Les résultats de l’enquête IPSOS/CGI business consulting « France 2013 les nouvelles fractures » pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof sont à bien des égards inquiétants concernant la stabilisation dans les représentations majoritaires d’une catégorie de français stigmatisés : les « musulmans » (1).
Ce phénomène a été largement repris par les médias feignant de s’étonner de l’évolution de l’islamophobie en France (2). Loin de minimiser les conséquences politiques de ce phénomène, il est nécessaire de regarder plus largement les résultats de l'étude. Sans prétendre fournir une analyse exhaustive des résultats de l'enquête ou de leur condition de production, ce texte propose quelques réflexions mettant en garde sur les effets sociaux d'enquêtes mal construites comme de leur utilisation journalistique.
Ce phénomène a été largement repris par les médias feignant de s’étonner de l’évolution de l’islamophobie en France (2). Loin de minimiser les conséquences politiques de ce phénomène, il est nécessaire de regarder plus largement les résultats de l'étude. Sans prétendre fournir une analyse exhaustive des résultats de l'enquête ou de leur condition de production, ce texte propose quelques réflexions mettant en garde sur les effets sociaux d'enquêtes mal construites comme de leur utilisation journalistique.
Les Français « préoccupés » prioritairement par « l'immigration » ou « l'intégrisme religieux » sont très minoritaires
Ce résultat peut sembler paradoxal au vu des constats introductifs, il n'en reste pas moins incontestable. Le premier tableau du travail de restitution de l'enquête en offre une démonstration sans ambiguïté. Il s'agissait de demander aux enquêtés de choisir parmi treize thèmes cités (3) ceux qui leur semblaient les plus préoccupants aujourd’hui.
D'un point de vue méthodologique, une première remarque s'impose : la liste des thèmes est choisie par les enquêteurs et non les enquêtés ; elle est donc le produit des représentations des enquêteurs concernant les opinions des enquêtés, d'une théorie sociale provisoire qui demande à être vérifiée empiriquement. Or cette théorie sociale provisoire ne s'impose en rien par évidence : on sait les sondages construits par ce qu'ils demandent et la façon dont ils le demandent mais aussi par l'ensemble de ce qu'ils ne demandent pas. On aurait ainsi pu imaginer allonger la liste d'une multitude de thèmes supposés participer des préoccupations des Français : en ces temps de défilés homophobes contre le mariage pour tous, on aurait pas été étonné de trouver dans cette liste « la progression de l'homophobie en France » comme on aurait pu y trouver la question des violences faites aux femmes ou l'évolution du racisme. Il faut par ailleurs noter que l'augmentation des possibilités de choix aurait fait baisser la probabilité pour chaque thème de trouver sa place dans le tiercé vainqueur.
Mais une subtilité de la question renforce l'enquêté dans la conviction selon laquelle lorsqu'il répond il produit sa propre vision du social, et renforce dans le même temps la conviction des lecteurs de la restitution de l'enquête que les résultats présentés sont des données représentant fidèlement les perceptions spontanées des interviewés : l'utilisation de la formule « selon vous ». Cet usage est une technique bien connue de la recherche en sciences sociales : lorsqu'une question utilise ce type de formulation, l'enquêté est conforté dans l'idée qu'il est à même d'avoir un avis sur la question, qu'il est légitime pour se prononcer. Ici, il est légitime pour se prononcer à travers l'opération de choix dans une liste préconstruite : l'opinion qui devient sienne est le résultat d'une présélection qui lui a tout à fait échappé.
Une fois mises en lumière ces difficultés méthodologiques dont s’embarrassent bien rarement les sondeurs, revenons aux résultats. Avec donc la possibilité pour chaque enquêté de choisir parmi les thèmes proposés ceux qui leur semblaient les plus préoccupants, c'est le chômage qui arrive en tête avec 56 % de répondants, suivi par le pouvoir d'achat à 41 % (4). Les principales préoccupations exprimées par l'échantillon enquêté sont des préoccupations sociales traditionnelles. « L'intégrisme religieux » (5) n'arrive qu'à la neuvième position (17 %) des répondants et « l'immigration » (6) à la dixième (16 % des répondants). Seul un peu plus du sixième de l'échantillon a donc choisi au moins l'un de ces deux thèmes, et on peut supposer sans grand risque d'erreur que les effectifs de chaque modalité de réponses sont constitués majoritairement des mêmes individus de l'échantillon. Ce choix est donc largement minoritaire. On peut noter que dans le cadre d'une distribution aléatoire de l'échantillon, la probabilité de chacune des modalités d'être parmi les treize possibilités est de 3/13, soit environ 23 % (7). Les effectifs réels des modalités étudiées sont donc inférieurs aux effectifs théoriques dans le cas où toutes les réponses seraient équiprobables.
On retrouve par ailleurs ici les divisions politiques classiques : le score du thème « intégrisme religieux » est chez les sympathisants de gauche de 10 % et celui de « l'immigration » de 4 % ; du côté des sympathisants UMP « l'intégrisme religieux » est choisi par 21 % des répondants et « l'immigration » par 23 % ; enfin chez les sympathisants FN 29 % optent pour « l'intégrisme religieux » et 55 % pour « l'immigration ». Il n'y a là rien de très étonnant, au sortir notamment de la campagne pour l'élection du président de l'UMP qui a donné lieu à un déversement islamophobe quasi permanent du côté de Jean-François Copé (8).
