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Points de vue

Mayotte est le nouveau DOM français

Un cas de départementalisation

Rédigé par Amara BAMBA | Mardi 31 Mars 2009 à 08:06

           

L'île de Mayotte sera bientôt le 101e département français. Le 29 mars 2009, les Mahorais (ou maorés) sont invités à un référendum. Par oui ou par non, ils devront répondre à la question : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée département régie par l'article 73 de la Constitution et exerçant les compétences dévolues aux départements et Régions d'Outre-mer ? »



La victoire du « oui » est déjà annoncée. Mais pour M. Saïd Ali, directeur de La Maison de Mayotte, à Saint-Denis de La Réunion (97), les enjeux du référendum résident dans le taux de participation et le pourcentage en faveur du « oui ». « En dessous de 80 % de participation, nous aurons raté notre cible, dit-il. Et si le oui n'atteint pas les 90 %, nous aurons échoué dans notre campagne ». La cause est entendue : avec ou sans la manière, l'île de Mayotte sera officiellement département français, le cinquième d'outre-mer après la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane (française) et La Réunion.

Le référendum du 29 mars 2009 est un événement attendu dans les milieux mahorais mais aussi dans les autres îles des Comores. En installant Mayotte dans une position « normale » au sein de la République française, le statut de département est supposé mettre un point final et définitif aux revendications comoriennes sur Mayotte. Car, depuis trente ans, cette petite île de l'océan Indien est un « territoire français » réclamé par la République des Comores en vertu du droit international.

Ancienne puissance coloniale, la France traîne quelques casseroles dans l'océan Indien. Autour des îles Eparses (Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India), la France est en conflit avec son ancienne colonie de Madagascar. Cette affaire peu connue court depuis avril 1960.
Autour du récif de Tromelin aussi, un autre conflit oppose la France à l'île Maurice depuis avril 1976.
Quant au conflit franco-comorien autour de Mayotte, il remonte au 6 juillet 1975, lorsque trois des quatre îles de l'archipel des Comores (Anjouan, Grande Comore et Mohéli) déclarent une sécession unilatérale et désignent Ahmed Abdallah chef du nouvel État comorien.

Genèse d'une décolonisation bricolée

Juin 1973. En pleine période de décolonisation, l'Etat français organise une consultation électorale permettant aux quatre îles de l'archipel des Comores de choisir par référendum entre l'indépendance et le maintien dans la République. Conformément à la résolution 3161 de l'Assemblée générale des Nations unies, la proclamation sera faite à partir du résultat global, même si le classement se fait île par île. L'intangibilité des frontières coloniales, norme instaurée par l'ONU, est admise par tous.

Le 22 décembre 1974, la question posée aux Comoriens est sans ambages : « Souhaitez-vous que le territoire des Comores soit indépendant ? » Le « oui » l'emporte largement (94,56 % des suffrages exprimés). A Anjouan, Grande Comore et Mohéli, l'on frôle les 100 %. En revanche, sur l'île de Mayotte, c'est le « non » qui l'emporte nettement (63,82 % des suffrages exprimés).

Cette divergence des choix n'est pas nouvelle. Dans l'archipel voisin des Mascareignes, l'île Maurice et l'île de Rodrigues étaient anglaises. Les populations ont également été invitées à se déterminer sur leur autonomie par rapport à l'ancienne puissance coloniale. A plus de 97 %, les Rodriguais ont refusé l'indépendance. Mais ils ont été mis en minorité par le vote de l'île Maurice.
Au final, l'indépendance de la République de l'île Maurice a été déclarée le 12 mars 1968, sans scission territoriale de l'archipel.

Il en sera autrement pour la France et sa colonie comorienne. Face à la grande disparité du résultat du référendum d'autodétermination, le projet de loi reconnaissant l'indivisibilité des Comores sera modifié, par une loi du 3 juillet 1975, à la demande du Sénat.
Officiellement, il s'agit de protéger les aspirations du peuple mahorais, dont le référendum a révélé la spécificité, à disposer de lui-même. Mais, pour les Comoriens des trois autres îles, la réaction française est un réflexe colonialiste, contraire au droit international et visant à maintenir la mainmise de la France sur l'archipel.

A défaut d'une diplomatie courageuse qui réconcilierait les frères comoriens, la France choisit donc de légiférer. Cette loi, qui intervient six mois après le référendum, prévoit la formation d'un nouveau comité constitutionnel avec pour mission de proposer un nouveau projet de loi « garantissant la personnalité politique et administrative » de chacune des quatre îles du futur État comorien.

Mais le subterfuge va plus loin, car il impose que ce nouveau projet de Constitution soit soumis à référendum. Et cette fois, les résultats du vote seraient considérés « île par île ».
Le marché de dupes est rejeté par les représentants des îles d'Anjouan, de Grande Comore et de Mohéli. D'un commun accord, ils se rebellent et déclarent « la sécession de l'archipel des Comores » le 6 juillet 1975. Mayotte n'est pas de la partie.

