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Points de vue

Nos cités, la jeunesse, et ce que chacun doit faire

Rédigé par Abderrahim Bouzelmate | Lundi 1 Juin 2015 à 11:30

           


Nos cités, la jeunesse, et ce que chacun doit faire
Le quasi-abandon de nos quartiers par l’État a laissé le champ libre à un semblant de culture urbaine qui n’a cessé de perdre en qualité au fil des années, s’exprimant désormais majoritairement dans une musique rap sans aucune saveur ni même goût artistique.

Alors que, dans les années 1990, il y avait une authentique musique hip-hop qui savait conjuguer beauté poétique et messages de conscience, on assiste depuis une quinzaine d’années à une émergence de figures rap, lesquelles, même après trente ans, font l’apologie de petits crimes, n’évoquent les femmes que sous un angle dégradant, vantent les passages en prison et font la promotion d’une violence gratuite et absurde. Et même s’il existe encore de véritables artistes dans ce domaine, leurs voix ne sont plus audibles, et leurs paroles peu comprises.

Deux extrêmes qui côtoient la jeunesse

L’autre extrême, c’est parfois une exploitation de la religion par des esprits simples et désabusés sans véritable connaissance de ce domaine complexe et sensible. De petits prédicateurs se sont emparés parfois de petits livres, d’une pauvreté argumentative effroyable, catapultés depuis certains pays autoproclamés gardiens de l’orthodoxie religieuse, et en construisent tous les jours leurs discours en y ajoutant le sel et le poivre. Ces petits ouvrages ont réussi à pénétrer jusque dans nos lieux sacrés, parfois dans nos maisons, pour parler à notre jeunesse plus de la mort que de la vie, plus de l’Enfer que du Paradis, plus de la vengeance que du pardon.

Certains jeunes esprits, ayant quitté parfois les cours tôt et n’ayant que peu de distanciation critique quant à ce qu’ils lisent, ont pris pour argent comptant ces mises en garde effrayantes contre la vie, et se sont vus plonger dans un état de profonde démoralisation, n’ayant plus de goût pour la culture, pour la lecture, l’effort intellectuel, l’ouverture à l’autre. Parfois, et souvent même, leur intelligence s’est raidie pour ne voir les choses que sous un angle binaire : interdit/permis. Cette crise de la nuance a fini par développer une schizophrénie absolue chez certains, lesquels, étaient pourtant dotés d’un esprit subtil et libre, pleinement enclin à la créativité artistique.

Les réseaux sociaux pour obscurcir le tableau

D’autre part, l’arrivée en masse des chaînes paraboliques, et l’explosion d’Internet à partir du début de ce millénaire, ont permis à des endoctrineurs d’autres espaces et d’un autre temps de prendre le contrôle de certains jeunes cerveaux à distance et de les faire tourner à gauche ou à droite selon leur volonté et ce qu’ils croient être juste.

Enfin, la colonisation des réseaux sociaux de ces mêmes prédicateurs et l’arrivée dans toutes les jeunes mains des derniers téléphones portables, véritables machines à tout penser, ont fini d’effacer les derniers doutes sur des questions cruciales et tellement complexes. La question de la jeunesse est réglée en un avis de trois minutes, et celle de la sexualité en trois lignes. Le paradoxe en est que les textes sacrés eux-mêmes encouragent à envisager les problèmes dans leur complexité, à parcourir le monde, à observer autour de soi, à lire, à regarder le ciel, à écouter les océans, à méditer sur la création, et au-delà, appellent à la vigilance, à la circonspection, à la réflexion et somme toute, à la clairvoyance.

Ce constat qui fait dans la métaphore pour éviter des expressions plus frontales, il faut le faire et l’accepter, il est impossible de continuer à faire semblant, car la responsabilité face à la débâcle est toujours partagée.

Après le constat, quelles solutions ?

Que faut-il donc faire ? La question est ardue, mais essentielle. Aujourd’hui encore, l’école et la culture demeurent des solutions véritables. Il faut convaincre à tout prix sa petite sœur, son petit frère, ses jeunes voisins, ses amis de ne pas abandonner les cours et d’aller le plus loin possible dans les différents cursus. Il faut sans cesse parler des livres, du monde artistique dans sa globalité pour éveiller les sensibilités, il faut mettre nos jeunes en face de certains récits de personnages dont les destins peuvent les interroger. Il faut les encourager sans cesse à l’écriture, à livrer leurs sentiments à la feuille blanche, et donner ensuite une attention particulière à ce qu’ils expriment.

Les livres seuls apprennent réellement à vivre. On y découvre les autres croyances, on y médite sur l’amitié, on y réfléchit sur la complexité de l’amour, on y prend conscience de l’importance des liens de famille, et on y chemine inconsciemment vers la fraternité, la bienveillance et le respect. On y joint les autres siècles au sien, on y découvre les autres pays, les autres civilisations, d’autres goûts, d’autres pensées, qui conduisent à l’humilité et qui finissent par nous faire apprécier l’existence. Ces différentes observations, qui nous conduisent vers l’autre, finissent par nous conduire vers nous-mêmes, nous amenant ainsi à mieux nous connaître pour mieux agir en tant qu’êtres responsables vis-à-vis de soi-même, de son entourage et de la nature tout entière.

Accompagner les jeunes vers la vie

Dans chacun de nos quartiers, les petites associations d’aides scolaires doivent se multiplier, et chacun doit mettre son savoir-faire et son expérience au service de l’autre. Le chemin est parfois long avant de faire adhérer certains jeunes élèves à la croyance en la rigueur comme véritable condition de la réussite, mais l’effort sincère finit toujours par payer. Il faut être également vigilant aux aspirations des jeunes âmes, leur répéter que tout est possible, qu’il y a encore de la place pour les rêves qui conduisent à l’excellence et à l’épanouissement. La réussite seule entraîne l’enthousiasme qui finit par éclabousser d’une belle lumière l’ensemble de son entourage. En somme, il faut lutter contre le pessimisme auquel sont en proie beaucoup de nos jeunes des cités, afin de les préserver contre les endoctrinements dangereux.

Il s’agit donc surtout d’accompagner et croire réellement en ces adolescents et jeunes adultes. Sans jamais faire semblant, car l’amitié et l’amour ne peuvent être falsifiés ; leur altération est grossière et saute aux yeux du premier venu.

Servir de guide aux enfants, aux jeunes adultes et même aux parents parfois, et faire dans sa vie une place à l’autre ; voilà donc le remède. C’est par cette voie que l’on combat l’égoïsme et c’est par cette voie que l’on donne l’exemple.

Nous appelons souvent les pouvoirs publics à prendre leur responsabilité, à donner les moyens à la culture de pénétrer plus en profondeur et de manière durable dans nos quartiers, à inviter les artistes, les enseignants et les écrivains à y travailler à terme. Mais en attendant, chacun possède les moyens de réinventer l’espoir là où il se trouve, à sa petite échelle, en tendant la main et en recréant l’ambition chez l’autre, l’aidant à redonner sens à sa vie. C’est salvateur pour l’avenir, car essentiel pour sauver l’espoir et la fraternité.

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Abderrahim Bouzelmate, auteur et enseignant, a publié Dernières nouvelles de notre monde et Apprendre à douter avec Montaigne (De Varly Éditions, 2013) et Al-Andalus, Histoire essentielle de l’Espagne musulmane (Albouraq Éditions, 2015 ). Avec Sofiane Méziani, il a publié De l’Homme à Dieu, voyage au cœur de la philosophie et de la littérature (Albouraq Éditions, 2015).






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