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Points de vue

Politique : le pouvoir et sa représentation

Rédigé par Sofiane Meziani | Jeudi 30 Janvier 2014 à 06:00

           


Ce qui, dans l’actuel système politique, fait la force d’un représentant du pouvoir, ce n’est point les idées politiques qui l’animent, mais les conseillers en communication qui l’entourent…

Le Léviathan ou la théorie de la représentativité

Sans doute l’un des grands débats de la démocratie moderne a été celui de la représentation : faut-il, oui ou non, déléguer le pouvoir à une instance représentative ? Ou à l’instar des cités grecques, opter pour une démocratie directe, où les lois sont directement promulguées par les citoyens libres sur l’Agora ?

La notion de représentation, dans son acception politique, renvoie à l’idée de représentativité, autrement dit, d’une suppléance. C’est, plus clairement, une forme de médiation du pouvoir. Pour y voir plus clair, il faut se rendre de l’autre côté de la Manche, au pays de Shakespeare au temps de Charles Ier et de Cromwell. Car c’est à cet endroit précis de l’espace et du temps, que se trouve celui qui en est le principal théoricien : Thomas Hobbes.

Le philosophe anglais estime, en effet, que dans l’état de nature qui se nomme guerre de tous contre tous, les hommes ont un intérêt vital à instaurer une institution politique qui puisse maintenir le respect et la liberté de chacun. En d’autres termes, sous la menace d’une guerre civile, pour parler en termes de politique instituée, la force d’intimidation de chaque individu doit, sous un accord et une convention, être transférée à un représentant (le Léviathan) qui les unifiera et les protégera. Ce dernier, pour Hobbes, doit, par ailleurs, jouir d’un pouvoir absolu pour qu’il soit efficient sans qu’il s’agisse, bien entendu, de despotisme. La socialisation, selon lui, n’est donc pas naturelle, elle est le produit d’une crainte ou, plus profondément, d’une panique rationnelle.

Deux siècles plus tard, inspirée par le modèle anglo-saxon, Tocqueville défendra, dans De la démocratie en Amérique, cette idée d’une démocratie représentative et surtout libérale.

Le Contrat social ou la critique de la représentativité

Là où le Léviathan voit dans la représentativité un intérêt, le Contrat social perçoit, quant à lui, une trahison de la volonté générale. Reprenons le tunnel, en sens inverse, jusqu’au pays de Molière pour y rencontrer le père de la révolution française et, dans un paradoxe apparent, l’inspirateur du romantisme politique, celui qui, justement, remettra en cause l’idée anglaise de représentation : Jean-Jacques Rousseau. Car il n’y a pas que la mer qui sépare l’Hexagone du monde anglo-saxon, il y a aussi et surtout les idées (politiques, en l’occurrence).

C’est au chapitre XV, livre III, du Contrat social que le penseur genevois articule, avec une prouesse littéraire qu’on lui connaît ou, plutôt, qu’on lui reconnaît, sa critique du système anglais : « La souveraineté ne peut être représentée (…). Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. » C’est en quoi Rousseau considère que toute loi que le peuple en personne n’a pas adoptée est vaine. La décision doit émaner de la volonté générale car, conclut-il, à l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus.

L’auteur du Contrat social est cependant conscient des limites d’une démocratie directe, comme celle de Sparte, qui ne peut être opérante que dans un périmètre très restreint, mais certainement pas dans une nation aussi grande que la France qui, à son échelle, ne peut être que représentative.

La lucidité de Rousseau ne s’arrête pas là. Le rapport entre « représentant » et « représenté » ne sera pas sans modifier la nature de la citoyenneté : le citoyen n’est ainsi plus un membre actif de la société mais un agent oisif de ses propres intérêts. Le représenté risque au demeurant de se dépassionner de la chose publique, d’être insensible au fait politique en confiant totalement le pourvoir à un représentant.

