Le décès de Rémi Fraisse, tué le 26 octobre par une grenade offensive, l’usage abusif et en forte augmentation des « armes non-létales » (pistolet taser ou flash-ball) dénoncé par le Défenseur des droits dans son rapport, ont ramené sur le devant de la scène médiatique cette question politiquement sensible. Il est vrai que la justice semble ne plus fonctionner quand les forces de l’ordre sont en cause : réticence à poursuivre les responsables, circonstances du « drame » maintenues opaques, procédure lente et souvent à charge contre les victimes qui aboutit généralement à une ordonnance de non-lieu, à un classement sans suite ou à une relaxe (pour la plupart des affaires), à une peine de prison avec sursis ou, fait rarissime, à une peine de prison ferme.
Seules 5 % des affaires recensées ont conduit à cette dernière option. Le déséquilibre est frappant : rappelons que le meurtre d’une personne dépositaire de l’autorité publique est passible de la réclusion criminelle à perpétuité. Si le traitement pénal semble invariablement favoriser les policiers face à leurs victimes, quel que soit le gouvernement en place, en revanche leurs « passages à l’acte » redoublent d’intensité sous les législatures de droite.
Seules 5 % des affaires recensées ont conduit à cette dernière option. Le déséquilibre est frappant : rappelons que le meurtre d’une personne dépositaire de l’autorité publique est passible de la réclusion criminelle à perpétuité. Si le traitement pénal semble invariablement favoriser les policiers face à leurs victimes, quel que soit le gouvernement en place, en revanche leurs « passages à l’acte » redoublent d’intensité sous les législatures de droite.
Des « bavures policières » non élucidées
Les décès liés aux « bavures policières » sont particulièrement nombreux depuis 2002 : 206 entre 2002 et 2013 inclus, soit près d’une vingtaine par an, tandis que le nombre de policiers tués en service ne cesse de diminuer – exactement 67 pour la même période d’après le comptage de Stéphane Lemercier – dont la majorité pour des raisons accidentelles.
Dans les rangs des « forces de l’ordre », les années 2000 ont été les moins meurtrières des 30 dernières. Selon un rapport d’Amnesty International d’avril 2009, cette progression s’explique par l’impunité de fait dont bénéficient les policiers, étant couverts par leur hiérarchie, et par l’obligation de résultats à laquelle ils sont soumis, qui favorise une multiplication des contrôles et donc des chances de dérapage. La « présomption d’innocence renforcée » que voulait instaurer le candidat Sarkozy entre les deux tours des élections présidentielles, à la demande de plusieurs syndicats de police, est un signe parmi d’autres de la complaisance de la droite.
Inversement, le nouveau code de déontologie des forces de l’ordre mis en place par l’actuel gouvernement ou la création en 2000 de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (que Sarkozy a bien pris le soin de supprimer) montre une volonté de mieux encadrer les pratiques policières. De fait, les bavures policières mortelles sont généralement plus fréquentes sous les gouvernements de droite, le sentiment d’impunité éprouvé par les policiers étant sans doute conforté par l’idéologie sécuritaire favorable aux forces de l’ordre : sur la période 1979-2013, on en compte 271 pendant les 17,5 années de législature de droite et 95 pendant les 17,5 années restantes, soit un rapport de 1 à 3. De fait, le nombre de plaintes dont s’est saisie la Commission nationale de déontologie de la sécurité a nettement progressé : de 140 en 2006, l’effectif annuel monte à 228 en 2009, soit une augmentation de plus de 60 %. Chez les gendarmes, le sentiment d’impunité est encouragé par la « présomption de légitime défense » dont ils bénéficient.
Dans les rangs des « forces de l’ordre », les années 2000 ont été les moins meurtrières des 30 dernières. Selon un rapport d’Amnesty International d’avril 2009, cette progression s’explique par l’impunité de fait dont bénéficient les policiers, étant couverts par leur hiérarchie, et par l’obligation de résultats à laquelle ils sont soumis, qui favorise une multiplication des contrôles et donc des chances de dérapage. La « présomption d’innocence renforcée » que voulait instaurer le candidat Sarkozy entre les deux tours des élections présidentielles, à la demande de plusieurs syndicats de police, est un signe parmi d’autres de la complaisance de la droite.
Inversement, le nouveau code de déontologie des forces de l’ordre mis en place par l’actuel gouvernement ou la création en 2000 de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (que Sarkozy a bien pris le soin de supprimer) montre une volonté de mieux encadrer les pratiques policières. De fait, les bavures policières mortelles sont généralement plus fréquentes sous les gouvernements de droite, le sentiment d’impunité éprouvé par les policiers étant sans doute conforté par l’idéologie sécuritaire favorable aux forces de l’ordre : sur la période 1979-2013, on en compte 271 pendant les 17,5 années de législature de droite et 95 pendant les 17,5 années restantes, soit un rapport de 1 à 3. De fait, le nombre de plaintes dont s’est saisie la Commission nationale de déontologie de la sécurité a nettement progressé : de 140 en 2006, l’effectif annuel monte à 228 en 2009, soit une augmentation de plus de 60 %. Chez les gendarmes, le sentiment d’impunité est encouragé par la « présomption de légitime défense » dont ils bénéficient.