On est donc bien loin du constat d'une évolution de l'opinion française qui considérerait uniformément comme des thèmes prioritairement préoccupants les question d'« intégrisme religieux » et d'« immigration ».
D'autres interprétations issues de la lecture des résultats du même sondage mériteraient plus amples développements. Par exemple, celle consistant à affirmer sans plus de détails que les Français sont demandeurs d'« autorité ». En effet, 87 % des enquêtés se déclarent en accord avec l'affirmation « on a besoin d'un vrai chef en France pour remettre de l'ordre » (p. 16). S'il existe des différenciations dans l'échantillon selon les sympathies partisanes, cette option reste largement majoritaire quels que soient les sous-échantillons considérés. Mais cette question rend uniforme des réponses dont on peut supposer les motivations bien différentes au vu des choix opérés dans les thèmes de préoccupations selon les proximités politiques. Ce large accord traduit sans conteste l'idée de la nécessité d'une intervention politique forte pour faire face à un désordre... mais ne dit rien ni du désordre en question, ni du chef qui serait amené à intervenir ni de l'orientation qui devrait être suivie pour « remettre de l'ordre ». Le chômage (thème choisi par 68 % des sympathisants de gauche), les inégalités sociales (thème choisi par 34 % des sympathisants de gauche) constituent indiscutablement des désordres sociaux dont il s'agirait de se préoccuper, en interdisant par exemple les licenciements pour les entreprises qui font des profits et en mettant en place une politique de redistribution des richesses. Une fois de plus, on ne peut tirer de grandes leçons à partir de ces résultats.
D'un point de vue méthodologique, une première remarque s'impose : la liste des thèmes est choisie par les enquêteurs et non les enquêtés ; elle est donc le produit des représentations des enquêteurs concernant les opinions des enquêtés, d'une théorie sociale provisoire qui demande à être vérifiée empiriquement. Or cette théorie sociale provisoire ne s'impose en rien par évidence : on sait les sondages construits par ce qu'ils demandent et la façon dont ils le demandent mais aussi par l'ensemble de ce qu'ils ne demandent pas. On aurait ainsi pu imaginer allonger la liste d'une multitude de thèmes supposés participer des préoccupations des Français : en ces temps de défilés homophobes contre le mariage pour tous, on aurait pas été étonné de trouver dans cette liste « la progression de l'homophobie en France » comme on aurait pu y trouver la question des violences faites aux femmes ou l'évolution du racisme. Il faut par ailleurs noter que l'augmentation des possibilités de choix aurait fait baisser la probabilité pour chaque thème de trouver sa place dans le tiercé vainqueur.
Mais une subtilité de la question renforce l'enquêté dans la conviction selon laquelle lorsqu'il répond il produit sa propre vision du social, et renforce dans le même temps la conviction des lecteurs de la restitution de l'enquête que les résultats présentés sont des données représentant fidèlement les perceptions spontanées des interviewés : l'utilisation de la formule « selon vous ». Cet usage est une technique bien connue de la recherche en sciences sociales : lorsqu'une question utilise ce type de formulation, l'enquêté est conforté dans l'idée qu'il est à même d'avoir un avis sur la question, qu'il est légitime pour se prononcer. Ici, il est légitime pour se prononcer à travers l'opération de choix dans une liste préconstruite : l'opinion qui devient sienne est le résultat d'une présélection qui lui a tout à fait échappé.
Une fois mises en lumière ces difficultés méthodologiques dont s’embarrassent bien rarement les sondeurs, revenons aux résultats. Avec donc la possibilité pour chaque enquêté de choisir parmi les thèmes proposés ceux qui leur semblaient les plus préoccupants, c'est le chômage qui arrive en tête avec 56 % de répondants, suivi par le pouvoir d'achat à 41 % (4). Les principales préoccupations exprimées par l'échantillon enquêté sont des préoccupations sociales traditionnelles. « L'intégrisme religieux » (5) n'arrive qu'à la neuvième position (17 %) des répondants et « l'immigration » (6) à la dixième (16 % des répondants). Seul un peu plus du sixième de l'échantillon a donc choisi au moins l'un de ces deux thèmes, et on peut supposer sans grand risque d'erreur que les effectifs de chaque modalité de réponses sont constitués majoritairement des mêmes individus de l'échantillon. Ce choix est donc largement minoritaire. On peut noter que dans le cadre d'une distribution aléatoire de l'échantillon, la probabilité de chacune des modalités d'être parmi les treize possibilités est de 3/13, soit environ 23 % (7). Les effectifs réels des modalités étudiées sont donc inférieurs aux effectifs théoriques dans le cas où toutes les réponses seraient équiprobables.
