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Société

Olivier Galland : « L’urgence sociale : la jeunesse défavorisée, et en particulier les non-diplômés »

Rédigé par Benjamin Seze et Aurélien Rossignol | Mercredi 23 Mai 2012 à 09:41

           

ENTRETIEN - Pour le sociologue Olivier Galland, spécialiste des questions de jeunesse et auteur de « Les Jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ? » (Armand Colin, 2009), si les jeunes semblent partager une culture commune, leurs destins sociaux divergent de plus en plus.



Olivier Galland : « L’urgence sociale : la jeunesse défavorisée, et en particulier les non-diplômés »

Témoignage chrétien : François Hollande présente la jeunesse comme une des deux priorités de son quinquennat, avec la justice. Y a-t-il une véritable urgence à s’emparer du sujet ?

Olivier Galland (1) : Sûrement. Mais il y a deux niveaux d’analyse à distinguer. Le premier est cette angoisse de la jeunesse à l’égard de l’avenir. En fait, il ressort des enquêtes que la plupart des jeunes sont assez confiants quant à leur avenir personnel, mais sont très inquiets pour celui de la société. Il est important de leur redonner confiance en la société.

Mais c’est une crise de confiance qui dépasse la seule jeunesse. Nous sommes dans un monde en profonde mutation, en voie de mondialisation, et les Français sont un des peuples parmi les pays développés qui craignent le plus ces changements. Ils ont peur que cela mette à bas leur modèle social et plus largement leur mode de vie. Les jeunes ont peut-être plus peur encore car nous sommes dans une société extrêmement statutaire où il est difficile de faire sa place. Ils sont dans une situation instable et attendent beaucoup d’un État protecteur.

Quel est le second niveau d’analyse ?

O. G. : Le second niveau d’analyse est qu’il y a deux jeunesses qui ne sont pas confrontées aux mêmes problèmes.
Il y a une jeunesse, plus nombreuse heureusement, qui connaît une instabilité au sortir des études mais qui s’en sort. La jeunesse diplômée.
Et puis, il y a une jeunesse non diplômée – 20 % des jeunes sortent sans diplôme du système de formation initial – qui s’en sort moins et qui connaît de plus en plus de difficultés.
La distance entre ces deux groupes ne fait que s’accroître. Parler à l’ensemble de la jeunesse, c’est bien, mais il faut surtout agir en direction de la plus défavorisée.

Et comment peut-on agir ?

O. G. : Il y a deux sujets centraux. Tout d’abord, l’échec scolaire, qui représente un enjeu colossal. En France, nous sommes restés sur un modèle d’enseignement traditionnel, extrêmement académique et vertical dans sa pédagogie : on a un professeur qui parle et des élèves passifs qui prennent des notes – il y a très peu d’interaction, d’horizontalité –, des programmes très lourds et tout un système pensé pour sélectionner les meilleurs vers les filières les plus prestigieuses. Les au­tres sont soit orientés par défaut, soit éliminés. On trie.

Ce n’est pas un système organisé pour la réussite de tous, mais pour choisir les meilleurs. Il faut repenser tout cela. Et ce n’est pas uniquement en créant des postes que l’on va résoudre le problème mais aussi en réfléchissant à la façon d’enseigner, d’envisager la pédagogie. Le métier d’enseignant ne peut plus se résumer à délivrer des connaissances, il doit aussi consister à former à des compétences sociales plus larges et qui sont tout aussi importantes que les connaissances académiques pour la réussite personnelle. Savoir interagir avec les autres, être organisé et consciencieux dans son travail… Des compétences essentielles pour la réussite, que malheureusement toutes les familles ne donnent pas.

