Dans le cadre précis du Sénégal, résister à la colonisation signifiait aussi un rejet de la culture qu'elle véhiculait et forcément la langue qui en était le support : le français.
Après l'effondrement des résistances armées menées par la chefferie locale Ceddo, ce sont les marabouts qui prirent le relais. Leur résistance sera, plutôt, d'ordre culturel ; un moyen de trouver une alternative à la politique d’assimilation menée par le colonisateur, pour ne pas y céder. Dans ce contexte, l'arabe va être, pendant longtemps, privilégiée par les lettrés musulmans, d'une part, en ce qu'elle est la langue du Coran et, de l'autre, par son côté alternatif et libérateur du joug - au moins culturel et linguistique - colonial.
Le français, quant à lui, avait du mal à se débarrasser de son étiquette de langue de la colonisation, avec tout ce que cela impliquait pour son image. Tourner le dos à la langue française avait, alors, deux significations, politique et religieuse : résister à une domination culturelle et affirmer sa foi en l'islam.
Pour mieux comprendre cette attitude, rappelons que la langue française est longtemps restée un symbole de domination culturelle. Cela a fini par être la cause d'amalgames, loin d'être naïfs, sur le plan linguistique. Ainsi, « français » se dit en wolof « nasarân » (de l'arabe « nasrânî », nazaréen, chrétien ). Dans les perceptions, le français était conçu comme étant aux antipodes de la religion musulmane. La langue arabe, elle était devenue un refuge et une alternative à la colonisation et à sa politique culturelle basée sur le principe d'assimilation de l’indigène. Ce phénomène était beaucoup plus perceptible en Afrique noire francophone. A la différence des Anglais qui avaient opté pour l’indirect rule, sans aucune volonté de façonner culturellement colonisé, la France a toujours cru être investie d’une mission « civilisatrice » qui passerait obligatoirement par l’assimilation des peuples sous sa domination.
Ainsi, en refusant la domination de la langue et de la « culture française », les Sénégalais, surtout musulmans, ont donné libre cours à une autre : celle de la langue arabe support de la « civilisation musulmane ». Cependant, se considérant comme membre à part entière de la oumma islamique, cette communauté d’identification transnationale, ils sont, peut-être, moins conscients des effets de cette autre domination incorporée, ou, en tout cas forte influence sur les cultures locales.
Tout était fonction des perceptions, des visions et des enjeux de l'heure. cependant, il ne faudrait pas perdre de vue les antécédents historico-culturels ayant favorisé la promotion de l'arabe et facilité son adoption par les Noirs africains musulmans.
Le commerce transsaharien qui s'est développé dès le Moyen-Age se servait de l'arabe et de son alphabet pour faciliter les échanges entre commerçants africains et arabes. D'ailleurs, Khalîl al-Nahwî, remarque que l'impact de l'arabe sur les langues africaines est plus sensible dans le champ lexical du commerce (poids, mesures, temps etc.), ou encore de la perception, forcément religieuse, du monde et de l'univers. Il en sera, largement, de même pour le vocabulaire religieux ; l'arabe étant la principale sinon la seule langue liturgique des musulmans. Ce fait sacralisant sera certainement à l'origine de l'importante production littéraire en arabe et en « ‘ajami » (textes en langues locales transcrites avec l'alphabet arabe enrichi de signes diacritiques pour les sonorités étrangères à l’arabe). Les chefs religieux sénégalais ont rédigé en arabe leurs odes apologétiques dédiées au Prophète Muhammad, comme il est d'usage dans la tradition soufie. D'autres marabouts, par un souci de vulgarisation de l'islam et de son message, ayant une parfaite intelligence de la société sénégalaise et de son mode de fonctionnement, vont être plus créatifs.
Bien que maîtrisant, parfaitement les règles de la prosodie arabe (al-'arûd) et ses mécanismes, des cheikhs vont produire d’importantes œuvres en wolof transcrites avec l'alphabet arabe. Cheikh Moussa Kâ, disciple de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie des Mourides, en était l’un des plus remarquables.
