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Société

Les féminismes islamiques analysés par Stéphanie Latte Abdallah

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Jeudi 16 Mai 2013 à 06:00

           

Qu’est-ce que le féminisme islamique ? Qui sont les actrices de ce mouvement ? Pourquoi les féministes islamiques ont parfois du mal à se faire accepter par leurs consœurs laïques ? Stéphanie Latte Abdallah, chercheure au CNRS, à l’Institut d’études et de recherches sur le monde arabe et musulman (IREMAM) à Aix en-Provence, répond aux questions de Saphirnews.




Stéphanie Latte Abdallah, , chercheure au CNRS.
Stéphanie Latte Abdallah, , chercheure au CNRS.

Saphirnews : Quand un féminisme islamique a-t-il émergé ?

Stéphanie Latte Abdallah : Le féminisme islamique a émergé, d’une part, en Iran à la suite de la déception postrévolutionnaire au début des années 1990. L’équité sociale et entre les sexes qui avait été promise n’a pas été réalisée, il y a même eu un retour en arrière ; alors des femmes religieuses de la classe moyenne, qui avaient soutenu la révolution, ont amorcé des réflexions et un dialogue avec des oulémas.

D’autre part, ce féminisme va parallèlement se développer à divers endroits de la planète et dans la diaspora. Il s’agit alors de mener une exégèse religieuse promouvant l’égalité entre les sexes dans tous les domaines, à partir de travaux d’interprétation en premier lieu du Coran mais aussi de la Tradition (surtout des hadiths du Prophète). L’idée est d’abord de revenir au seul Texte sacré, en remettant en cause les sources secondaires, le droit musulman (fiqh). Ces sources secondaires ont été produites à différentes périodes historiques par des hommes doctes en religion, les oulémas, et sont donc nécessairement sexistes et contestables.

Comment ce féminisme a-t-il évolué ?

Stéphanie Latte Abdallah : Il est au départ le fruit d’individualités à différents endroits du monde. Il s’agit donc d’un mouvement intellectuel et non d’un mouvement social, ce qui le différencie des féminismes séculiers (laïques, ndlr) existants alors. Il émane surtout d’universitaires en sciences sociales et en sciences religieuses qui font un travail intellectuel d’exégèse.

La plus connue est sans doute Amina Wadud, une Afro-Américaine convertie à l’islam, professeure d’études islamiques à l’université de Virginie, et imam, dont le premier ouvrage publié en 1992 s’intitule Qur'an and Woman : Rereading the Sacred Text from a Woman's Perspective (Le Coran et les femmes : relire les textes sacrés à partir d'une perspective féminine).

Vingt ans après, ce mouvement s’est diversifié. Le féminisme est entré dans une deuxième phase, au début des années 2000, avec l’émergence progressive d’un mouvement transnational. Des réseaux globaux se sont mis en place. Ils ont tissé des liens entre des personnes et des groupes qui, pour certains, existaient déjà comme Sisters in Islam, en Malaisie, créé en 1988. Il y a, par exemple, le comité consultatif transnational des intellectuelles et théologiennes (Global Women's Shura Council) et la Junta islamica qui organise une série de conférences à Barcelone, depuis 2005.

Puis le féminisme islamique va gagner de l’influence au sein des institutions religieuses existantes, dans la société civile, mais également au sein de mouvements sociaux et politiques liés à l’islam politique (ceux qui sont proches des Frères musulmans), communément nommés mouvements « islamistes ».

A partir de là, il faut parler des féminismes islamiques au pluriel.

Amina Wadud, féministe américaine.
Amina Wadud, féministe américaine.

Quels sont ces féminismes islamiques ?

Stéphanie Latte Abdallah : Je distingue trois courants qui sont liés et très poreux. Il y a celui qui est incarné par les théologiennes critiques de l’islam ; celui qui est représenté par les militantes féministes musulmanes croyantes ; et, enfin, le plus récent, celui des figures de l’islam politique engagées sur les droits féminins.

Les premières sont des intellectuelles qui adoptent une méthode d’exégèse globale, en menant une étude approfondie et critique des textes. Elles ont une liberté interprétative forte. Je pense ici, par exemple, à Asma Barlas, Amina Wadud ou encore Asma Lamrabet. Elles déconstruisent tous les concepts qui ont établi des inégalités entre les sexes et sont notamment pour la féminisation de toutes les fonctions religieuses, y compris la fonction d’imam. Elles ne considèrent pas que le voile soit une obligation. Elles envisagent l’islam dans sa dimension universelle.

