Mahmoud Azab (à dr.), à l’Institut dominicain d’études orientales (IDEO), au Caire, en mai 2012, à l’occasion d’une soirée-hommage à Mgr Michael Fitzgerald (à g.), nonce apostolique en Égypte.
Croire aujourd’hui : Comment avez-vous rencontré le P. Régis Morelon ?
Mahmoud Azab : De retour au Caire après mes études à Paris, j’ai eu l’occasion en 1987 de faire la rencontre d’un dominicain dont j’avais beaucoup entendu parler durant ma formation en France, le P. Georges Anawati. Cet intellectuel égyptien, grand connaisseur de la philosophie musulmane et homme de foi m’a beaucoup marqué. J’ai été touché par son désir de connaître l’autre, mais aussi sa bienveillance et son objectivité. Par lui, j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs prêtres, particulièrement des dominicains et des jésuites. J’ai commencé à fréquenter le couvent des Dominicains du Caire, j’ai même envoyé à leur bibliothèque plusieurs de mes étudiants de l’Université Al-Azhar où j’enseigne. Et j’ai participé chaque mois, pendant plusieurs années, à des groupes de rencontres islamo-chrétiens. Je me suis rapproché du P. Régis Morelon à l’occasion de la mort du P. Anawati. Depuis notre amitié n’a fait que grandir. Il est devenu très proche de toute ma famille.
À travers toutes ces relations, qu’avez-vous découvert de la for de l’autre ?
Mahmoud Azab : Ma connaissance du christianisme ne date pas de ma rencontre avec le P. Morelon − je l’appelle Père Régis. Très jeune, j’ai eu la chance d’être élevé dans un village où il y avait des coptes, amis de mes parents. Le prêtre de la paroisse venait souvent à la maison. L’église n’était pas vraiment un lieu étranger pour nous. Puis, à l’université, j’ai choisi les langues sémitiques pour étudier la Bible et le Coran. Quand j’ai rencontré le P. Régis, je n’étais donc pas ignorant de la religion chrétienne, mais l’amitié profonde qui s’est installée entre nous m’a permis de franchir une étape supplémentaire. Le P. Régis a une foi très fine et profonde. Avec lui, je peux avoir un dialogue ouvert et approfondi. Je rencontre une foi chrétienne vécue sans racisme ni fermeture d’esprit. Avec lui, le dialogue prend vraiment tout son sens et nous rapproche. Ce dialogue est vrai parce qu’il est né d’une vie partagée.
Cette amitié vous a-t-elle permis d’approfondir un aspect de votre foi musulmane ?
Mahmoud Azab : Ma rencontre avec le P. Régis est arrivée à une période où je me sentais plus mûr pour recevoir. J’ai beaucoup parlé avec lui. Nos rencontres me faisaient réfléchir. J’ai mieux compris ma propre foi grâce à la rencontre de l’autre. Le dialogue n’a jamais déstabilisé ma foi, mais il l’a, au contraire, conforté. J’aime ces propos du grand mystique soufi cheikh El Arabi : i[“Avant, je ne reconnaissais pas un ami s’il n’était pas d’accord avec moi dans toutes mes idées. Aujourd’hui, mon cœur admet toutes les images, mon cœur peut être pâturage pour les gazelles, un couvent pour les moines, une maison d’idoles, une ka’ba pour ceux qui font le pèlerinage [à la Mecque], une tablette de la Thora, le livre du Coran. Je prends, j’embrasse comme religion la religion de l’amour. Où l’amour s’en va, je cours après lui. L’amour est ma religion et ma foi.”]i Je ne vois aucune contradiction entre nos deux parcours de foi. Au moment de la prière, savoir que l’autre va dans son église et moi à la mosquée m’aide beaucoup.
Quel jugement portez-vous sur le dialogue islamo-chrétien ?
Mahmoud Azab : Je fais la distinction entre trois niveaux de dialogue : celui que j’ai avec des amis chrétiens, celui proposé par le Vatican et celui dont il est question dans des conférences internationales. Au Vatican, cela se passe bien. Ce sont de vraies rencontres. Mais je suis frappé de constater qu’on ne parle que de ce qui nous rapproche. Pourquoi ne cherche-t-on pas à réfléchir sur les points de divergence ? C’est cela qui va renforcer le dialogue. Je suis, en revanche, très réservé sur le dialogue proposé par certaines instances internationales, associations, ONG... Elles ont beaucoup d’argent. Cela sert des intérêts politiques mais ne fait pas avancer en profondeur la rencontre.
Qu’est-ce qui fait obstacle à la rencontre entre chrétiens et musulmans ?
Mahmoud Azab : Beaucoup de musulmans n’arrivent pas à faire facilement la distinction entre les chrétiens et la civilisation occidentale. La politique occidentale est perçue comme étant celle des chrétiens. On en arrive donc à suspecter les meilleures intentions. Par exemple, la notion de droits de l’homme. Que signifie pour un musulman cette idée quand il voit ce qui se passe en Irak ou en Palestine ? Certes, c’est le politique qui dirige tout. Mais si les valeurs chrétiennes présentes en Occident ne s’occupent pas de l’injustice et du mal dans le monde, cela pose au musulman des questions sur cette foi. À l’inverse, les gens en Europe ne connaissent l’islam qu’à travers ce qu’en disent les médias : l’islam, c’est le GIA qui tue des enfants, les talibans qui détruisent les statues... J’appelle les chrétiens qui connaissent la réalité de l’islam à dire : “Non, l’islam que nous connaissons, ce n’est pas cela !” J’aime le P. Régis et ses amis parce qu’ils parlent ainsi et, en quelque sorte, ils défendent mon existence.
Première parution de cet article dans Croire aujourd'hui, n° 121, 1er novembre 2001.
Enseignant au Centre Sèvres, le P. François Boëdec a été rédacteur en chef de la revue Croire aujourd'hui.
Première parution de cet article dans Croire aujourd'hui, n° 121, 1er novembre 2001.
Enseignant au Centre Sèvres, le P. François Boëdec a été rédacteur en chef de la revue Croire aujourd'hui.
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