Dans les travaux effectués par Saliou Kandji et Vincent Monteil [1], en répertoriant les mots empruntés à l'arabe dans les parlers locaux, on note la prédominance du vocabulaire religieux et des termes ayant trait à l’existence et à l’univers. Si nous avons fait ce détour, c'est pour essayer d'expliquer le caractère sacralisé de l'arabe, en tant que langue et civilisation, chez les Sénégalais. Cette conception sera déterminant dans le débat ou querelle idéologique sur le rapport de l’Africain à l’islam ainsi que sa place dans cette communauté transnationale.
b[[1] Le laboratoire d’islamologie de l’IFAN détient d’innombrables manuscrits de ce type.]b
Après l'effondrement des résistances armées menées par la chefferie locale Ceddo, ce sont les marabouts qui prirent le relais. Leur résistance sera, plutôt, d'ordre culturel ; un moyen de trouver une alternative à la politique d’assimilation menée par le colonisateur, pour ne pas y céder. Dans ce contexte, l'arabe va être, pendant longtemps, privilégiée par les lettrés musulmans, d'une part, en ce qu'elle est la langue du Coran et, de l'autre, par son côté alternatif et libérateur du joug - au moins culturel et linguistique - colonial.
Le français, quant à lui, avait du mal à se débarrasser de son étiquette de langue de la colonisation, avec tout ce que cela impliquait pour son image. Tourner le dos à la langue française avait, alors, deux significations, politique et religieuse : résister à une domination culturelle et affirmer sa foi en l'islam.
Pour mieux comprendre cette attitude, rappelons que la langue française est longtemps restée un symbole de domination culturelle. Cela a fini par être la cause d'amalgames, loin d'être naïfs, sur le plan linguistique. Ainsi, « français » se dit en wolof « nasarân » (de l'arabe « nasrânî », nazaréen, chrétien ). Dans les perceptions, le français était conçu comme étant aux antipodes de la religion musulmane. La langue arabe, elle était devenue un refuge et une alternative à la colonisation et à sa politique culturelle basée sur le principe d'assimilation de l’indigène. Ce phénomène était beaucoup plus perceptible en Afrique noire francophone. A la différence des Anglais qui avaient opté pour l’indirect rule, sans aucune volonté de façonner culturellement colonisé, la France a toujours cru être investie d’une mission « civilisatrice » qui passerait obligatoirement par l’assimilation des peuples sous sa domination.
Ainsi, en refusant la domination de la langue et de la « culture française », les Sénégalais, surtout musulmans, ont donné libre cours à une autre : celle de la langue arabe support de la « civilisation musulmane ». Cependant, se considérant comme membre à part entière de la oumma islamique, cette communauté d’identification transnationale, ils sont, peut-être, moins conscients des effets de cette autre domination incorporée, ou, en tout cas forte influence sur les cultures locales.
Tout était fonction des perceptions, des visions et des enjeux de l'heure. cependant, il ne faudrait pas perdre de vue les antécédents historico-culturels ayant favorisé la promotion de l'arabe et facilité son adoption par les Noirs africains musulmans.
Le commerce transsaharien qui s'est développé dès le Moyen-Age se servait de l'arabe et de son alphabet pour faciliter les échanges entre commerçants africains et arabes. D'ailleurs, Khalîl al-Nahwî, remarque que l'impact de l'arabe sur les langues africaines est plus sensible dans le champ lexical du commerce (poids, mesures, temps etc.), ou encore de la perception, forcément religieuse, du monde et de l'univers. Il en sera, largement, de même pour le vocabulaire religieux ; l'arabe étant la principale sinon la seule langue liturgique des musulmans. Ce fait sacralisant sera certainement à l'origine de l'importante production littéraire en arabe et en « ‘ajami » (textes en langues locales transcrites avec l'alphabet arabe enrichi de signes diacritiques pour les sonorités étrangères à l’arabe). Les chefs religieux sénégalais ont rédigé en arabe leurs odes apologétiques dédiées au Prophète Muhammad, comme il est d'usage dans la tradition soufie. D'autres marabouts, par un souci de vulgarisation de l'islam et de son message, ayant une parfaite intelligence de la société sénégalaise et de son mode de fonctionnement, vont être plus créatifs.
Bien que maîtrisant, parfaitement les règles de la prosodie arabe (al-'arûd) et ses mécanismes, des cheikhs vont produire d’importantes œuvres en wolof transcrites avec l'alphabet arabe. Cheikh Moussa Kâ, disciple de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie des Mourides, en était l’un des plus remarquables.
Dans les travaux effectués par Saliou Kandji et Vincent Monteil [1], en répertoriant les mots empruntés à l'arabe dans les parlers locaux, on note la prédominance du vocabulaire religieux et des termes ayant trait à l’existence et à l’univers. Si nous avons fait ce détour, c'est pour essayer d'expliquer le caractère sacralisé de l'arabe, en tant que langue et civilisation, chez les Sénégalais. Cette conception sera déterminant dans le débat ou querelle idéologique sur le rapport de l’Africain à l’islam ainsi que sa place dans cette communauté transnationale.
b[[1] Le laboratoire d’islamologie de l’IFAN détient d’innombrables manuscrits de ce type.]b