain balisé en France

En 1989, « l’affaire du foulard » était en France un triple épiphénomène qui réunissait sur un fait de société particulièrement médiatisé, d’une part, l’émergence dans l’espace public du fait musulman, et en conséquence la place du religieux dans ce même espace, et, d’autre part, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Après quatorze années de controverses souvent utiles et parfois diffamatoires, la ligne de front du débat s’est stabilisé provisoirement en 2003 sur l’interdiction de signes religieux ostensibles à l’école. Le voile islamique faisant partie de ces signes ostensibles.

Les escarmouches entre les radicaux de chaque camp continuent. Les uns investissent maintenant d’autres lieux publics comme les hôpitaux ou les piscines publics pour relancer la polémique, les autres aimeraient assimiler l’espace de l’Etat à tout espace public et ce dernier à tout l’espace collectif comme les entreprises, les grands magasins, voire la rue.

Les partisans d’un apaisement sont majoritaires mais ils savent que le débat n’est pas clos puisqu’il pose fondamentalement la question de la vision du vivre-ensemble à partir de deux conceptions différentes de la vie en société : d’un côté, la prééminence in fine du référentiel religieux et, de l’autre, l’exclusion de ce référentiel dans l’espace public de l’Etat.

De fait, dans le feu du débat, le terrain investi par les protagonistes est souvent celui de l’identité, toujours le signe d’une inquiétude existentielle avant d’annoncer une régression de la pensée. Identité d’une France laïque, républicaine, construite historiquement depuis le XVIIIe siècle sur l’émancipation de la double tutelle de la monarchie et de l’Eglise catholique, contre des identités plus récentes, plurielles, issues de l’immigration, en provenance de pays anciennement colonisés et musulmans et dont l’intégration politique, économique et sociale est peu ou mal réussie. La crise des banlieues est l’expression de cet échec.

Le cadre institutionnel, réglementaire et idéologique dans lequel le débat sur la place du religieux a été fixé depuis 1905 avec la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat qui a sonné la défaite politique d’un parti confessionnel, le parti catholique. Les fondamentaux de la loi n’ont pas réellement été remis en cause dans le débat actuel qui s’est focalisé sur la place à donner à l’expression publique des communautés et sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Même ces deux questions qui ont fait l’objet de débats acharnés ont été circonscrites dans un cadre contrôlé. Le communautarisme n’a jamais été prêt à se traduire dans la loi, ce qui aurait voulu dire que la loi républicaine s’appliquerait aux citoyens en fonction de leur appartenance communautaire ou religieuse.

Sur l’égalité entre les femmes et les hommes, les luttes pour légaliser la contraception et l’avortement, les débats sur la parité en politique, l’approche anglo-saxonne du genre dans les milieux développementistes et les enquêtes nombreuses sur la réalité de la disparité des salaires et des statuts sociaux liés au sexe, avaient déjà largement balisé le terrain. L’argument de la liberté de la femme a été utilisé par chaque camp. Pour les uns, le voile est le symbole de l’aliénation de la femme ; pour les autres, le signe libertaire d’une revendication de choix existentiels personnels. A bien y regarder les argumentations des uns et des autres tenaient la route à partir de leurs référentiels.

L’argument de l’existence d’un féminisme musulman a été mis en avant. La possibilité d’une lecture libératrice pour les femmes des textes sacrés a été développée. Ces débats, apaisés si on les compare à la manière dont ils sont menés dans les pays du Maghreb, montrent la maturité de nos sociétés sur ce sujet, même si du chemin reste à parcourir.

Les partisans d’une laïcité plus ouverte sur la question du voile islamique mettent en avant les conditions sociales ou sociologiques pour comprendre et accepter le phénomène. Ils ne se retrouvent pourtant pas dans la vision religieuse de la société que défendent certains partisans du voile, la combattraient même si cela s’avérait nécessaire, pas plus qu’ils n’acceptent la vision identitaire d’une laïcité sur la défensive, prête à s’engager dans une guerre des civilisations. Au nom du dialogue entre les religions et au nom de la tolérance, les organisations confessionnelles chrétiennes qui voient dans la laïcité une valeur républicaine à défendre, sont dans une posture d’écoute bienveillante.

Toutes ces postures, lucides, démocratiques, sont légitimes dans le contexte français, mais sont-elles transposables dans le contexte des pays musulmans ?

Le Coran comme source du droit dans les pays musulmans

Contrairement à la France où l’égalité entre les femmes et les hommes a été une incidente d’un débat plus vaste, cette dernière question a toujours été centrale dans les pays musulmans. Le cadre du débat est fondamentalement différent de celui de la France.

Alors que le droit musulman a partout laissé le terrain sans difficulté au droit des affaires pour intégrer la réalité économique de la mondialisation et même si le droit pénal est encore influencé, le droit civil, celui du statut de la personne principalement, est largement soumis aux préceptes de l’islam.

L’égalité entre les femmes et les hommes, au regard de la succession, de la nationalité, de la majorité, du mariage, du divorce, de la gestion matrimoniale, du choix du domicile, de la tutelle ou de la garde des enfants, du droit au voyage ou au travail, est encore à conquérir.

