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Points de vue

La question de la visibilité en islam

Par Fethallah Otmani*

Rédigé par Fethallah Otmani | Vendredi 21 Juin 2013 à 01:29

           

À l’heure où des bouts d’étoffe (foulard, jupes longues et même bandanas) affolent les politiques et les juristes, jusqu’à attirer parfois des actes de sanction, d’exclusion ou de violences institutionnelles voire physiques, la problématique de la visibilité en islam mérite d’être posée. Fethallah Otmani nous propose une série de quatre textes consacrés à ce sujet, dont voici le premier.



L’être humain possède en lui ce besoin naturel d’osciller entre visibilité et invisibilité, chacun apportant sa contribution à l’équilibre humain, de l’intimité à la sociabilité. Certes, être visible est inhérent à la nature humaine, mais il nous importe de nous interroger sur le sens de cette visibilité, les postures sociales qu’elles reflètent et leurs inductions idéologiques.

Être visible, c’est donner une partie de soi au monde, une partie de ses convictions, de ses choix, de son être. La question centrale de la visibilité est de savoir dans quelle mesure se dévoiler et à quelles fins. Dans un monde qui donne une place incommensurable au paraître se pose la question de la cohérence entre être et paraître, entre ce qu’exprime notre intimité et ce que nous cherchons à renvoyer comme image.

Mais la problématique de la visibilité n’est pas uniquement liée à la posture de l’individu. La visibilité que renvoient notre société est révélatrice d’une conception du monde. S’il est nécessaire de s’interroger sur les motivations intimes qui motivent notre visibilité, nous devons également nous interroger sur les raisons idéologiques. Or la question de la visibilité du religieux dans les sociétés laïques pose inéluctablement celle du rapport à l’espace public.

D’un point de vue islamique, la visibilité dénote d’une attitude dans la manière d’aborder et de comprendre le message de l’islam. Elle traduit un sens, un projet de vie et une lecture de la société. Elle repose sur des principes fondamentaux, comme le fait d’être en lutte perpétuelle contre le faux-paraître.

L’éthique musulmane encourage plutôt la modestie et la pudeur et une visibilité qui soit bien plus en harmonie avec l’être qu’avec le regard de l’autre.

Se pose cependant la question des formes de visibilités choisies par les musulmans et de ce qu’elles révèlent comme compréhension du message de l’islam et comme compréhension du monde.

De la visibilité ?

La visibilité induit un passage de l’ombre à la lumière et exprime consciemment ou non un sens et une posture. C’est d’ailleurs pour cette raison que le véritable débat sur la visibilité se pose dans l’espace public, dans l’espace d’action, dans l’espace où l’orientation est donnée à la société.

Selon Hannah Arendt, « l’espace public est le lieu où tout doit paraître et doit être vu de tous ». La visibilité entraîne une nécessaire lisibilité et donne donc une grille de lecture sociopolitique.

D’ailleurs, si la visibilité peut être le fruit du désir de reconnaissance, il est généralement admis qu’il s’agit également d’un besoin d’expression, du désir d’apparaître dans l’espace public.

Quelle que soit la motivation première, elle pousse à une certaine forme de relation sociale et il nous faut donc tenir compte du fait que la télévision et les outils technologiques ont considérablement amplifié les possibilités de paraître ou d’apparaître. En effet, au-delà du taux de visibilité, ces moyens ont accru la volonté du paraître qui se préoccupe davantage de l’être reconnu que de l’être par essence.

Être ou paraître ?

L’opposition entre être et paraître est récurrente dans les écrits philosophiques ; pourtant, le paraître participe de l’être dans le sens où il permet souvent de le protéger et qu’en même temps il en dévoile certaines caractéristiques. Il est donc important que le paraître se réalise en cohérence avec l’être, les convictions profondes et le souffle qui l’animent.

Autrement dit, la visibilité ne pose pas forcément de souci, dès lors qu’elle est le fruit d’un cheminement spirituel. La notion de spiritualité dépassant le cadre des religions, il est nécessaire d’en définir les caractéristiques islamiques.

En islam, la spiritualité repose sur trois notions qui pourraient être synthétisées ainsi :
1. une quête exigeante et intime ;
2. une transcendance qui éclaire ;
3. la rencontre avec le souffle de Dieu qui responsabilise.

Être donc visible, oui mais pour Dieu, par Dieu et selon Dieu. À travers ce parcours intime, chacun peut redécouvrir au plus profond de son être des valeurs fortes, des valeurs que nous qualifions souvent d’universelles, mais elles ne le sont que parce qu’elles émanent de Dieu.

Ainsi reconnaître Dieu intimement sans le dire pose souci, puisque c’est le premier pas d’une acceptation de la séparation entre l’être et le paraître. C’est accepter de couper la relation au niveau du cœur.

Il faut rappeler que l’entrée en islam se fait par une double expression, dire la négation de toute domination et dire Dieu, comme pour nous imposer une expression cohérente avec l’intime. Cette nécessité est encore plus importante dans une société dont le crédo est la disparition de Dieu de l’espace public.


* Conseiller en gestion d’organisation et spécialiste de la question du halal, Fethallah Otmani est directeur du Centre d’enseignement et d’éducation Shatibi et membre de l’UFCM.






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