La Croix: Comment réagissez-vous après les menaces de mort proférées contre Robert Redeker du fait de sa récente tribune dans le « Figaro » ?
Rachid Benzine : On ne peut aujourd’hui tolérer la moindre menace de mort contre quelqu’un qui exprime ses idées. Toute « fatwa » est inadmissible. Et la plupart des musulmans aujourd’hui disent la même chose. Une fois ce principe rappelé, l’article publié par cet enseignant de philosophie pose problème, car on s’attendrait, de la part d’un philosophe, qu’il réfléchisse à la manière de parler de « l’islam » et du « coran », qui sont deux termes hypertrophiés, encore insuffisamment pris en charge par une pensée critique. Ce n’est qu'ainsi qu’il pourrait prendre de la distance et se différencier de l’attitude des fondamentalistes qui utilisent notamment la tradition sans la mettre en perspective et sans la critiquer historiquement et épistémologiquement. Or ici, comme eux, il procède à une utilisation « sélective » de la tradition pour dresser un réquisitoire contre l’islam et contre la figure du prophète..
Ce travail de distanciation et de critique intellectuelles à l’égard du Coran est-il possible actuellement pour des chercheurs musulmans ?
Rachid Benzine: Bien sûr. Comme je l’ai montré dans « Les nouveaux penseurs de l’islam » (Albin Michel, 2004), beaucoup d’intellectuels musulmans, à commencer par Mohamed Arkoun, ont déjà entamé depuis très longtemps ce travail critique. Toute étude critique de la tradition religieuse doit au préalable s’attacher à élucider les cadres socio-culturels de la connaissance dans lesquels la tradition a vu le jour. Nous avons besoin pour cela des outils d’anthropologie, d’histoire, de linguistique, de philosophie, de critique littéraire, etc, qui permettent de prendre en charge toutes ces questions.
Dans ce domaine, les travaux de chercheurs non-musulmans sont ils reçus ?
Rachid Benzine: Oui, le Coran n’appartient pas qu’aux musulmans mais fait partie des trésors de l’humanité. Déjà des chercheurs non-musulmans en Grande-Bretagne ou en Allemagne font un travail formidable. « L’histoire du Coran », de Théodore Noldeke, qui date de plus d’un siècle et qui est une étude critique et subversive de la recension du Coran vient d’être traduite en arabe. De même, une maison d’édition marocaine vient de publier le dernier ouvrage Alfred-Louis de Premare qui met à la disposition du grand public , les recherches contemporaines sur le Coran. Le monde musulman a soif de débat.
Pourtant le monde musulman apparaît souvent comme opposé à tout travail critique ?
Rachid Benzine: Si le travail critique est refusé c’est peut-être qu’il est mal posé ! On en appelle ainsi souvent, par exemple, à une « réforme de l’islam », qui nécessiterait de déclarer « caduques » certains versets du Coran. Or, une telle attitude est une capitulation de l’esprit. En effet, au lieu de réfléchir au sens des versets dans le cadre d’une lecture globale du texte et non d’une lecture normative, on préfère les supprimer. Or, les musulmans ne sauraient accepter qu’on traite ainsi leur texte sacré ! Il faut donc, et c’est la seule voie possible, apprendre à lire et interpréter ces versets au-delà de leur réception première, qui est essentiellement normative.
Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait aider des musulmans en France à se lancer dans ce travail critique ?
Rachid Benzine: Il faudrait déjà que cessent toutes ces « affaires » des caricatures danoises, de Benoît XVI à Ratisbonne, et maintenant de cet enseignant de philosophie. Car ces polémiques n’aident pas à débattre sereinement et coupent l’herbe sous le pied à tous ceux qui cherchent un débat critique. Il n’y a pas besoin d’être fin psychologue pour savoir que si l’on balance des énormités sur Muhammad on peut s’attendre de la part d’une minorité à des réactions violentes. En disant cela je ne justifie nullement ces réactions : je dis simplement que si l’on prend la peine de comprendre les trajectoires de la pensée musulmane, et son cadre épistémologique, différent de celui des sociétés européennes, alors on apprendra à éviter ce genre de situations stériles.
La critique peut être acceptée, à condition qu’elle soit féconde. En ce sens, je suis rassuré quand je vois une trentaine d’étudiants musulmans et non-musulmans en Master de religion et société à Science-Po Aix suivre mes cours d’herméneutique du texte coranique. Au début, certains étudiants musulmans sont parfois choqués car ils n’ont pas l’habitude d’une approche historico-critique, sémiotique, herméneutique mais au bout d’un an leur manière de lire le texte a complètement changé. Ces étudiants sont destinés à avoir des rôles d’intermédiaires (tels des conseillers dans les mairies) dans la société française d’aujourd’hui et de demain,et c’est pour cela qu’il est essentiel de leur donner les bons outils pour répondre plus tard aux problèmes qu’ils auront à traiter.