C’est d’ailleurs en ce sens qu’il introduit ce même chapitre : « Ils nomment des députés et restent chez eux. À force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre. »

Le Prince ou la représentation-image

L’idée de représentation jouit, par ailleurs, d’une autre acception, celle qui renvoie à l’image que le pouvoir donne de lui-même. Nous touchons là le nœud du problème : il s’agit de définir non plus la nature du rapport entre le représentant et le représenté (la représentativité) mais le lien que le pouvoir entretient avec l’image et le symbolique (la représentation). Cette fois, direction au pays de Dante, là où a germé la politique moderne et accordons une courte attention à celui qui en a planté la graine : Nicolas Machiavel.

Pour relever les défis particuliers de son temps, Machiavel opte pour le pragmatisme politique. Contrairement à Hobbes, théoricien de l’institution, le penseur florentin est un théoricien de l’action. Et, à ce titre, il ne manque pas de clarté. En effet, Il estime que pour accéder et conserver le pouvoir, le Prince doit user de la ruse et être en mesure de jongler avec son image et ses apparences.

Le chapitre XVIII de son célèbre livre, Le Prince, ne souffre en ce sens d’aucune ambiguïté : comme la force ne saurait suffire à la conquête du pouvoir, « il faut donc que le prince sache agir à propos, et en bête et en homme ». Il doit paraître bon et agir, quand il le faut, contrairement à ses apparences.

François Hollande, à titre d’exemple, peut paraître très sensible à la question de l’homosexualité et dans la même foulée aller rendre visite, symboliquement, à un farouche opposant au « mariage pour tous », le pape François. C’est la plasticité de l’être qui permet le passage de personne privée au statut de prince. De façon plus claire, c’est sa capacité à user de son image ou, pour reprendre la formule de Blaise Pascal, de la grimace.

Faire la grimace, en effet, c’est mettre en scène le pouvoir, en usant des outils de communication qui sont à la politique ce que le masque et le déguisement sont au théâtre. Il s’agit, en d’autres termes, de feindre la force en la travestissant. Celui qui, en effet, sait maîtriser les signes saura disposer d’un pouvoir sur la conscience collective. Le politicien dans ce type de représentation n’est rien d’autre qu’un communicant. Il ne saurait en effet exister sans ses conseillers en communication. Ici, il s’agit davantage d’une mise en scène, d’une théâtralisation (représentation) que d’une substitution (représentativité) du pouvoir.

Représentation ou représentativité

N’est-ce pas, pour conclure, faire preuve de surdité que de ne point entendre l’écho du Prince dans l’attitude des acteurs politiques actuels – sans généraliser toutefois ? Acteurs non parce qu’ils agissent, mais en ce sens qu’ils jouent un rôle. Ils interprètent un personnage sur la scène politique en usant du déguisement médiatique. Faire du spectacle, voire du spectaculaire, user du symbole, pour convaincre les spectateurs de la scène publique. C’est par le pouvoir réel de l’image que l’on donne une image illusoire du pouvoir. Voilà à quoi ressemble cette démocratie des urnes. De l’isoloir.

Il s’agit moins d’une démocratie représentative que d’une représentation de la démocratie. La différence est de taille. Aussi, faut-il se désillusionner, et face à la ruse machiavélique du pouvoir politique en place, il faut relever le défi de la représentativité hobbesienne – sans faire toutefois l’économie de quelques nuances – avec cette lucidité rousseauiste, pour redonner un sens à notre citoyenneté et surtout à notre présence ponctuelle dans les isoloirs.

Car jusque-là, faut-il en être sûr, le responsable politique représente davantage les intérêts de sa personne que les idées du peuple. Par les urnes, ce n’est pas le représentant qui devient le médiateur des idées du peuple, mais le peuple qui apparaît comme le médiateur des intérêts du représentant. C’est comme si, dans ce jardin d’automne, j’apercevais une sorte d’oligarchie cachée derrière les buissons de la démocratie…

Sofiane Meziani est enseignant et auteur.





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