Saphirnews : Comment l'INED et l'INSEE en sont arrivés à conclure que les musulmans seraient 2,1 millions en France connaissant l'interdiction des statistiques ethnico-religieuses ? Sur quoi vous êtes-vous fondés ?
Patrick Simon : Le questionnaire de l’enquête comprend des questions sur la religion des enquêtés et celle de leurs parents, ce qui permet d’analyser les dénominations religieuses déclarées ainsi que la religiosité et les pratiques qui y sont associées.
L’enquête a suivi toutes les procédures légales au Conseil national de l’information statistique (CNIS) et à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), instances qui ont validé la légalité des questions sur la religion et ont défini les modalités de leur exploitation. Les statistiques sur la religion comme sur l’origine ethnique ne sont pas interdites totalement, elles font l’objet de précautions particulières. Ces précautions ont été suivies scrupuleusement par l’INED et l’INSEE lors de la réalisation de l’enquête.
L’enquête a suivi toutes les procédures légales au Conseil national de l’information statistique (CNIS) et à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), instances qui ont validé la légalité des questions sur la religion et ont défini les modalités de leur exploitation. Les statistiques sur la religion comme sur l’origine ethnique ne sont pas interdites totalement, elles font l’objet de précautions particulières. Ces précautions ont été suivies scrupuleusement par l’INED et l’INSEE lors de la réalisation de l’enquête.
Patrick Simon, chercheur à l'INED
Qu'entend-on par musulmans « déclarés » ? Sont-ce des musulmans « pratiquants » ou le chiffre comprend-il aussi les personnes dites de « culture musulmane » ?
P. S. : Nous avons défini les musulmans à partir d’une question directe sur la religion, formulée ainsi : « Avez-vous une religion ? » et, en cas de réponse positive : « Laquelle ? ».
Sont considérés comme « musulmans » toutes les personnes ayant fait référence à l’islam dans leur réponse, quelles que soient leurs origines ou leurs pratiques. Certains n’avaient pas de parents « musulmans » (déclarés par eux comme musulmans) mais se sont dits musulmans. D’autres, plus nombreux, ont eu un ou deux parents musulmans mais se sont déclarés sans religion ou, plus rarement, d’une autre confession. Les personnes de « culture musulmane », c’est-à-dire venant d’une famille musulmane mais se déclarant sans religion ne sont donc pas compris dans notre population.
En revanche, on observe une proportion non négligeable de personnes se déclarant musulmane et pour qui la religion n’a pas d’importance dans leur vie et qui n’ont pas de pratique religieuse. Ces derniers peuvent être également qualifiés de « musulmans culturels ». Ils sont néanmoins comptabilisés, car ils se sont déclarés comme « musulmans ».
Sont considérés comme « musulmans » toutes les personnes ayant fait référence à l’islam dans leur réponse, quelles que soient leurs origines ou leurs pratiques. Certains n’avaient pas de parents « musulmans » (déclarés par eux comme musulmans) mais se sont dits musulmans. D’autres, plus nombreux, ont eu un ou deux parents musulmans mais se sont déclarés sans religion ou, plus rarement, d’une autre confession. Les personnes de « culture musulmane », c’est-à-dire venant d’une famille musulmane mais se déclarant sans religion ne sont donc pas compris dans notre population.
En revanche, on observe une proportion non négligeable de personnes se déclarant musulmane et pour qui la religion n’a pas d’importance dans leur vie et qui n’ont pas de pratique religieuse. Ces derniers peuvent être également qualifiés de « musulmans culturels ». Ils sont néanmoins comptabilisés, car ils se sont déclarés comme « musulmans ».
Comment expliquez-vous le décalage entre les chiffres ? Ne pensez-vous pas que vos chiffres sont sous-estimés sachant que les moins de 18 ans et les plus de 50 ans sont exclus des statistiques ?