L’école a donc un rôle à jouer. Le deuxième sujet est le marché du travail qui est extrêmement clivé. Il assure par le CDI un statut très protecteur aux adultes dans la force de l’âge et il concentre la flexibilité, à travers notamment le CDD, sur les jeunes. Il faut rendre ce système plus souple et rapprocher le CDI du CDD, faire peut-être que le CDI soit un peu moins protecteur et le CDD un peu moins instable, voire penser, comme l’ont proposé certains économistes, un contrat de travail unique.

Peut-on observer chez les jeunes des aspirations communes ?

O. G. : Oui. Les jeunes ne sont pas des extraterrestres, ils ont des aspirations normales. Pour la plupart, leur aspiration essentielle est de devenir adulte, c’est-à-dire avoir un emploi, exercer une activité professionnelle enrichissante, pouvoir fonder une famille, s’intégrer dans la société. Et cela est relativement in­temporel.

Constate-t-on une nouvelle approche générationnelle du monde du travail ?

O. G. : Oui. Les attitudes des jeunes à l’égard du travail ont un peu changé. Aujourd’hui, les jeu­nes veulent se réaliser dans leur travail, ils ne le re­jettent pas, mais ne sont néan­moins pas prêts à tout sacrifier pour lui.

À quoi est-ce dû, selon vous ? À une sorte de résignation face à une réalité du monde du travail plus dure que par le passé ?

O. G. : Nous avons effectivement en France un système extrêmement hiérarchique qui a du mal à faire de la place aux nouveaux arrivants. Cela est toujours lié à cette conception très statutaire et verticale de l’organisation sociale. Mais je crois que cette nouvelle appro­che est aussi due à une valeur d’autonomie qui s’est beaucoup développée, et qui se traduit par une tendance à refuser que le travail soit considéré simplement comme une norme à laquelle on doit se conformer. On veut choisir son travail et on veut s’y réaliser. Mais on ne veut pas sacrifier sa vie personnelle pour une norme de travail implacable.

Que vous évoque l’expression « génération sacrifiée » ?

O. G. : Je la trouve très exagérée. Le déclassement social de la jeunesse est un peu un mythe si on le pense en moyenne. Évidemment, si l’on compare les jeunes d’aujourd’hui à la génération de jeunes de l’immédiat après-guerre qui ont profité d’un appel d’air extraordinaire dû à la reconstruction et qui ont progressé énormément par rapport à la génération d’avant-guerre. Il n’y a plus de progression de cette nature.

Néanmoins, on constate sur le long terme que la transformation de la structure sociale est en réalité favorable aux jeunes. Elle se déforme vers le haut. Lorsqu’on regarde l’évolution des catégories socioprofessionnelles depuis 30 ans, on constate qu’il y a de moins en moins d’agriculteurs et d’ouvriers, et de plus en plus de cadres et de professions intermédiaires. La proportion des jeunes qui occupent ces emplois augmente de façon continue. Donc, il y a un appel vers le haut.

Pourtant, beaucoup de jeunes estiment qu’en termes de niveau de vie, et notamment d’accès au logement et à l’emploi, ils sont dans une situation plus précaire qu’ont pu l’être leurs parents ?

O. G. : C’est un sentiment qu’ont les jeunes, mais ce n’est pas sûr que ce soit vrai. Après, je ne dis pas que la jeunesse n’a pas de problèmes. La situation conjoncturelle de crise les affecte particulièrement, l’emploi des jeunes surréagit aux aléas de l’activité économique. Par ailleurs, certains facteurs structurels, comme l’organisation du marché du travail que j’ai citée plus haut, induisent effectivement un retard et des difficultés pour s’insérer pour l’ensemble des jeunes.

Mais l’urgence sociale n’est pas dans l’éventuel déclassement des jeunes des classes moyennes et supérieures. Elle est du côté des jeunes non diplômés qui font face à un phénomène d’exclusion beaucoup plus grave. Et quand on parle de « génération sacrifiée », on fait une espèce d’amalgame qui contribue à faire passer au second plan les vraies difficultés de cette jeunesse défavorisée.

