Je me suis longuement interrogée sur ce que le journaliste américain Ta-nehisi Coates voulait dire à son fils et à tous ses lecteurs quand il parlait de posséder son corps noir dans son dernier livre Une colère noire, livre phénomène outre-Atlantique. J’ai été étonnée par l’utilisation presque poétique qu’il fait de ce corps vulnérable.
Je me suis émerveillée sur son écriture puissante qui parvient à nous rendre vivante et claire la fragilité du corps noir dans une société américaine ravagée par les assassinats impunis d’hommes noirs par la police, dévastée par l’humiliation quotidienne de ces corps noirs lors des contrôles au faciès.
Mon corps n’est pas noir et je ne pourrai jamais sentir dans ma chair cette violence historique et physique. Peut-être ne parviendrai-je jamais à comprendre cette phrase à la fois belle et tragique que je ne pourrai jamais prononcer à mes enfants : « Voilà ce qu’il faut que tu saches en Amérique, la destruction du corps noir est une tradition, un héritage. »
Ma mémoire ne porte pas en elle les violations séculaires du corps noir. Certes.
L’Amérique n’est pas la France. Accordons-nous sur ce point. J’ai très tôt évité les analogies historiques ou géographiques. Peut-être est-ce dû à ma formation d’historienne qui m’a rappelé que ne peuvent exister deux situations semblables. Je me méfie des formules qui sonnent davantage comme des slogans politiques que comme des invitations à la réflexion.
L’Amérique de Barack Obama, dont nous vivons les derniers mois de mandat, n’a pas sonné le glas des conflits de races outre-Atlantique. Eric Gardner n’a pas été sauvé par un président noir.
Chez nous, la race n’existe pas. En tout cas, pas dans notre vocabulaire français. C’est un gros mot. Banni de notre Constitution. Évincé du débat comme enfoui dans une mémoire lointaine.
Malheureusement, les vieux démons sont toujours là. Sous d’autres oripeaux.
La bataille raciale n’aura pas lieu sur la terre de Voltaire, place à la guerre identitaire, qui, elle, fait rage. Impose son tempo, ses passions et ses déchirements au sommet de l’État comme dans les discussions quotidiennes.
Ta-Nehisi Coates est aujourd’hui en France. Je ne sais ce qu’il penserait de la référence du « nègre pour l’esclavage » de notre ministre des Femmes.
Et si c’est par le truchement de sa réflexion que je lis et regarde les dernières passions françaises je ne peux que constater l’empiètement progressif et lancinant des médias et politiques sur mon corps. Sur le corps de toutes ces femmes qui comme moi métèques font l’objet de l’hystérie collective.
Si le corps noir en Amérique est voué à la destruction, le corps arabe, musulman de la femme est destiné à être contrôlé par les mots, par les lois tacites ou écrites.
Je ne suis pas voilée, Tout le monde l’aura aisément remarqué.
Les gouttes d’eau du rossignol dans la nature sont douces et louées par les poètes. Transfigurées dans la réalité les paroles de notre ministre ont été violentes et dures comme des coups de massue.
Il m’importe peu que l’ancienne militante antiraciste se défende d’être raciste. Je ne crois pas que les uns et les autres soient « intrinsèquement » racistes. En revanche, je sais avec conviction que nous portons des paroles, des préjugés et des actes qui, eux, le sont.
La guerre raciale n’aura pas lieu en France, mes sœurs, mes filles, mes amies. Mais la guerre identitaire, elle, fait rage.
La guerre identitaire, elle, te questionne sur ton voile ou ton dévoilement. La guerre identitaire et culturelle questionne ton engagement traité de communautaire et de communautariste quand ton discours ne se fait pas dans les cadres et codes imposés d’un centre hégémonique qui ne voit pas que la périphérie vit, pense et écrit.
Ta-Nehisi Coates se défend et s’interdit de consoler son fils après l’acquittement des assassins d’Eric Garner qui se réfugie dans les larmes et le silence.
Je me défendrai de dire que tout ira bien. Je me défendrai de dire que la bataille est finie. Elle est là devant nous. Alors je te dirai de te préparer, chère soeur, chère amie, chère fille, à défendre ton corps et ton cœur.
****
Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.
Je me suis émerveillée sur son écriture puissante qui parvient à nous rendre vivante et claire la fragilité du corps noir dans une société américaine ravagée par les assassinats impunis d’hommes noirs par la police, dévastée par l’humiliation quotidienne de ces corps noirs lors des contrôles au faciès.
Mon corps n’est pas noir et je ne pourrai jamais sentir dans ma chair cette violence historique et physique. Peut-être ne parviendrai-je jamais à comprendre cette phrase à la fois belle et tragique que je ne pourrai jamais prononcer à mes enfants : « Voilà ce qu’il faut que tu saches en Amérique, la destruction du corps noir est une tradition, un héritage. »
Ma mémoire ne porte pas en elle les violations séculaires du corps noir. Certes.
L’Amérique n’est pas la France. Accordons-nous sur ce point. J’ai très tôt évité les analogies historiques ou géographiques. Peut-être est-ce dû à ma formation d’historienne qui m’a rappelé que ne peuvent exister deux situations semblables. Je me méfie des formules qui sonnent davantage comme des slogans politiques que comme des invitations à la réflexion.
L’Amérique de Barack Obama, dont nous vivons les derniers mois de mandat, n’a pas sonné le glas des conflits de races outre-Atlantique. Eric Gardner n’a pas été sauvé par un président noir.
Chez nous, la race n’existe pas. En tout cas, pas dans notre vocabulaire français. C’est un gros mot. Banni de notre Constitution. Évincé du débat comme enfoui dans une mémoire lointaine.
Malheureusement, les vieux démons sont toujours là. Sous d’autres oripeaux.
La bataille raciale n’aura pas lieu sur la terre de Voltaire, place à la guerre identitaire, qui, elle, fait rage. Impose son tempo, ses passions et ses déchirements au sommet de l’État comme dans les discussions quotidiennes.
Ta-Nehisi Coates est aujourd’hui en France. Je ne sais ce qu’il penserait de la référence du « nègre pour l’esclavage » de notre ministre des Femmes.
Et si c’est par le truchement de sa réflexion que je lis et regarde les dernières passions françaises je ne peux que constater l’empiètement progressif et lancinant des médias et politiques sur mon corps. Sur le corps de toutes ces femmes qui comme moi métèques font l’objet de l’hystérie collective.
Si le corps noir en Amérique est voué à la destruction, le corps arabe, musulman de la femme est destiné à être contrôlé par les mots, par les lois tacites ou écrites.
Je ne suis pas voilée, Tout le monde l’aura aisément remarqué.
Les gouttes d’eau du rossignol dans la nature sont douces et louées par les poètes. Transfigurées dans la réalité les paroles de notre ministre ont été violentes et dures comme des coups de massue.
Il m’importe peu que l’ancienne militante antiraciste se défende d’être raciste. Je ne crois pas que les uns et les autres soient « intrinsèquement » racistes. En revanche, je sais avec conviction que nous portons des paroles, des préjugés et des actes qui, eux, le sont.
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Ta-Nehisi Coates se défend et s’interdit de consoler son fils après l’acquittement des assassins d’Eric Garner qui se réfugie dans les larmes et le silence.
Je me défendrai de dire que tout ira bien. Je me défendrai de dire que la bataille est finie. Elle est là devant nous. Alors je te dirai de te préparer, chère soeur, chère amie, chère fille, à défendre ton corps et ton cœur.
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