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Religions

Les rites funéraires islamiques en droit français : la conciliation par l’adaptation

Rédigé par | Jeudi 9 Février 2012 à 17:01

           

L'inauguration du cimetière public musulman de Strasbourg en février et l’affaire des exhumations au carré musulman d’un cimetière niçois fin décembre soulèvent bien des questions sur la gestion des carrés musulmans en France. Si 80 % des musulmans choisissent de rapatrier leurs proches décédés dans les pays d’origine, les 20 % restants tiennent à avoir une place en France après leur mort. Un enracinement par la terre qui leur est naturel. Mais comment concilier les besoins des familles à satisfaire les rites religieux et la législation française ? La gestion exemplaire du carré musulman de La Guillotière à Lyon, mise en exergue par Dounia Bouzar, interpelle.



Les rites funéraires islamiques en droit français : la conciliation par l’adaptation
La mort est inéluctable mais ne signifie nullement la fin définitive de la vie en islam. Pour préparer cette étape vers l’au-delà, la religion codifie les rites funéraires dans le moindre détail. Ainsi, les corps doivent être lavés, recouverts d’un linceul puis enterrés le plus rapidement possible dans un délai de 48 heures au maximum après la mort. Après la prière funéraire collective célébrée au cimetière, l’ensevelissement du défunt à même la terre – sans cercueil dans la tradition – se fait sur son côté droit de façon à ce qu’il soit dirigé vers La Mecque.

Les incinérations sont formellement proscrites dans la religion musulmane. Quant aux exhumations, elles sont aussi interdites sauf en cas de force majeure.

Si le droit à la non-incinération et à la non-exhumation sont bien respectés à la demande des familles, d’autres contraintes juridiques posées par la législation amènent les autorités musulmanes à adapter certaines pratiques sans pour autant les dénaturer. Une difficulté qu’a réussi à surmonter les Conseils régionaux du culte musulman (CRCM), dont celui de Rhône-Alpes, qui se démarque dans le paysage national. La bonne gestion, par les services municipaux, du carré musulman lyonnais de La Guillotière grâce au partenariat étroit noué avec le CRCM est d’ailleurs mis en évidence dans le dernier travail de recherche sur les bonnes pratiques de la laïcité, réalisé par l’anthropologue Dounia Bouzar pour le groupe parlementaire socialiste*.

Le manque de carrés musulmans, première source de difficultés

En France, seuls trois cimetières – quatre avec le nouveau cimetière public musulman inauguré à Strasbourg le 6 février – existent. Quelque 200 carrés musulmans dans les cimetières communaux et intercommunautaires les complètent selon le CFCM.

Un nombre fort insuffisant, alors que vivent 5 à 6 millions de musulmans selon les estimations générales. Selon Azzedine Gacci, ancien président du CRCM Rhône-Alpes, il serait nécessaire d’implanter 600 espaces musulmans sur l’ensemble du territoire français, car, « à présent, la génération est née ici et n’est plus de passage ».

Face à cette insuffisance et aux difficultés de satisfaire les exigences des familles musulmanes, 80 % d’entre elles décident d’enterrer leurs proches dans leurs pays d’origine. Or les rapatriements d’un corps vers l’étranger coûtent chers exception faite pour ceux qui sont effectués vers la Tunisie, pris entièrement en charge par l’Etat tunisien. Toutes les familles n’en ont pas les moyens et, pour beaucoup d’entre elles, le rapatriement est aussi un déchirement puisque,pour se recueillir, elles sont obligées de se déplacer.

Des contraintes juridiques qui s’accommodent

Pour les 20 % qui choisissent d’inhumer leurs proches dans l’Hexagone, elles doivent se satisfaire de la législation française. Ainsi la loi interdit-elle d’enterrer le mort sans cercueil. Pour s’adapter à cette contrainte, les autorités musulmanes contemporaines autorisent aux musulmans d’utiliser un cercueil léger et simple, « à condition que ce dernier soit placé à même la terre et non pas au-dessus ». « Azzedine Gacci a préconisé de recouvrir le fond du cercueil avec de la terre, afin qu’il puisse être assimilé à une niche permettant de protéger le corps », rapporte Mme Bouzar.

« Mais le principal problème, ce n’est pas tant l’inhumation mais c'est la peur de la crémation. En effet, après un certain nombre d’années, les restes présents dans les concessions françaises (ossements) peuvent être exhumés et brûlés, ce qui est totalement interdit en islam. Un enterrement dans le pays d’origine offre à ce titre une garantie que celui-ci se fera dans le respect des préceptes religieux et que, dans tous les cas, il n’y aura jamais crémation », explique M. Gaci.

Les concessions de longue durée privilégiées

Très peu de concessions sont perpétuelles en France. A Lyon, « on attribue les concessions pour 15 ou 30 ans, 50 ans si possible. Au terme du délai du contrat de la concession, si personne n’effectue le renouvellement, si la famille a changé de lieu ou qu’elle ne souhaite pas renouveler le contrat de la concession, l’objectif est de faire une exhumation administrative afin de pouvoir récupérer l’emplacement pour pouvoir le rétribuer à quelqu’un. On ne peut pas maintenir la sépulture en place, sinon on n’aurait plus de place dans les cimetières. Et comme on a beaucoup d’exhumations, on fait des crémations », explique Céline Eyraud, chef du bureau des concessions à Lyon.

Les familles musulmanes se voient donc conseillées de prendre un contrat sur 30 ans – à défaut de la concession perpétuelle, rare et coûteuse – afin que le défunt soit protégé de l’exhumation durant ce délai, estimé correct par les autorités musulmanes lyonnaises pour laisser le temps au corps de se décomposer, mais également de faire une déclaration de « volonté de non-crémation ».

Si le délai de la concession est passé et que les familles ne la renouvellent pas, la mairie a tout droit de saisir la place pour la rétribuer à quelqu’un. Pour une exhumation sur un défunt musulman, « il faut attendre que les ligaments ne tiennent plus en place. A ce moment-là, on a le droit de regrouper les ossements et de les rassembler dans un coin », précise M. Gaci.

Un ossuaire musulman à Nice

A cet effet, la construction d’un ossuaire musulman, bien que non préconisé en islam, peut se relever être une alternative, comme à Nice, où la mairie a décidé de réaliser sa construction en concertation avec le CRCM Paca. « Il n’est pas inscrit dans l’histoire de l’inhumation musulmane. Mais il représente, pour certaines familles qui doivent faire face à des exhumations, décidées par la seule mairie, un moindre mal » pour éviter les incinérations, nous informe Boubekeur Bekri. « Dans ce cas, les corps des exhumés sont placés dans un cercueil de plus petites dimensions et sont placés au fond de l’ossuaire », précise-t-il.

Les demandes pour des carrés musulmans affluent : il est temps que les collectivités territoriales se saisissent de la question en concertation avec les autorités religieuses compétentes.


* La fiche des bonnes pratiques de la laïcité concernant les carrés musulmans, réalisé par Dounia Bouzar pour le groupe parlementaire socialiste, n'a pas été publié dans le Guide pratique de la laïcité, mais le sera prochainement sur Saphirnews.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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