Dix-huit ministres du gouvernement de M. Jean Pierre Raffarin se sont réunis hier pour tenter de trouver une voie de sortie honorable au conflit dans l’Education Nationale. Ce séminaire interministériel intervient après la forte mobilisation du corps enseignant durant la journée du 13 mai dernier. Après avoir dit « non à la rue » sur le projet de décentralisation, Le gouvernement lâche du lest face à la détermination des enseignants. Le Premier ministre s’est dit prêt, dès vendredi prochain, à soumettre le texte d’un avant-projet aux partenaires sociaux pour ouvrir les discussions sur certains points de discordes.
Le gouvernement joue le pourrissement ?
Par ce geste, le gouvernement espère limiter sa responsabilité dans le durcissement des positions des grévistes dont certains sont à leur huitième jour de grève depuis la rentrée scolaire. Son porte-parole, M. Jean-François Copé, a déclaré que «le gouvernement veut montrer qu'il prend en compte le malaise enseignant. » Mais certains syndicats ont exprimé des réserves face à cette nouvelle stratégie du Premier ministre. «S'il joue la carte du pourrissement, Raffarin prend le risque d'une radicalisation extrêmement dangereuse», a déclaré M. Patrick Gonthier du syndicat Unsa.
Dans les faits, le ministre de l’Education Nationale, M. Luc Ferry voit planer de sérieuses menaces sur le bon déroulement de « son bac » qui commence dans quelques semaines. Dans l'enseignement supérieur, la faculté de sciences humaines Charles-de-Gaulle de Lille a déjà décidé de reporter les examens de fin d’année. L'unité de formation et de recherches des sciences et techniques à l'université du Havre a reporté ses examens aussi. Même son de cloche à l'université de Perpignan. De quoi donner des raisons à M. Ferry d’accorder un sérieux crédit aux rumeurs persistantes de boycott des épreuves ou des corrections de copies du baccalauréat. A cela s’ajoute une forte baisse de la côte de confiance au Premier ministre : moins sept points dans le baromètre BVA/Paris-Match.
Le malaise des enseignants
Les restrictions budgétaires annoncées par le gouvernement n’épargneront certainement pas l’Education Nationale. Or, la prochaine rentrée scolaire verra l’arrivée en écoles maternelles et dans le primaire de 34 000 nouveaux élèves. L’on prévoit 54 000 enfants de plus pour septembre 2004. Cette frange du corps enseignant est à 75% féminin dont une bonne partie subit une carrière entrecoupée de maternités et de mutations de l’époux. Ces changements, avec la reforme en cours, repoussent l’âge de leur retraite à 65 ans (sinon plus) à moins qu’elles n’acceptent de perdre, dans certains cas, jusqu’à 25% de leur pension.
Dans l’enseignement secondaire, M. Bernard Boisseau l’un des secrétaires généraux du syndicat majoritaire Snes-FSU, exprime ses inquiétudes : «Nous craignons de voir disparaître quelques 7 000 postes dans le secondaire» dit-il. D’une part, selon les syndicats, les mesures gouvernementales impliquent la suppression de près de 25 000 postes d'aides éducateurs et surveillants. Ce qui s’oppose à la demande d’une plus grande présence d’adultes dans les cours d’école pour lutter contre la violence scolaire. D’autre part, la décentralisation envisagée par le gouvernement prévoit aussi le transfert de 110 000 emplois concernant les agents techniques, les médecins scolaires, les assistantes sociales et les conseillers d'orientation. Mais sur cette question, le ministre s’est voulu inflexible. Cependant il s’est déclaré ouvert à la discussion pour envisager les modalités de mise en place de ce transfert.
La présente crise, tant dans sa radicalisation que par son succès, traduit le secret de polichinelle d’un « malaise dans l’Ecole ». La population scolaire a beaucoup changé. Le métier d’enseignant a dû suivre sans que les enseignants ne soient véritablement préparés aux diverses tâches éducatives qui leur incombent désormais en marge de leur enseignement.
Même s’il n’est pas le seul visé par les reformes annoncées, le corps enseignant les ressent de plein fouet. N’ayant tiré aucun profit des 35 heures, considérant son salaire très moyen en rapport à son niveau d’études, le corps enseignant qui constitue le gros du contingent des fonctionnaires, se sent particulièrement visé lorsque le projet gouvernemental prévoit qu’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux ne sera pas remplacé. Ce qui présage des effectifs plus élevés dans les salles de classes. Donc des conditions de travail encore plus difficiles dans l’avenir avec des perspectives de retraite rallongée.
Autant de difficultés aux côtés desquelles la question du « hijab à l’école » fait figure de dispute d’écoliers dans une cour de récréation.