Ce fut un lundi de Rabî‘ al-‘awwal de l’année où Abraha, souverain de l’Abyssinie, est venu à la Mecque pour détruire la Ka‘ba ; avec des éléphants comme arme de destruction. Mais, Dieu interviendra pour préserver cet établissement que le Coran nomme « la Maison d’Allâh ». De là, une sourate du Coran sera plus tard consacrée à cet évènement miraculeux et par laquelle Dieu s’adresse à Son Prophète (Paix et Salutation sur lui) en ces termes : « N’as-tu pas vu ce que ton Seigneur fit des Gens de l’Eléphant ? N’a-t-Il pas plongé leur stratagème en plein fourvoiement ? Contre eux Il envoya des oiseaux par vagues. Leur lança des pierres en fait de sceau. Il les rendit pareil à un chaume dévoré »[1].
Cependant, le Coran ne porte pas d’attention particulière sur la naissance même du Prophète. Et durant prés de quatre siècles, les musulmans ne manifesteront quasiment aucun égard singulier pour l’anniversaire du Messager d’Allâh. Il est possible que cela soit dû à la volonté d’éviter la vénération de la personne du Prophète. Effectivement, cette idée est mise en évidence dans plusieurs versets. « Dis : « Je ne suis qu’un humain comme vous, mais à qui la révélation vient… » »[2]. « Muhammad n’est qu’un Envoyé : d’autres Envoyés ont passé avant lui »[3].
Toutefois, le Coran met l’accent sur la nuit grandiose (laylat al-qadr). Une sourate entière lui a été consacrée et a même reçu son nom. En cette nuit, le Coran fut descendu. Muhammad l’homme est devenu Muhammad l’Envoyé après ses quarante ans. Cette date aurait pu également susciter une attention particulière mais de surcroît cela ne c’est pas passé : peut-être pour les mêmes raisons.
Le temps et le lieu n’ont pas par nature une vertu, ils prennent, néanmoins, leurs valeurs de l’attribution divine. C’est Dieu qui a sacralisé, par exemple, la Mecque, Médine, Jérusalem, le Ramadan et les quatre mois de l’année lunaire. Pour beaucoup de juristes musulmans, le jour de la naissance du Prophète est le meilleur des temps ; Dieu l’a choisi pour la venue de Son meilleur serviteur à ce monde. D’ailleurs, il est recommandé pour tout musulman de jeûner chaque lundi en raison de la naissance de l’Envoyé de Dieu et de l’ascension des œuvres humaines au ciel en ce jour. Le Prophète répondit à celui qui l’interrogea au sujet du jeûne du lundi en disant : « C’est en ce jour que je suis né ».
Ibn Marzûq, un grand juriste mâlikite de Tlemcen va jusqu'à rédiger une épître intitulée : janâ al-jannatayn fî tafdîl al-laylatayn, dans laquelle il établit une comparaison entre l’anniversaire du Prophète et la nuit grandiose. Selon lui, l’anniversaire du Prophète a plus de mérite. Ahmad ibn ‘Ammâr le muftî d’Alger au XVIII siècle, après avoir rapporté cette opinion, nous fait part de la critique d’Ibn Hajar le mecquois. Ce dernier distingue le jour où le Prophète est réellement né des autres anniversaires. Si les mérites prennent toute leur envergure en ce premier jour, rien ne prouve qu’ils soient reconduits pour les anniversaires à venir.
Dès l’époque fatimide, les pouvoirs politiques ont instauré une fête pour commémorer la naissance du Prophète : al-mawlid an-nabawî. Bien que ces pouvoirs faisaient partie de la minorité shiite, la majorité sunnite, notamment les soufis, n’éprouvait pas dans ses débuts de réticence à les suivre. Cette entente n’a, cependant, pas duré. Une polémique marqua les siècles d’après. L’observateur contemporain peut relever des listes de savants soutenant l’une ou l’autre des positions. En revanche, pour mieux vivre cette divergence le musulman est en devoir de comprendre les motivations respectives. Les partisans du mawlid voient en sa célébration un signe d’expression amoureuse à l’égard du Prophète et un geste de reconnaissance envers lui. Leurs adversaires, par contre, craignent l’innovation et l’hérésie. D’autant plus que le mawlid est souvent associé à des pratiques contestables telles que la danse, la mixité, la charlatanerie… C’est donc dans un esprit puritain qu’ils se situent.
A mon sens, il est possible de profiter de toute occasion pour revivifier la foi et transmettre la connaissance, en cherchant à éviter toutes les dérives possibles. Ainsi, dans un contexte qui ne favorise pas l’épanouissement spirituel de l’individu, de telles occasions semblent être des moyens opportuns pour vivre une meilleure relation avec Dieu.
Certains pensent peut-être qu’il suffit de prendre l’exemple du Prophète et de le suivre sans qu’il soit nécessaire d’y exprimer son amour. Cette vision ne peut être qu’un rapport superficiel avec celui que Dieu a nommé : la miséricorde des univers[4], et montre également une certaine ignorance des Textes coraniques et prophétiques. Certes, aimer Dieu a un prix : c’est d’être fidèle à l’enseignement de Son Envoyé. Toutefois, cette fidélité doit être accompagnée de sentiments d’amour fondés sur la connaissance et la reconnaissance. Pour cela, une lecture approfondie de la vie du Prophète (sîra) peut contribuer à nourrir ce sentiment. De même, méditer les versets qui s’adressent au Prophète ou qui lui sont afférents constitue un excellent moyen pour cela. A titre d’exemple nous pouvons lire ces versets :
« C’est par quelque miséricorde venue de Dieu que tu te montres si accommodant à leur égard ; eusses-tu fait preuve de rudesse, de dureté du cœur, qu’ils se seraient dispersés d’autour de toi. Efface leurs fautes, implore pour eux le pardon, consulte-les sur la tactique. Mais quand tu auras pris ta décision, remets-t’en à Dieu. Dieu aime qui s’en remettent à Lui. »[5] .
« Il vous est venu un Envoyé élu parmi vous-mêmes. Lourdes lui sont vos fatigues. Vous êtes sa passion. Aux croyants vont sa tendresse et sa miséricorde. S’ils se dérobent, dis : « Dieu me suffise ! Il n’est de Dieu que Lui. A Lui je fais confiance. Il est le Seigneur du Trône sublime »[6].
« Ma Miséricorde ombrage toute chose. J’écrirai (Ma miséricorde) en faveur de tous ceux qui se prémunissent, acquittent la purification (zakât), de ceux qui croient, eux, à Nos signes, en faveur de ceux qui suivent l’Envoyé, le Prophète natif, qu’ils trouvent chez eux inscrit dans la Torah comme dans l’Evangile : il leur commande le convenable et leur proscrit le blâmable, leur rend licite les choses bonnes, illicites les pernicieuses, et fait d’eux tomber les pesanteurs et les entraves qui les écrasaient ; oui, en faveur de ceux qui croient en lui, le soutiennent, l’assistent, suivent la lumière descendue avec lui ; tous ceux-la sont eux, les triomphants. Dis : « Humains, je suis un Envoyé de Dieu à vous tous ensemble »[7].