P. S. : Le chiffre de 2,1 millions que nous obtenons diffère des estimations habituelles pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, nous ne recueillons l’information que pour les personnes âgées de 18 à 50 ans mais le chiffre total de musulmans inclut également les plus de 50 ans et les moins de 18 ans.
Par ailleurs, la plupart des estimations sont fondées sur l’origine des personnes et non sur leur déclaration en matière de religion. Sont considérés comme « musulmans » tous les immigrés venant d’un pays à dominante musulmane ainsi que tous les descendants de ces immigrés nés en France.
Cela est relativement inexact : d’une part, parce que de nombreux pays à dominante musulmane comprennent des minorités non musulmanes ; d’autre part, parce que tous les habitants de ces pays ne se considèrent pas nécessairement comme ayant une religion.
C’est encore plus vrai pour les descendants nés en France. Entre 20 et 30 % des descendants d’immigrés du Maghreb nés en France se disent sans religion. Doivent-ils être considérés de « culture musulmane » ? C’est une question intéressante du point de vue de la sociologie de la religion mais, d’un point de vue démographique, nous avons retenu une définition plus étroite où nous respectons la déclaration des personnes. Il en va de même pour les catholiques.
Les chiffres de 5 ou 6 millions sont surestimés, mais l’enjeu d’arriver au « vrai » chiffre du nombre de musulmans en France est assez limité. S’il s’agit de montrer que l’islam est devenu une religion importante en France : même 2,1 millions de musulmans suffisent à valider cette idée puisque l’islam se trouve être la deuxième religion après le catholicisme.
Il est plus intéressant de notre point de vue de travailler sur la transmission religieuse, le profil de ceux qui se disent très religieux ou moins religieux, les pratiques qui y sont associées et les « chances de vie » déterminées par l’investissement religieux.
Notre enquête aborde très directement la question des discriminations et il est démontré que les personnes se déclarant musulmanes y sont plus exposées que les autres. Il s’agit de comprendre pourquoi et comment.
Tout d’abord, nous ne recueillons l’information que pour les personnes âgées de 18 à 50 ans mais le chiffre total de musulmans inclut également les plus de 50 ans et les moins de 18 ans.
Par ailleurs, la plupart des estimations sont fondées sur l’origine des personnes et non sur leur déclaration en matière de religion. Sont considérés comme « musulmans » tous les immigrés venant d’un pays à dominante musulmane ainsi que tous les descendants de ces immigrés nés en France.
Cela est relativement inexact : d’une part, parce que de nombreux pays à dominante musulmane comprennent des minorités non musulmanes ; d’autre part, parce que tous les habitants de ces pays ne se considèrent pas nécessairement comme ayant une religion.
C’est encore plus vrai pour les descendants nés en France. Entre 20 et 30 % des descendants d’immigrés du Maghreb nés en France se disent sans religion. Doivent-ils être considérés de « culture musulmane » ? C’est une question intéressante du point de vue de la sociologie de la religion mais, d’un point de vue démographique, nous avons retenu une définition plus étroite où nous respectons la déclaration des personnes. Il en va de même pour les catholiques.
Les chiffres de 5 ou 6 millions sont surestimés, mais l’enjeu d’arriver au « vrai » chiffre du nombre de musulmans en France est assez limité. S’il s’agit de montrer que l’islam est devenu une religion importante en France : même 2,1 millions de musulmans suffisent à valider cette idée puisque l’islam se trouve être la deuxième religion après le catholicisme.
Il est plus intéressant de notre point de vue de travailler sur la transmission religieuse, le profil de ceux qui se disent très religieux ou moins religieux, les pratiques qui y sont associées et les « chances de vie » déterminées par l’investissement religieux.
Notre enquête aborde très directement la question des discriminations et il est démontré que les personnes se déclarant musulmanes y sont plus exposées que les autres. Il s’agit de comprendre pourquoi et comment.
Les convertis seraient compris dans les 2,1 millions. Avez-vous quelques éléments à nous fournir concernant le phénomène ?