Les militantes féministes croyantes sont d’abord des féministes et sont sociologiquement musulmanes. Elles utilisent les travaux réalisés par les théologiennes critiques et sont d’abord des militantes comme la Malaisienne Zeinah Anwar.

Quant aux figures de l’islam politique engagées sur les droits féminins, je fais référence principalement, pour les sunnites, à celles qui appartiennent à des réseaux liés à la mouvance des Frères musulmans. Ces femmes sont des militantes, parfois des intellectuelles, engagées collectivement, socialement ou politiquement. Elles n’ont commencé à employer le terme de « féministe » que depuis quatre ou cinq ans. Il s’agit de personnalités comme Nadia Yassine au Maroc ou Hiba Ra’ouf en Egypte. Une partie seulement d’entre elles travaillent les textes. Si, dans le domaine public et politique, elles revendiquent l’égalité entre hommes et femmes, dans le domaine familial, elles défendent le plus souvent la complémentarité en raison de différences biologiques qui impliquent, selon elles, des fonctions et des rôles distincts. En termes de genre, elles sont ainsi, contrairement aux théologiennes critiques, différentialistes. Elles considèrent, par ailleurs, le voile comme une obligation religieuse pour les femmes. Pour elles, il n’est pas non plus question de revendiquer la fonction d’imam (pouvant conduire des prières mixtes et prononcer le sermon du vendredi) pour les femmes. Elles ont enfin une perception plutôt identitaire et culturaliste de l’islam : l’islam représentant la culture des pays concernés.

Dans les pays arabes et musulmans, certaines féministes séculières critiquent vivement ce courant. Ce qui est plus gênant, c’est qu’elles pensent parfois qu’il représente l’ensemble du féminisme islamique alors qu’il n’en est qu’une tendance et, qui plus est, la plus récente et la moins affirmée d’un point de vue féministe.

Comment ces féminismes s’illustrent en France ?

Stéphanie Latte Abdallah : A la fin des années 1990, des associations proches de la mouvance liée à Tariq Ramadan se sont montées mais elles se sont s’est vite essoufflées. Ces associations ont eu dû mal à se positionner sur le double front de la lutte contre l’islamophobie et la lutte pour les droits des femmes. Ce double enjeu a constitué un écueil. De plus, ce n’est pas évident dans le contexte français qui a un rapport complexe avec le religieux.

Mais aujourd’hui, on sent une nouvelle impulsion dans la manière de formuler les enjeux du genre, de la citoyenneté et de l’islam, avec un renouveau des questions féministes, notamment au niveau européen, et avec la création de l’association des Homosexuel-e-s Musulman-e-s de France (HM2F).

Il y a un lien entre les féminismes islamiques et le militantisme homosexuel ?

Stéphanie Latte Abdallah : Aux Etats-Unis, au Canada, en Afrique du Sud, mais aussi en Espagne (la Junta islamica), une partie des féministes islamiques, comme Amina Wadud, s’est associée aux revendications des homosexuels musulmans, c’est-à-dire des homosexuels croyants refusant de se sentir exclus de leur religion en raison d’interprétations peu favorables à l’homosexualité. Ils se sont d’abord inspirés de l’exégèse et de l’approche des féministes islamiques et ont développé le concept d’inclusivité.

Que dire des relations entre les féminismes islamiques et les féminismes laïques ?

Stéphanie Latte Abdallah : Il faut noter qu’il y a une collaboration déjà anciennes entre les féministes islamiques et séculières dans beaucoup de pays. C’est ce qui a permis, par exemple, au Bahreïn et au Koweït que les femmes obtiennent le droit de vote, en 2002 et en 2005.

Les ressources intellectuelles du féminisme islamique et ces mobilisations communes sont des ressources déterminantes pour les femmes dans les périodes de transition postrévolutionnaires. Mais certaines féministes séculières, dans les pays arabes et musulmans et ici, et tout particulièrement les Algériennes, en raison de l’histoire du pays et du rapport assez épidermique à l’islam que celle-ci a construite, restent pourtant très critiques vis-à-vis des féministes islamiques. Pour elles, la religion est forcément et ne peut que rester oppressive. Elles se trompent, car elles méconnaissent les travaux des intellectuelles critiques.






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