La traditionnelle structure patriarcale des pays méditerranéens a été consolidée par le droit musulman. La femme est juridiquement inférieure à l’homme. Le droit positif de tous les pays arabes intègre cette inégalité juridique fondée sur le patriarcat relu à la lumière d’une lecture réductrice du Coran. La situation évolue dans quelques rares pays mais au prix de combats difficiles et continus de la part des associations de défense des droits de l’homme.

Là ou ces droits sont pour nous des acquis, dont nous n’envisagerions pas la remise en cause, ils sont pour les femmes des pays arabes un horizon difficilement atteignable. Sur la question de la violence conjugale, qui n’est pas propre aux pays arabes, l’homme bénéficie toujours d’une grande immunité. Une lecture religieuse mais humaniste du Coran qui demande dans certains cas d’abroger des pratiques inadaptées comme l’esclavage ou des châtiments corporels sauvages, n’est jamais mise en avant quand il s’agit de la violence physique de l’homme sur la femme admise dans le texte révélé.

Il s’agit non pas ici de dire que l’islam est incapable d’évoluer de l’intérieur sur ces sujets, à son époque le Coran a même été une avancée anthropologique majeure sur la situation des femmes en comparaison avec les grandes civilisations de l’époque, mais de montrer que la réalité sociologique et idéologique consacre cette domination juridique de l’homme sur la femme. Compte tenu du contexte contemporain, cette réalité n’est pas prête d’évoluer positivement.

Les organisation islamistes qui, jusqu’à il y a une vingtaine d’années, se limitaient à renforcer spirituellement leurs fidèles et à dénoncer les dérives morales des sociétés arabes et de leurs régimes corrompus par l’Occident, ont changé de méthode. Elles ne se sont pas limitées à développer des programmes sociaux pour prendre en charge tous les exclus d’un développement économique inégalitaire, elles ont aussi entrepris un véritable travail idéologique de fond à partir du Coran.

Pour elles, les femmes qui représentent la moitié de la population et qui ont mis au monde et élevé l’autre moitié, sont devenues un enjeu majeur pour développer l’islam. Sur la question de la place de la femme dans la société, un travail sérieux et de qualité a permis de dégager des lectures promouvant la femme et son rôle mais toujours dans sa spécificité de femme et rarement en termes d’égalité.

Un vrai féminisme musulman existe mais le référentiel reste en dernière analyse le Coran qui est encore dans tous les pays arabes la source du droit de la personne. Les partis islamistes qui veulent entrer démocratiquement dans le jeu politique ont compris qu’ils devaient revoir et valoriser la question de la place de la femme dans la société. Mais les femmes des pays arabes, musulmanes ou non, qui militent pour l’égalité leur reprochent de très peu le faire en termes d’égalité des droits civils avec les hommes. Tant qu’ils n’accepteront pas explicitement le découplage entre le droit positif et la religion, elles les soupçonneront d’avancer masquer.

Dès les années 1920 et 1930, dans le monde arabo-musulman, des réformateurs comme le Tunisien Tahar Haddad ou l’Egyptien Kassem Amin avaient milité pour l’égalité des sexes, maintenant inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, et avaient montré que le droit positif pouvait tirer sa légitimité de principes universels sans remettre en cause les fondements de l’islam.

De la même manière, aujourd’hui le travail de contextualisation historico-critique du Coran permet d’avancer dans cette voie en respectant les textes, mais en encadrant le référentiel religieux comme source du droit. C’est sur cette ligne que les associations des droits de l’homme dans les pays musulmans débattent et non sur une ligne de rejet de l’islam comme contexte civilisationnel, ce qu’elles respectent.

L’expression politique des islamistes dont les principes séduisent de plus en plus de citoyennes et de citoyens dans les pays arabes est le problème politique majeur des régimes arabes contemporains. Au prétexte de la lutte contre le terrorisme il n’y a plus d’espace politique, ni pour les partis islamistes, ni pour les partis promouvant la séparation du religieux et du politique.

Les régimes corrompus et policiers savent que s’ils donnent des ouvertures aux seconds la question de leur gestion prébendière et clientéliste des biens publics sera remise en cause. Leurs intérêts économiques directs seront touchés. Pour contrer les premiers, ils tentent de promouvoir un islamisme d’Etat, souvent indigent, ou choisissent le statu quo sur le droit de la personne pour ne pas avoir à ferrailler avec eux. Les partis laïques savent que le mot même de laïcité est rejeté du débat public, soupçonné d’être le cheval de Troie de l’athéisme moderne. Beaucoup sont prêts à remettre à plus tard l’égalité des droits pour traiter d’abord le problème politique de leurs alliances avec les islamistes modérés.

La question de l’égalité entre les femmes et les hommes est prise en otage dans ces rapports de force qui ignorent les droits des femmes. L’accès aux droits est devenue une monnaie d’échange politique.

En transposant nos contextes sécularisés de ce combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les contextes des pays arabes, nous cautionnons ces jeux politiques et, de fait, nous affaiblissons les associations qui luttent pour l’accès aux droits. Au nom de la lutte contre l’impérialisme américain et de la mondialisation néolibérale ou au nom de la défense des droits palestiniens, certains vont même jusqu’à reprocher aux féministes de se tromper de combat. Nous devenons ainsi les alliés objectifs, les imbéciles utiles, à la fois des régimes autoritaires néolibéraux et des théocrates.







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