Discours à la nation du général al-Sissi devenu président élu à 98 %, entouré de personnalités militaires, politiques et religieuses, notamment Mohamed El-Baradei (Prix Nobel de la paix, nommé vice-président le 9 juillet mais qui donnera sa démission le 14 août), le cheikh d’Al-Azhar Ahmed El-Tayeb et le pape copte Tawadros II. (Image du 3 juillet 2013, extraite de la télévision d’État égyptienne.)
Ancien professeur de langues sémitiques au Caire, Mahmoud Azab avait notamment vécu plus d’un quart de siècle en France, où il a obtenu son doctorat de la Sorbonne et enseigné à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Au-delà de sa brillante carrière universitaire, l’homme était surtout un chantre de la tolérance et une figure emblématique du dialogue interreligieux dans un Egypte qui souffre en ces matières. Hommage à cet « Azhari » de lettres et de valeurs, qui avait également le courage de défendre le positionnement philosophique et politique de son Alma Mater.
Didier Leroy : Quelle est votre fonction au sein d’Al-Azhar et quel est le principal message que votre institution cherche à diffuser ?
Mahmoud Azab : Depuis mon retour en Égypte, il y a trois ans, suite à la révolution, ma fonction auprès d’Al-Azhar consiste à prôner le dialogue religieux. Il s’agit avant tout du dialogue islamique interne, égypto-égyptien, puisque plusieurs écoles juridiques se côtoient. Ensuite vient le dialogue islamo-chrétien, dont nous distinguons trois dimensions. Premièrement, les chrétiens égyptiens constituent notre priorité principale puisqu’il en va de l’unité de notre pays. Dans un deuxième temps vient le christianisme arabe (oriental) ; n’oublions pas l’effort extraordinaire de traduction que nous devons aux moines chrétiens à l’échelle historique. En troisième lieu vient le dialogue avec le christianisme dans le reste du monde.
[…] Le message d’Al-Azhar consiste notamment à prôner le pluralisme islamique au-delà de l’islam doctrinal. Et le pluralisme en Égypte ne peut s’appuyer que sur l’islam modéré et le christianisme modéré. Le peuple égyptien est un peuple croyant, musulman et chrétien. A travers son action, Al-Azhar est capable de réunir les camps qui ne se réunissent pas ailleurs.
[…] Le message d’Al-Azhar consiste notamment à prôner le pluralisme islamique au-delà de l’islam doctrinal. Et le pluralisme en Égypte ne peut s’appuyer que sur l’islam modéré et le christianisme modéré. Le peuple égyptien est un peuple croyant, musulman et chrétien. A travers son action, Al-Azhar est capable de réunir les camps qui ne se réunissent pas ailleurs.
Comment décririez-vous le rôle qu’Al-Azhar joue par rapport à la vie politique égyptienne ?
Mahmoud Azab : Mon institution ne joue pas de rôle politique comme les Frères musulmans ou les partis salafistes, mais a un rôle davantage national. C’est très important de ne pas confondre les deux. L’actuel chef d’Al-Azhar, le Sheikh Ahmed Al-Tayeb, s’est attaché ces trois dernières années à ce que notre université retrouve ce rôle important qu’il avait légèrement perdu ce dernier quart de siècle.
Quatre moments cruciaux sont à retenir. Tout d’abord, Al-Azhar a été le berceau de la résistance face à l’envahisseur à l’époque de Bonaparte. Le deuxième moment historique se passe en 1919, lorsque Al-Azhar dirige la résistance contre les Anglais. À l’époque, le pape copte est venu s’entretenir avec les autorités d’Al-Azhar et, ensemble, ils ont créé le drapeau réunissant la croix chrétienne et le croissant islamique et figurant également le célèbre slogan « La religion est pour Dieu, la patrie est pour tous ». Ce drapeau est réapparu pour la première fois sur la place Tahrir il y a trois ans. Le troisième moment historique est 1958, lorsque toute l’Egypte est derrière Nasser dans le cadre de la guerre de Suez. Enfin, le quatrième moment commence en janvier 2011 avec la révolution.
Quatre moments cruciaux sont à retenir. Tout d’abord, Al-Azhar a été le berceau de la résistance face à l’envahisseur à l’époque de Bonaparte. Le deuxième moment historique se passe en 1919, lorsque Al-Azhar dirige la résistance contre les Anglais. À l’époque, le pape copte est venu s’entretenir avec les autorités d’Al-Azhar et, ensemble, ils ont créé le drapeau réunissant la croix chrétienne et le croissant islamique et figurant également le célèbre slogan « La religion est pour Dieu, la patrie est pour tous ». Ce drapeau est réapparu pour la première fois sur la place Tahrir il y a trois ans. Le troisième moment historique est 1958, lorsque toute l’Egypte est derrière Nasser dans le cadre de la guerre de Suez. Enfin, le quatrième moment commence en janvier 2011 avec la révolution.
Pourriez-vous commenter la prise de position d’Al-Azhar lors du coup d’Etat de l’été 2013 ?
Mahmoud Azab : Ces dernières décennies, l’Égypte a attendu le moment du réveil démocratique et libre. Voilà pourquoi, lors du premier vote pour la nouvelle Constitution après la révolution, nous – Al-Azhar et l’Eglise copte – nous sommes retirés tous les deux. L’Egypte avait besoin d’une Constitution fondée sur la citoyenneté. Que l’Europe ait été égarée par certains médias ou non, nous étions ici et nous avons vu plus de 25 millions de personnes descendre dans la rue le 30 juin de l’année passée. L’Egypte était sur le point d’un éclatement et l’armée est intervenue pour défendre la sécurité de l’intérieur.
