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Société

Le lycée Averroès accusé d'antisémitisme, son personnel sous le choc témoigne

Rédigé par Leila Belghiti | Lundi 9 Février 2015 à 06:30

           

Le choc fait place à l'indignation au lycée Averroès de Lille après la publication d'une tribune d'un ex-enseignant dans le journal Libération le 5 février. Immersion au cœur de l'établissement musulman. Témoignages.



Le lycée Averroès accusé d'antisémitisme, son personnel sous le choc témoigne
Vendredi 5 février, 11 heures. La sonnerie retentit au lycée Averroès et la foule d'élèves se rue dans les couloirs dans un joyeux tintamarre, contents d'être si tôt libérés, ignorant encore la raison de cette décision inhabituelle. Côté salle des profs, des membres du personnel éducatif sont en état de choc. Ambiance morose.

Depuis les attentats de Charlie Hebdo, « la pression (nous) pèse », nous confie une enseignante, « c'est très dur ». Ils se disent « abasourdis », « écœurés », « médusés »... En cause, une tribune signée par leur collègue Soufiane Zitouni, en double page dans le journal Libération de ce jour, où il explique les raisons de sa « démission ». Les accusations portées par ce professeur de philosophie contre l'établissement sont jugées diffamatoires par sa direction, qui compte porter plainte, avec le soutien du corps enseignant.

Flashback

La goutte d'eau qui aurait fait débordé le vase, d'après Soufiane Zitouni, serait sa première tribune publiée le 14 janvier dans ce même journal à la suite des attentats à Charlie Hebdo, « Aujourd'hui, le prophète est aussi Charlie ». Une prise de position qui, à l'entendre, ne serait pas passée auprès du corps enseignant, « retirée plusieurs fois du panneau d'affichage ».

Une version que conteste Ajila, professeure de français : « Au contraire, on s'est même réjoui qu'il puisse y avoir au sein du lycée une diversité d'opinions. » « Je l'ai félicité pour sa prise de position et ai moi-même apposé le cachet de l'établissement sur l'article pour qu'il soit affiché en salle des profs », s'étonne le directeur, El Hassane Oufker.

Cinq jours plus tard, la plume de Soufiane Zitouni en appelle une autre : celle de son collègue Sofiane Meziani, professeur d'éthique, qui publie une réplique sur Le Plus de L'Obs. En bonne élève de la liberté d'expression, la direction décide de lui faire, de même, une place sur le panneau d'affichage.

De lourdes accusations lancées

Seulement voilà, Soufiane Zitouni n'ayant pas apprécié son contenu jugé « agressif », aurait, selon des sources, aussitôt avertit quelques-uns de ses collègues qu'il menaçait de « faire éclater la vérité sur Averroès au grand jour », arguant son « réseau » potentiel et n'en pouvant plus au bout de « cinq mois à tenter d'exercer (son) métier de professeur de philosophie ».

Il ne se fait pas attendre. La saga continue avec une nouvelle tribune publiée dans Libération vendredi 5 février au petit matin. Dans ses lignes, Soufiane Zitouni, quarantenaire, « citoyen français de culture islamique », se réclame d'un « islam éclairé par la raison comme le philosophe andalou » Averroès. Il ne mâche pas ses mots : « Dans cet établissement musulman sous contrat (…), les responsables de ce lycée jouent un double jeu », d'un côté pour « continuer à bénéficier des gros avantages de son contrat avec l'État », et de l'autre pour diffuser insidieusement « une conception de l'islam qui n'est autre que l'islamisme ». « Des accusations mensongères », réplique sa direction.

Sexualité, tabou à Averroès ?

Le déjeuner a un goût amer, tant l'émotion est forte en salle des profs. Des groupes de discussions se forment. Autour de la fameuse machine à café, on rit jaune. « Je n'ai jamais vu personne prier ici, il y a une belle salle de prière juste à côté, c'est ridicule », piaffe un enseignant. Du bout de la salle, Nadia, responsable du CDI accusé de n'avoir pas un livre sur la période andalouse, n'en revient pas. « Je vous invite à venir voir, nous dit-elle, j'ai tout un dossier sur l'Andalousie et Averroès ! »

L'enseignant d'Averroès – en arrêt maladie – reproche aux élèves un certain radicalisme pudibond : « Le mot "sexe" lui-même, pouvait être tabou », écrit-il. Saïm préfère en rire. « Si vous saviez combien on en parle ! », réfute ce professeur de SVT, « on a toujours abordé la sexualité et la théorie de l'évolution avec mes classes de terminale et on a toujours su mener des débats sereins et argumentés, sans opposer les croyances aux réalités scientifiques ». Sofiane Meziani, professeur d'éthique, le rejoint : « De mon côté, on a fait tout un cours sur la sexualité ! »

Soufiane Zitouni, au centre, entouré du rabbin Y. Ghertman (à g.) et S. Meziani lors d'une conférence organisée à Averroès.
Soufiane Zitouni, au centre, entouré du rabbin Y. Ghertman (à g.) et S. Meziani lors d'une conférence organisée à Averroès.