Trois jours plus tard, la France prend acte de la sécession des trois îles et réaffirme sa mainmise sur Mayotte. Reste à trouver un statut juridique à ce territoire qui est français depuis 1841.
La panoplie administrative disponible s'avère inadaptée à la situation. Le statut de « collectivité territoriale » est alors inventé. Mayotte devient « collectivité territoriale », un statut annoncé comme provisoire.

Mayotte est le nouveau DOM français

Mayotte, la française, la musulmane

Géographiquement, l'île de Mayotte est située dans le sud de l'archipel des Comores. À près de 8 000 km de Paris, elle s'étend sur environ 370 km². Ses 160 000 habitants sont issus de peuples africains, essentiellement des bantous et des malgaches. En raison de leur religion musulmane (au moins 95 % de la population), la langue arabe est le véhicule traditionnel des idées spirituelles et intellectuelles. Le français est la langue administrative. Elle n'est pas toujours maîtrisée, sauf par les intellectuels, dont elle est la seconde langue.
Mais une chose est indéniable pour le visiteur de l'île : les Mahorais sont passionnément francophiles.

Bien avant de prendre pied dans les trois autres îles des Comores (Anjouan devient protectorat en 1866), la France était déjà à Mayotte en 1841. Nombre de travaux montrent que cette présence est avant tout géostratégique.

Régis Lavoux, maître de conférence d'histoire du droit et des institutions à l'université de La Réunion, décrit Mayotte comme une « aubaine pour la monarchie de Juillet, cette monarchie qui a perdu par le traité de Paris l'île de France (aujourd'hui île Maurice, ndlr) ; qui ne trouve pas en Nossi-Bé cette baie sûre si nécessaire à sa marine marchande et militaire pour la relâche et le ravitaillement ; qui lorgne Madagascar. Quelle chance de la sorte, lorsque le (...) sultan de Mayotte, Andriantsoly, brade l'île comorienne de Maoré (Mayotte, ndlr) pour quelques piastres de rente, annuelle et viagère, qu'il consacrera à se saouler ».

Dans un article fort instruit, publié en 2004 (« Mayotte dans la République », Actes du colloque de Mamoudzou, Ed. Montchrestien), M. Lavoux explique aussi que, avant de céder Mayotte à la France en 1841, le sultan Andriantsoly avait invité l'Angleterre, par l'intermédiaire du gouverneur de Maurice, à lui faire une proposition (en 1837). Mais son offre fut rejetée. « Londres n'entendait pas intervenir dans les affaires de l'archipel. »

De 1941 à 1976, le statut de Mayotte est un casse-tête pour l'administration coloniale française. Trop petite pour être une colonie autonome, l'île est constamment rattachée à d'autres territoires de la zone au gré des intérêts de la France.

Mayotte est un temps rattachée à la colonie de La Réunion. Plus tard, l'île est amarrée au protectorat des Comores (Anjouan, Mohéli et Grande Comore). Puis un moment sous la coupe de Madagascar. Une instabilité de statut dans une continuité française, dont la conséquence est un regain nationaliste, francophile et une instabilité de son rapport aux îles voisines.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'heure est aux indépendances. Mayotte la Comorienne se voit délestée de prérogatives dont elle tirait fierté. Pour M. Saïd Ali, « les populations commencent à s'indigner lorsque la capitale (des Comores, ndlr) passe de Mayotte à la Grande Comore en 1958. Le lycée, les grands hôpitaux, la station de radio, tout a fini par quitter l'île, alors que nous sommes Français depuis 1841. C'est vraiment là que l'on a vu l'importance du statut et que l'opinion publique a pris conscience. Mais, dès le départ, il faut reconnaître qu'il y avait des problèmes d'entente entre les quatre îles. Surtout avec les Grand Comoriens, qui aiment dominer et qui veulent sans cesse exercer leur pouvoir sur nous ».

La départementalisation : pour quoi ?

Le 2 juillet 2000, les Mahorais se sont prononcés à 72,94 % en faveur d'un statut de « collectivité départementale ». Un nouveau statut provisoire qui ouvre la voie vers la départementalisation. Mais pour Anma, Mahoraise vivant à l'île de La Réunion, « l'essentiel est de passer à la départementalisation. Car seul ce statut permet de faire taire ceux qui nient notre passé et disent que Mayotte n'est pas française. Notre statut actuel est fragile et nous empêche d'évoluer. Il n'y a que la départementalisation qui puisse permettre à Mayotte d'aller de l'avant ».