Il y a actuellement une tendance à critiquer l’armée, mais notre armée est une armée nationale, notamment constituée des fils de paysans… Dans chaque famille égyptienne, il y a un cousin ou un oncle qui est soldat ou officier dans l’armée. Il ne s’agit pas d’une force sectaire ou ethnique qui se pose en adversaire face au peuple. Pour nous, le 30 juin était une révolution. Et si vous voulez absolument utiliser le terme « coup d’Etat », il s’agissait d’un coup d’Etat populaire. Al-Azhar et l’Eglise chrétienne se tenaient à côté de l’armée pour défendre le peuple. Les chefs d’autres partis étaient également présents, les salafistes aussi étaient là malgré les divergences d’opinion sur beaucoup d’autres choses.
Il y a actuellement une tendance à critiquer l’armée, mais notre armée est une armée nationale, notamment constituée des fils de paysans… Dans chaque famille égyptienne, il y a un cousin ou un oncle qui est soldat ou officier dans l’armée. Il ne s’agit pas d’une force sectaire ou ethnique qui se pose en adversaire face au peuple. Pour nous, le 30 juin était une révolution. Et si vous voulez absolument utiliser le terme « coup d’Etat », il s’agissait d’un coup d’Etat populaire. Al-Azhar et l’Eglise chrétienne se tenaient à côté de l’armée pour défendre le peuple. Les chefs d’autres partis étaient également présents, les salafistes aussi étaient là malgré les divergences d’opinion sur beaucoup d’autres choses.
Comment Al-Azhar se positionne-t-elle par rapport aux acteurs politiques dits « islamistes » ?
Mahmoud Azab : En tant que représentant d’Al-Azhar, je suis pour un islam neutre qui ne s’implique pas dans les problèmes politiques. Quand l’islam se mêle à la politique, c’est l’islam qui perd. […] Nous sommes donc contre tous les courants qui cherchent à instrumentaliser l’islam à des fins politiques. La déclaration d’Al-Azhar de juin 2011 montre bien que nous voulons une Égypte démocratique. Nous ne voulons pas que l’Égypte soit dirigée par un État religieux comme ce qui s’est passé en Europe au Moyen Âge. L’islam n’impose pas une forme spéciale et particulière pour le pouvoir, il insiste surtout sur la justice. Il est important de neutraliser les valeurs de l’islam qui sont instrumentalisées.
Quel est le message qu’Al-Azhar souhaiterait transmettre à l’Europe ?
Mahmoud Azab : L’Égypte, dans sa dimension méditerranéenne, a partagé de nombreuses valeurs avec l’Europe, même en temps de guerre. Mais que s’est-il passé en Irak en 2003, en Libye [en 2011] puis en Syrie [plus récemment encore] ? En quelques années, on a liquidé les trois grandes armées de la région. Il ne reste que l’armée égyptienne, voilà pourquoi on doit la protéger.
[…] Lorsque l’Union européenne évoque la démocratie et la légitimité, on a l’impression que la démocratie s’enferme dans les urnes. Selon moi, le vote est la signature du contrat social, et pas la démocratie tout entière. Si le peuple donne son accord et signe à travers les urnes, ce peuple peut également retirer ce qu’il a donné. […] Je reste toutefois certain que l’Europe comprend bien l’Orient et ses problèmes. Même dans le malheur, après des épisodes d’invasion et de colonisation, nous avons trouvé les moyens de nous entendre.
J’attends de l’Europe qu’elle voit les changements – les vrais changements – que l’on vit maintenant, et qu’elle change de vocabulaire et de terminologie en parlant avec nous. […] Moi qui ai vécu longtemps en Europe et qui suis convaincu des valeurs communes que nous partageons, […] j’aimerais voir apparaître de nouvelles pistes d’entente. Pour cela, il convient surtout d’encourager le retour de cet islam pluraliste et tolérant.
*****
Didier Leroy est chercheur à l'Ecole royale militaire de Belgique et assistant à l'Université libre de Bruxelles. Il est l'auteur, notamment, de Hezbollah, la résilience islamique au Liban, Ed. L'Harmattan, 2012, 314 p.
[…] Lorsque l’Union européenne évoque la démocratie et la légitimité, on a l’impression que la démocratie s’enferme dans les urnes. Selon moi, le vote est la signature du contrat social, et pas la démocratie tout entière. Si le peuple donne son accord et signe à travers les urnes, ce peuple peut également retirer ce qu’il a donné. […] Je reste toutefois certain que l’Europe comprend bien l’Orient et ses problèmes. Même dans le malheur, après des épisodes d’invasion et de colonisation, nous avons trouvé les moyens de nous entendre.
J’attends de l’Europe qu’elle voit les changements – les vrais changements – que l’on vit maintenant, et qu’elle change de vocabulaire et de terminologie en parlant avec nous. […] Moi qui ai vécu longtemps en Europe et qui suis convaincu des valeurs communes que nous partageons, […] j’aimerais voir apparaître de nouvelles pistes d’entente. Pour cela, il convient surtout d’encourager le retour de cet islam pluraliste et tolérant.
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Didier Leroy est chercheur à l'Ecole royale militaire de Belgique et assistant à l'Université libre de Bruxelles. Il est l'auteur, notamment, de Hezbollah, la résilience islamique au Liban, Ed. L'Harmattan, 2012, 314 p.
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