Les démunis en première ligne
La police ne frappe pas au hasard : ce sont généralement les populations les plus démunies en capital social et en ressources juridiques (jeunes, étrangers ou issus de l’immigration et appartenant aux classes populaires) qui sont les cibles des violences policières. Le profil-type de la victime est un homme noir ou d’origine arabe, habitant un quartier populaire de l’agglomération francilienne ou lyonnaise, âgé de 25 à 30 ans. Les « handicaps » sociaux diminuent fortement la validité des témoignages et la recevabilité de la plainte éventuelle.
Dans son rapport de 2010, Amnesty International estimait en outre que les enquêtes sur les violences policières semblent « souvent manquer d’indépendance et d’impartialité », la quasi-inexistence de sanctions émises à l’encontre de policiers s’expliquant par plusieurs facteurs : « la difficulté à déposer plainte contre un officier de police ; les manœuvres d’intimidation de la part de certains policiers ; le non-respect fréquent des droits des détenus en garde à vue ; une conception dévoyée de la solidarité policière qui conduit certains fonctionnaires à couvrir les atteintes commises ; l’absence de poursuites ; les retards déraisonnables dans les enquêtes judiciaires ; des sanctions souvent trop légères pour les actes commis ; et l’insuffisance d’une autorité indépendante d’accès direct pour traiter les plaintes contre la police ».
Les circonstances du drame sont à l’avenant : course-poursuite en voiture, garde-à-vue ou placement en cellule de dégrisement, contrôle d’identité ou interpellation qui tourne mal, tentative de fuite… Dans une majorité des cas, policiers et gendarmes concernés ont fait usage de leur arme à feu. La majorité des tirs touche des régions du corps peu propices à une neutralisation tentant d’éviter la mort. Sur un échantillon de 200 personnes tuées par balles, une cinquantaine sont atteintes à la tête, 25 dans la poitrine, 25 dans le dos, une dizaine dans l’abdomen, une dizaine dans la nuque, une dizaine dans le cœur, 6 dans le cou. Une soixantaine de morts par balles n’est pas renseignée. Pourtant, dans ces cas précis, les situations où les agents se font tirer dessus, et sont donc contraints de riposter, demeurent exceptionnelles.
Dans son rapport de 2010, Amnesty International estimait en outre que les enquêtes sur les violences policières semblent « souvent manquer d’indépendance et d’impartialité », la quasi-inexistence de sanctions émises à l’encontre de policiers s’expliquant par plusieurs facteurs : « la difficulté à déposer plainte contre un officier de police ; les manœuvres d’intimidation de la part de certains policiers ; le non-respect fréquent des droits des détenus en garde à vue ; une conception dévoyée de la solidarité policière qui conduit certains fonctionnaires à couvrir les atteintes commises ; l’absence de poursuites ; les retards déraisonnables dans les enquêtes judiciaires ; des sanctions souvent trop légères pour les actes commis ; et l’insuffisance d’une autorité indépendante d’accès direct pour traiter les plaintes contre la police ».
Les circonstances du drame sont à l’avenant : course-poursuite en voiture, garde-à-vue ou placement en cellule de dégrisement, contrôle d’identité ou interpellation qui tourne mal, tentative de fuite… Dans une majorité des cas, policiers et gendarmes concernés ont fait usage de leur arme à feu. La majorité des tirs touche des régions du corps peu propices à une neutralisation tentant d’éviter la mort. Sur un échantillon de 200 personnes tuées par balles, une cinquantaine sont atteintes à la tête, 25 dans la poitrine, 25 dans le dos, une dizaine dans l’abdomen, une dizaine dans la nuque, une dizaine dans le cœur, 6 dans le cou. Une soixantaine de morts par balles n’est pas renseignée. Pourtant, dans ces cas précis, les situations où les agents se font tirer dessus, et sont donc contraints de riposter, demeurent exceptionnelles.
Le glissement vers l'autoritarisme
Les violences policières sont le fait d’une société toujours plus inégalitaire et d’une politique de classe toujours plus brutale envers les pauvres et les immigrés. Leur progression depuis 35 ans est une tendance lourde : de 6 à 8 bavures mortelles par an entre 1977 et 1997, on passe à 10 dans la période 1997-2001 puis à 18 depuis 2002. L’année 2012 ne fait pas exception avec 19 décès, dont 12 au cours des 6 premiers mois. Face à une « crise » économique qui les met en échec, les gouvernements qui se succèdent depuis 30 ans sont tentés de choisir l’autoritarisme étatique et policier en lieu et place des politiques sociales de relance keynesienne, plus difficiles à mettre en œuvre du fait de la supranationalisation des politiques économiques.
Ce choix est lourd de conséquences. Il conduit à miser sur les rapports de force en criminalisant les résistances populaires, en multipliant les unités d’intervention brutales et militarisées (types BAC), en donnant de plus en plus de pouvoir à la police, en développant les technologies et les armements. Cette politique ne peut qu’entraîner toujours plus de dérapages et toujours plus de victimes.
****
Nicolas Bourgoin est démographe, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, membre du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA-UFC). Dernier ouvrage paru : La Révolution sécuritaire, Éditions Champ social, 2013.
Ce choix est lourd de conséquences. Il conduit à miser sur les rapports de force en criminalisant les résistances populaires, en multipliant les unités d’intervention brutales et militarisées (types BAC), en donnant de plus en plus de pouvoir à la police, en développant les technologies et les armements. Cette politique ne peut qu’entraîner toujours plus de dérapages et toujours plus de victimes.
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Nicolas Bourgoin est démographe, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, membre du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA-UFC). Dernier ouvrage paru : La Révolution sécuritaire, Éditions Champ social, 2013.
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