P.S. : Nous n’avons pas d’éléments plus précis sur les conversions que ce que nous pouvons déduire de la comparaison entre la religion des enquêtés et celle de leurs parents.
Bien que nous ayons 22 000 personnes dans notre échantillon, ce qui permet d’analyser des sous-populations, la précision de nos estimations sur un petit groupe comme les convertis à l’islam est assez limitée. Nous les estimons entre 70 000 et 110 000, toujours sur le même groupe d’âge de 18 à 50 ans.
Mais l’estimation est à prendre comme un ordre de grandeur et avec précaution. Plus de 95 % des musulmans vivant en France sont issus de familles musulmanes.
Bien que nous ayons 22 000 personnes dans notre échantillon, ce qui permet d’analyser des sous-populations, la précision de nos estimations sur un petit groupe comme les convertis à l’islam est assez limitée. Nous les estimons entre 70 000 et 110 000, toujours sur le même groupe d’âge de 18 à 50 ans.
Mais l’estimation est à prendre comme un ordre de grandeur et avec précaution. Plus de 95 % des musulmans vivant en France sont issus de familles musulmanes.
Enfin, qu'est-ce que vous évoquent ces chiffres, révélés à l'heure où la France entre en plein débat sur l'islam ?
P. S. : Je ne pense pas que le chiffre des musulmans en France change quoi que ce soit au débat sur l’islam, dont la composante n’est pas liée à des paramètres numériques stricto sensu. Même dans le cadre du débat ouvert sur les « prières de rue », la question de l’insuffisance en capacité d’accueil des lieux de culte n’a pas été mise en doute et elle est vérifiée, qu’il y ait 5 ou 3 millions de musulmans en France.
Ce débat met en jeu des points de vue opposés sur les valeurs, les représentations et l’organisation de la société française dans le contexte multiculturel qui est le sien. Il repose sur des fantasmes à l’égard de la participation des musulmans dans la société française et sur des stéréotypes importés du Moyen-Orient, d’Iran ou d’Afghanistan qui sont plaqués sur les pratiques sociales et religieuses des musulmans. De là découlent les représentations de formes de repli identitaire qui les caractériseraient.
L’incorporation de l’islam en France est un processus qui dépend non pas d’ordre de grandeur numérique mais d’un aggiornamento des représentations qui continuent à peser sur les musulmans, d’une part, et d’une actualisation des représentations de la société française pour y incorporer la présence visible et active des musulmans, d’autre part. On peut ajouter dans le respect de la laïcité, c’est-à-dire de la liberté de conviction des un-e-s et des autres. Mais la laïcité est une dialectique permanente qui doit, elle aussi, s’actualiser et il n’y a pas de raisons à ce que les musulmans ne trouvent pas leur place, en tant que musulmans entre autres dimensions identitaires qu’ils peuvent mobiliser selon les contextes.
Ce débat met en jeu des points de vue opposés sur les valeurs, les représentations et l’organisation de la société française dans le contexte multiculturel qui est le sien. Il repose sur des fantasmes à l’égard de la participation des musulmans dans la société française et sur des stéréotypes importés du Moyen-Orient, d’Iran ou d’Afghanistan qui sont plaqués sur les pratiques sociales et religieuses des musulmans. De là découlent les représentations de formes de repli identitaire qui les caractériseraient.
L’incorporation de l’islam en France est un processus qui dépend non pas d’ordre de grandeur numérique mais d’un aggiornamento des représentations qui continuent à peser sur les musulmans, d’une part, et d’une actualisation des représentations de la société française pour y incorporer la présence visible et active des musulmans, d’autre part. On peut ajouter dans le respect de la laïcité, c’est-à-dire de la liberté de conviction des un-e-s et des autres. Mais la laïcité est une dialectique permanente qui doit, elle aussi, s’actualiser et il n’y a pas de raisons à ce que les musulmans ne trouvent pas leur place, en tant que musulmans entre autres dimensions identitaires qu’ils peuvent mobiliser selon les contextes.
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