En dehors des questions de précarité, observe-t-on d’autres spécificités liées à la jeunesse ?

O. G. : Au niveau culturel, on peut parler de double phénomène. Premièrement, un rapprochement très net des valeurs entre les générations. Au début des années 1980, on voyait un clivage entre les moins de 40 ans et les plus de 40 ans, spécialement sur les valeurs de la vie quotidienne : la liberté personnelle, les questions de sexualité… Ce clivage se fait maintenant entre les moins de 60 ans et les plus de 60 ans.

Cette homogénéisation des valeurs pour les 18-60 ans s’explique par la progression de toute la société autour de valeurs comme l’autonomie et par l’idée que, dans sa vie privée, chacun est libre d’opérer ses choix personnels et de vivre comme il l’entend. Ce qui a profondément apaisé les relations entre générations. En revanche, on a vu apparaître un clivage culturel entre les tranches d’âge, qui n’existait pas à ce point dans les années 1960.

Quel est ce clivage ?

O. G. : Il y a une culture adolescente, notamment. Cette culture est fondée sur l’apparence, sur le groupe des pairs et sur la communication à l’intérieur du groupe. Elle est de plus en plus éloignée de la culture scolaire valorisée par les parents, jugée trop académique. Un nouveau clivage s’est donc créé entre la culture extrêmement formelle des parents et la culture communicationnelle des jeunes. Les jeunes ont gagné énormément d’autonomie, et de façon de plus en plus précoce.

Aujourd’hui, ce sont les collégiens qui sont autonomes. Autrefois, ils étaient des enfants. Ils disposent d’une grande liberté, en partie favorisée par le développement des nouveaux moyens de communication. Les parents n’ont désormais plus le contrôle sur les relations amicales de leurs enfants.

Fondamentalement, les jeu­nes ont-ils aujourd’hui un poids important dans la société ?

O. G. : Du point de vue économique et culturel, oui. L’adolescence se construit sur un mode identitaire, c’est une culture qui, par bien des aspects, est assez consumériste. Il y a donc un marché adolescent. Il y en a toujours eu un, mais il s’est très largement étendu, développé et sophistiqué, dans l’industrie des vêtements, dans la musique, dans les mé­dias… En revanche, aux ni­veaux politique et social, le poids des jeunes est très fai­ble. Les jeunes ne sont pas très organisés collectivement, sauf lorsqu’ils se révoltent contre des dispositions qu’ils refusent.

Nous sommes plutôt dans un système de la débrouille individuelle où chacun essaie de s’en sortir par ses propres moyens avec ses atouts, avec son capital relationnel et familial. Ils sont aussi très peu représentés dans les instances politiques et syndicales qui ont, par ailleurs, plutôt tendance à défendre les « insiders » – ceux qui sont déjà dans le système et déjà protégés – que les « outsiders » qui frappent à la porte.

La jeunesse, sans définition fixe ?

O. G. : Les enquêtes définissent la « jeunesse » comme la part de la population âgée de 15 à 25 ans – certaines poussent jusqu’à 30 ans. Lycéens ou étudiants, jeunes actifs ou chômeurs, les « jeu­nes » représenteraient ainsi plus de 8 millions de Français, soit 13 % de la population. Pour Olivier Galland, « la jeunesse est une période bien définie durant laquelle on se prépare à l’exercice des rôles d’adultes. Cette étape arrive de manière de plus en plus précoce – avec des adolescents qui veulent marquer leur indépendance de manière tranchée – tout en s’étalant dans le temps. Ce dernier aspect est autant dû à l’augmentation du temps des études que l’entrée dans le monde du travail tardive et l’arrivée du premier enfant ».


Note
(1) Directeur de recherches au CNRS, le sociologue Olivier Galland est l'auteur de Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ? (Armand Colin, 2009). Et avec Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et André Zylberberg, de La Machine à trier. Comment la France divise sa jeunesse (Eyrolles, 2011).






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