M. Saïd Ali estime, pour sa part, que la départementalisation « mettra surtout fin au flou artistique juridique qui vaut actuellement dans de nombreux secteurs de la vie à Mayotte ».
Et les exemples sont nombreux. « Vous arrivez par avion à Mayotte, il n'y a pas de grille tarifaire à la douane. A l'aéroport, les agents des services dits de la douane fixent une taxe à la tête du client et selon les besoins du moment. S'ils ont besoin d'argent, ils taxent un peu tout et n'importe quoi ,sans apporter de justification légale à leurs décisions. Je peux multiplier ce type d'exemples », dit-il.

Et de poursuivre : « Tout salarié mahorais paye des impôts sur ses revenus. Cet impôt est directement pris à la source. Il est certes modique, mais il ne prend pas en compte les critères sociaux en vigueur dans les départements français... Pour la recherche de l'emploi, on refuse au Mahorais de s'inscrire à l'ANPE quand il arrive à La Réunion ou à Paris. Il doit justifier de deux ans de séjour avant de bénéficier des mêmes droits que les autres citoyens. Pourtant, nous sommes des Français en France. C'est ce type de dysfonctionnements que la départementalisation va régler pour de bon », conclut-il.

Dans leur élan francophile, les Mahorais minimisent quand ils ne nient pas en bloc les bouleversements sociaux et culturels qu'impliquera le changement à venir.
Si les études sont rares sur le sujet, on estime que Mayotte ne produit que 2 % de sa consommation locale. La pression migratoire en provenance des Comores est énorme et obsède l'autorité française sur place.

Le tiers de la population actuelle de l'île est en situation irrégulière selon les lois françaises. Mais ces Comoriens « clandestins » estiment qu'ils sont dans leur propre pays, selon le droit international. Ils constituent une main-d'œuvre corvéable à merci.

L'an dernier 16 040 reconduites ont été enregistrées aux frontières (29 799 sur le plan national). Cela n'a pas découragé l'immigration clandestine. Les kwassa-kwassa, les barques qui effectuent ce trafic incertain, sont toujours d'actualité avec des statistiques catastrophiques. De sources comoriennes, il y a eu de 6 000 à 10 000 morts depuis l'instauration du « visa Balladur » en 1995 (l'ensemble des Comores compte environ 732 000 habitants en 2008 !).

La sécurité physique et de leurs biens est le souci premier des N'zongou, les fonctionnaires (généralement blancs) en poste à Mayotte pour deux ans ou quatre ans.
Ceux d'entre eux que nous avons interrogés ont des avis plutôt réservés sur la départementalisation. Lorsque Mohamed Bacar, président de l'île d'Anjouan, se réfugie à Mayotte, les N'zongou se terrent chez eux. Ils font l'objet de menaces et essuient des propos racistes.

L'agitation fut de courte durée, mais le Français de la métropole reste un étranger à Mayotte, un « bouc émissaire » facile à accabler au moindre mouvement de colère. « Je voterai blanc », reconnaît un enseignant du primaire en poste dans l'île. « Je ne me sens pas moralement autorisé à donner mon avis. C'est une affaire qui concerne les Mahorais, c'est à eux de prendre leur décision », explique-t-il.

Voter « oui par ignorance »

La place de l'islam, la laïcité à la française, le droit coutumier matriarcal, la polygamie, le statut personnel, les questions de succession... sont autant de sujets en sourdine. Ils ne sont pas évoqués ou sont trop vite évacués tant l'espoir est grand, pour les Mahorais, de retrouver « une dignité bafouée et menacée depuis 1974 ».

Les voix contre la départementalisation sont donc rares, sinon dans le camp comorien, où l'on organise des séances publiques de lecture de Coran pour exorciser ce qui est considéré comme le « mal de la départementalisation ».
Selon Saïd Omar Oili, du parti Nouvel élan pour Mayotte, les Mahorais voteront « oui, par ignorance ». Président du conseil général de Mayotte de 2004 à 2008, Omar Oili estime que l'enthousiasme populaire est tel que « aucun élu n'ose aller expliquer aux Mahorais le contenu de ce document. Car si on expliquait ce qui est vraiment marqué dans le pacte gouvernemental, ce serait le non qui l'emporterait », explique-t-il.

Il faudra donc du temps à Mayotte. Le 29 mars 2009 ouvre des perspectives nouvelles. Les lendemains de la départementalisation sont des chapitres d'Histoire à écrire. Le peuple de Mayotte entend prendre son destin en main. Il ne veut surtout pas le confier à la République des Comores. « Ils sont actuellement trois îles dans la République des Comores, et ils ne parviennent pas à s'entendre entre eux. Comment pouvons-nous entrer dans ce cercle pour devenir le quatrième pôle de la mésentente ? Cela serait irresponsable ! En entrant définitivement dans le giron français, nous savons à quoi nous nous engageons », résume M. Saïd Ali.





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