« Nous refusons de voir nos enfants accusés d'antisémites ! »

« Je n'ai jamais entendu autant de propos antisémites de la bouche d'élèves dans un lycée ! » Des nombreuses accusations de Soufiane Zitouni, c'est bien celle qui aura fait sortir de ses gonds plus d'un professeur. Amel, professeure d'histoire-géo depuis bientôt dix ans au lycée Averroès, conteste : « Je n'ai vraiment jamais eu de soucis à parler de la Shoah. » Elle participera cette année comme les précédentes, avec ses élèves, au Concours national de la Résistance et de la Déportation. « Les élèves eux-mêmes choisissent des auteurs juifs, et ça ne leur pose aucun problème », nous confie Eric, professeur de littérature et ancien de la maison.

« Ce sont des ados en formation et c'est la mission de l'enseignant que de leur donner les outils de la réflexion ; l'erreur professionnelle, c'est de ne pas les former ! », ajoute Sophie, professeure d'espagnol, « choquée » de « l'absence de bienveillance envers les élèves », assimilés dans le texte du professeur de philosophie à des « perroquets bien dressés ».

Et le représentant des parents d'élèves, M. Benminoul de se dire « profondément blessé » et de s'exclamer : « Nous ne permettons pas à M. Zitouni d'accuser nos enfants d'antisémites ! » « L'antisémitisme est l'accusation la plus grave », appuie le directeur, qui rappelle avoir organisé il y a peu, avec Soufiane Zitouni, une conférence avec son (ex-)collègue Sofiane Meziani et Yona Ghertman, rabbin de Cagnes-sur-Mer, dans la salle polyvalente du lycée, « qui a fait salle comble et s'est très bien passée ». Un moment immortalisé dans une vidéo que Saphirnews a retrouvée.

« Nous ne reconnaissons pas l'établissement que décrit M. Zitouni »

Les professeurs sont formels et « s’inscrivent, avec force, en faux contre les allégations mensongères et calomnieuses de Zitouni » déclarent-ils dans un communiqué commun. « Il n'a travaillé ici que trois mois, et en trois mois, il aurait senti ce que certains d'entres nous présents depuis dix ans n'auraient pas vu ! », souligne une enseignante.

Que s'est-il passé pour que Soufiane Zitouni fasse volte-face au bout de trois mois d'exercice ? « Lorsque je le reçus la première fois dans mon bureau pour l'entretien d'embauche, j'étais heureux de voir un professeur expérimenté et qui partage le projet éducatif de l'établissement rejoindre notre équipe », se souvient El Hassane Oufker. « Nous avons été très surpris par son attitude dans cette affaire, moi, le premier. J'ai toujours entretenu de bonnes relations avec lui », poursuit le directeur.

Même son de cloche côté enseignants, qui disent avoir côtoyé un collègue sympathique, plutôt discret, et qui n'a « jamais évoqué de quelconque difficulté liées à son enseignement. On n'a pas compris ».

Le principal regrette cependant ne pas avoir « pris au sérieux » l'alerte concernant une élève, Sarah, élève en terminale S. Tête nue, elle relate aux journalistes présents à la conférence de presse son altercation avec Soufiane Zitouni. « En cours, on a parlé des frères Kouachi. M. Zitouni nous a dit que c’était des fous, des malades mentaux. Je lui ai répondu que c’était trop facile d’expliquer ça par de la folie. Il m’a traitée d’intégriste », raconte-t-elle. « On ne pouvait jamais donner notre point de vue, il n'y avait pas d'échanges possibles avec lui », soutient Ayoub, son camarade.

Une visite d'inspection à la demande d'Averroès

La direction de l'établissement a affirmé avoir d'elle-même sollicité la visite de l'inspection académique, estimant n'avoir « rien à cacher », et jugeant « impropre qu'un professeur resté trois mois dans l'établissement puisse remettre en question tout le travail des services de l'inspection de l'Éducation nationale ». Le rectorat a fait savoir qu'il allait constituer « une mission d'inspection afin de vérifier le respect des termes du contrat d'association signé avec l'État », « composée d'un inspecteur d'académie régional de philosophie ainsi que d'un inspecteur d'académie pédagogique régional en charge de la vie scolaire ».

Assis aux côtés du directeur, Michel Soussan, ex-inspecteur, conseiller pédagogique du lycée, se montre particulièrement touché : « Je n'ai jamais vu la radicalité de l'islam ici ; au contraire, j'y vois un islam du juste milieu ». Et de conclure, « je suis le garant des valeurs républicaines de cet établissement ».

Le lycée Averroès ouvre ses portes en 2003 à Lille et signe le contrat d'association avec l'État en 2008. Premier établissement privé musulman sous contrat et fort de ses 100 % de réussite au bac, il est sacré « Meilleur lycée de France » au palmarès des lycées 2013. Il accueille aujourd'hui près de 600 élèves.






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