Propos recueillis par Claire Lesegretain
Rachid Benzine : On ne peut aujourd’hui tolérer la moindre menace de mort contre quelqu’un qui exprime ses idées. Toute « fatwa » est inadmissible. Et la plupart des musulmans aujourd’hui disent la même chose. Une fois ce principe rappelé, l’article publié par cet enseignant de philosophie pose problème, car on s’attendrait, de la part d’un philosophe, qu’il réfléchisse à la manière de parler de « l’islam » et du « coran », qui sont deux termes hypertrophiés, encore insuffisamment pris en charge par une pensée critique. Ce n’est qu'ainsi qu’il pourrait prendre de la distance et se différencier de l’attitude des fondamentalistes qui utilisent notamment la tradition sans la mettre en perspective et sans la critiquer historiquement et épistémologiquement. Or ici, comme eux, il procède à une utilisation « sélective » de la tradition pour dresser un réquisitoire contre l’islam et contre la figure du prophète..
Ce travail de distanciation et de critique intellectuelles à l’égard du Coran est-il possible actuellement pour des chercheurs musulmans ?
Rachid Benzine: Bien sûr. Comme je l’ai montré dans « Les nouveaux penseurs de l’islam » (Albin Michel, 2004), beaucoup d’intellectuels musulmans, à commencer par Mohamed Arkoun, ont déjà entamé depuis très longtemps ce travail critique. Toute étude critique de la tradition religieuse doit au préalable s’attacher à élucider les cadres socio-culturels de la connaissance dans lesquels la tradition a vu le jour. Nous avons besoin pour cela des outils d’anthropologie, d’histoire, de linguistique, de philosophie, de critique littéraire, etc, qui permettent de prendre en charge toutes ces questions.
Dans ce domaine, les travaux de chercheurs non-musulmans sont ils reçus ?
Rachid Benzine: Oui, le Coran n’appartient pas qu’aux musulmans mais fait partie des trésors de l’humanité. Déjà des chercheurs non-musulmans en Grande-Bretagne ou en Allemagne font un travail formidable. « L’histoire du Coran », de Théodore Noldeke, qui date de plus d’un siècle et qui est une étude critique et subversive de la recension du Coran vient d’être traduite en arabe. De même, une maison d’édition marocaine vient de publier le dernier ouvrage Alfred-Louis de Premare qui met à la disposition du grand public , les recherches contemporaines sur le Coran. Le monde musulman a soif de débat.
Pourtant le monde musulman apparaît souvent comme opposé à tout travail critique ?
Rachid Benzine: Si le travail critique est refusé c’est peut-être qu’il est mal posé ! On en appelle ainsi souvent, par exemple, à une « réforme de l’islam », qui nécessiterait de déclarer « caduques » certains versets du Coran. Or, une telle attitude est une capitulation de l’esprit. En effet, au lieu de réfléchir au sens des versets dans le cadre d’une lecture globale du texte et non d’une lecture normative, on préfère les supprimer. Or, les musulmans ne sauraient accepter qu’on traite ainsi leur texte sacré ! Il faut donc, et c’est la seule voie possible, apprendre à lire et interpréter ces versets au-delà de leur réception première, qui est essentiellement normative.
Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait aider des musulmans en France à se lancer dans ce travail critique ?
Rachid Benzine: Il faudrait déjà que cessent toutes ces « affaires » des caricatures danoises, de Benoît XVI à Ratisbonne, et maintenant de cet enseignant de philosophie. Car ces polémiques n’aident pas à débattre sereinement et coupent l’herbe sous le pied à tous ceux qui cherchent un débat critique. Il n’y a pas besoin d’être fin psychologue pour savoir que si l’on balance des énormités sur Muhammad on peut s’attendre de la part d’une minorité à des réactions violentes. En disant cela je ne justifie nullement ces réactions : je dis simplement que si l’on prend la peine de comprendre les trajectoires de la pensée musulmane, et son cadre épistémologique, différent de celui des sociétés européennes, alors on apprendra à éviter ce genre de situations stériles.
La critique peut être acceptée, à condition qu’elle soit féconde. En ce sens, je suis rassuré quand je vois une trentaine d’étudiants musulmans et non-musulmans en Master de religion et société à Science-Po Aix suivre mes cours d’herméneutique du texte coranique. Au début, certains étudiants musulmans sont parfois choqués car ils n’ont pas l’habitude d’une approche historico-critique, sémiotique, herméneutique mais au bout d’un an leur manière de lire le texte a complètement changé. Ces étudiants sont destinés à avoir des rôles d’intermédiaires (tels des conseillers dans les mairies) dans la société française d’aujourd’hui et de demain,et c’est pour cela qu’il est essentiel de leur donner les bons outils pour répondre plus tard aux problèmes qu’ils auront à traiter.
Propos recueillis par Claire Lesegretain
Chercheur associé à l’observatoire du religieux, Rachid Benzine s'est intéressé à certains penseurs musulmans. Il en a tiré «Les nouveaux penseurs de l'islam » devenu une référence sur la question. Travaillant actuellement sur l'herméneutique coranique M. Benzine est chargé de cours au Master Religions et Société ( Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence).