Scène de bataille entre Timur et le roi égyptien, miniature persane de Behzad, 1515, conservée au Palais du Golestan, à Téhéran.
L’islam, à l’instar d’autres traditions religieuses et philosophiques, est mobilisé autant pour justifier que pour dénoncer des guerres, des attentats et différentes formes de violence. Comment comprendre ce paradoxe ?
L’islam est apparu au VIIe siècle dans une Arabie confrontée à la nécessité de sécuriser les routes du commerce caravanier pour mieux en tirer profit, de pacifier les relations entre des tribus et de lutter contre les inégalités violentes engendrées par ce même commerce caravanier. L’islam naissant reflète, dans son message comme dans ses autres faits fondateurs, cette dialectique de la violence et de la paix.
D’un côté, il prône une fraternité, des solidarités, une « volonté de vivre ensemble » (c’est le vrai sens du mot oumma), sur la base de valeurs transcendant les fidélités et les clivages traditionnels et, par là, une société de concorde et de paix proposée, par-delà les Arabes, à l’ensemble de l’humanité. De l’autre, il n’hésite pas à vilipender ceux qui se dressent sur son chemin et à leur promettre les pires châtiments, non seulement dans la vie de l’au-delà mais aussi dans ce « monde ici-bas ».
L’islam est apparu au VIIe siècle dans une Arabie confrontée à la nécessité de sécuriser les routes du commerce caravanier pour mieux en tirer profit, de pacifier les relations entre des tribus et de lutter contre les inégalités violentes engendrées par ce même commerce caravanier. L’islam naissant reflète, dans son message comme dans ses autres faits fondateurs, cette dialectique de la violence et de la paix.
D’un côté, il prône une fraternité, des solidarités, une « volonté de vivre ensemble » (c’est le vrai sens du mot oumma), sur la base de valeurs transcendant les fidélités et les clivages traditionnels et, par là, une société de concorde et de paix proposée, par-delà les Arabes, à l’ensemble de l’humanité. De l’autre, il n’hésite pas à vilipender ceux qui se dressent sur son chemin et à leur promettre les pires châtiments, non seulement dans la vie de l’au-delà mais aussi dans ce « monde ici-bas ».
La violence comme mode d’accès au pouvoir
La disparition du Prophète (en 632) a été l’occasion de nouveaux conflits en rapport avec la question de sa succession (califat). Limités au départ aux querelles entre Compagnons mecquois et médinois et à la guerre contre les tribus nomades accusées d’apostasie pour avoir refusé de faire allégeance au premier calife (Abû Bakr, 632-634), ces conflits tournent à une véritable guerre, après l’assassinat du troisième calife (Othman, 646- 656).
Les partisans du calife ‘Alî (657-661) ont dû combattre une première armée dirigée par « la mère des croyants » Aïsha, avant d’être confrontés à l’armée des Omeyyades, qui se termina par l’éclatement du califat. Ces guerres sont restées dans la conscience musulmane sous le nom de « la grande discorde » (al-fitna al-kubrâ).
Depuis, la violence est devenue le mode quasi exclusif de l’accès au pouvoir d’une dynastie, ou d’un autocrate, le moyen principal de l’exercer et de s’y maintenir pour ne le quitter que mort ou chassé par une action violente.
En rapport avec ces conflits, partisans et adversaires de la violence ou de la paix ont produit des théories mobilisant versets coraniques, traditions consacrées et, à défaut, constructions théologiques présentées comme étant la « doctrine indiscutable et autorisée de l’islam ». Ces doctrines sont souvent, comme toutes les idéologies, des justifications a posteriori de conduites et de choix décidés d’abord sans références à la religion.
Ainsi, l’opposition dâr al-harb / dâr al-islâm (domaine de la guerre / domaine de l’islam) est apparue lors des guerres menées par divers groupes dissidents contre les Omeyyades et les Abbassides. Depuis, elle sert à justifier les révoltes contre l’autorité musulmane jugée illégitime : il suffit de jeter l’anathème sur les gouvernants pour justifier la guerre contre leur autorité, voire le meurtre du « tyran » qui se dresse sur la voie de l’islam.
Les partisans du calife ‘Alî (657-661) ont dû combattre une première armée dirigée par « la mère des croyants » Aïsha, avant d’être confrontés à l’armée des Omeyyades, qui se termina par l’éclatement du califat. Ces guerres sont restées dans la conscience musulmane sous le nom de « la grande discorde » (al-fitna al-kubrâ).
Depuis, la violence est devenue le mode quasi exclusif de l’accès au pouvoir d’une dynastie, ou d’un autocrate, le moyen principal de l’exercer et de s’y maintenir pour ne le quitter que mort ou chassé par une action violente.
En rapport avec ces conflits, partisans et adversaires de la violence ou de la paix ont produit des théories mobilisant versets coraniques, traditions consacrées et, à défaut, constructions théologiques présentées comme étant la « doctrine indiscutable et autorisée de l’islam ». Ces doctrines sont souvent, comme toutes les idéologies, des justifications a posteriori de conduites et de choix décidés d’abord sans références à la religion.
Ainsi, l’opposition dâr al-harb / dâr al-islâm (domaine de la guerre / domaine de l’islam) est apparue lors des guerres menées par divers groupes dissidents contre les Omeyyades et les Abbassides. Depuis, elle sert à justifier les révoltes contre l’autorité musulmane jugée illégitime : il suffit de jeter l’anathème sur les gouvernants pour justifier la guerre contre leur autorité, voire le meurtre du « tyran » qui se dresse sur la voie de l’islam.
Des discours théologiques construits a posteriori
Les théologiens du pouvoir ont repris cette même opposition : ils considèrent que l’autorité est légitime tant qu’elle est capable d’empêcher la fitna (guerre en terre d’islam, élargie à la notion moderne de guerre civile) et qu’elle n’empêche pas les croyants, dont les musulmans, de pratiquer leur religion.
Contre les théologies de la dissidence et les théologies du pouvoir, les soufis, qui ne croient pas au salut collectif et prônent des voies de salut individuel, ont, très tôt, produit des théologies de la paix avec des conceptions qu’ils partagent avec différentes expressions d’un islam quiétiste et avec les pacifistes du monde entier.
Pour comprendre l’ambivalence de toutes les traditions religieuses et philosophiques, il suffit de méditer l’adage latin : « Si vis pacem, para bellum ! » (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »). L’histoire de la guerre et de la paix dans toutes les sociétés humaines montre la difficulté d’opter pour une position univoque sur la question.
C’est ce qui fait dire à Gandhi, le plus grand apôtre du pacifisme de notre époque : « Entre la lâcheté et la violence, je préfère la violence. »
****
Première parution de cet article dans Salamnews n° 23, février 2011.
Professeur à l’université Lumière-Lyon-2 et chercheur au GREMMO, Mohamed Chérif-Ferjani est l’auteur de Le Politique et le Religieux dans le champ islamique (Éd. Fayard, 2005).
Contre les théologies de la dissidence et les théologies du pouvoir, les soufis, qui ne croient pas au salut collectif et prônent des voies de salut individuel, ont, très tôt, produit des théologies de la paix avec des conceptions qu’ils partagent avec différentes expressions d’un islam quiétiste et avec les pacifistes du monde entier.
Pour comprendre l’ambivalence de toutes les traditions religieuses et philosophiques, il suffit de méditer l’adage latin : « Si vis pacem, para bellum ! » (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »). L’histoire de la guerre et de la paix dans toutes les sociétés humaines montre la difficulté d’opter pour une position univoque sur la question.
C’est ce qui fait dire à Gandhi, le plus grand apôtre du pacifisme de notre époque : « Entre la lâcheté et la violence, je préfère la violence. »
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Première parution de cet article dans Salamnews n° 23, février 2011.
Professeur à l’université Lumière-Lyon-2 et chercheur au GREMMO, Mohamed Chérif-Ferjani est l’auteur de Le Politique et le Religieux dans le champ islamique (Éd. Fayard, 2005).
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