On retrouve par ailleurs ici les divisions politiques classiques : le score du thème « intégrisme religieux » est chez les sympathisants de gauche de 10 % et celui de « l'immigration » de 4 % ; du côté des sympathisants UMP « l'intégrisme religieux » est choisi par 21 % des répondants et « l'immigration » par 23 % ; enfin chez les sympathisants FN 29 % optent pour « l'intégrisme religieux » et 55 % pour « l'immigration ». Il n'y a là rien de très étonnant, au sortir notamment de la campagne pour l'élection du président de l'UMP qui a donné lieu à un déversement islamophobe quasi permanent du côté de Jean-François Copé (8).
On est donc bien loin du constat d'une évolution de l'opinion française qui considérerait uniformément comme des thèmes prioritairement préoccupants les question d'« intégrisme religieux » et d'« immigration ».
D'autres interprétations issues de la lecture des résultats du même sondage mériteraient plus amples développements. Par exemple, celle consistant à affirmer sans plus de détails que les Français sont demandeurs d'« autorité ». En effet, 87 % des enquêtés se déclarent en accord avec l'affirmation « on a besoin d'un vrai chef en France pour remettre de l'ordre » (p. 16). S'il existe des différenciations dans l'échantillon selon les sympathies partisanes, cette option reste largement majoritaire quels que soient les sous-échantillons considérés. Mais cette question rend uniforme des réponses dont on peut supposer les motivations bien différentes au vu des choix opérés dans les thèmes de préoccupations selon les proximités politiques. Ce large accord traduit sans conteste l'idée de la nécessité d'une intervention politique forte pour faire face à un désordre... mais ne dit rien ni du désordre en question, ni du chef qui serait amené à intervenir ni de l'orientation qui devrait être suivie pour « remettre de l'ordre ». Le chômage (thème choisi par 68 % des sympathisants de gauche), les inégalités sociales (thème choisi par 34 % des sympathisants de gauche) constituent indiscutablement des désordres sociaux dont il s'agirait de se préoccuper, en interdisant par exemple les licenciements pour les entreprises qui font des profits et en mettant en place une politique de redistribution des richesses. Une fois de plus, on ne peut tirer de grandes leçons à partir de ces résultats.
Les sondeurs confirment leur choix : l'immigration est un problème
La partie 11 de la présentation de l'étude est titrée « la xénophobie » et vise à interroger les représentations des enquêtés concernant les « immigrés ». Il n'y a pas de valable opposition de principe à ce type de démarche, si tant est que l'on sache de quoi on parle.
Comme le montrent les premières analyses de l'étude, « l'immigration » est une « préoccupation » mineure des Français. On isole donc cette thématique, mais cela ne modifie en rien son caractère marginal, caractère invisibilisé par la présentation des résultats pris isolément. La première question de cette partie concerne « le niveau d'intégration des immigrés en France » et utilise la formulation suivante : « En pensant aux immigrés qui se sont installés en France ces trente dernières années, diriez-vous que… ». Il y a fort à parier qu'une grande majorité des enquêtés aient une idée bien approximative de ce que peuvent être les immigrés qui se sont installés en France ces trente dernières années comme de la diversité des flux migratoires qui conduisent des individus à s'installer en France (voir ici). Il y a encore fort à parier que les enquêtés aient une conception de l'« immigration » correspondant plutôt à la construction politico-médiatique des jeunes-de-banlieue-issus-de-l'immigration ou des filles-voilées-qui-s'auto-excluent-de-l'école.
Des catégorisations sociales désignant ainsi des individus à travers un stigmate lié à la question migratoire mais qui doivent leur survivance non à la spécificité de ce lien (les individus assignés à cette catégorie du sens commun « immigré » ou « issus de l'immigration » pouvant avoir des parents, des grands-parents, des arrière-grands-parents nés sur le territoire français à l'instar de nombre de leurs concitoyens non assignés à cette catégorie) mais à la reproduction du stigmate dont ils sont affublés.
De ce point de vue, ce qui fait la spécificité du groupe du sens commun « immigré » ou « issu de l'immigration », c'est le racisme. Il est une règle minimale de la recherche en sciences sociales : avoir un maximum de garanties qui conduisent à penser que les enquêtés parlent bien de ce dont les enquêteurs parlent. On peut ici supposer que ce n'est pas le cas.
Dans le même ordre idée, nul ne sait ce à quoi renvoie chez les enquêtés le concept de « niveau d'intégration ». D'une façon générale dans le débat social, l'injonction faite aux « immigrés » de « s'intégrer » fonctionne comme une façon de faire porter la responsabilité de la stigmatisation et des discriminations à ceux qui les subissent ; « l'intégration » est abordée en termes de manque, comme un chemin qu'il resterait à parcourir à certains pour être dans la norme, norme elle-même jamais définie et en réalité indéfinissable, l'injonction à « l'intégration » n'existant que pour construire et marquer une différence. La correspondance entre cette utilisation commune et stigmatisante du terme d'« intégration » et les représentations des enquêteurs semble bien être confirmée par les formulations de deux propositions dont les enquêtés doivent dire de laquelle ils se sentent le plus proche : « de manière générale, les immigrés font des efforts pour s'intégrer en France » ; « de manière générale, les immigrés ne font pas d'efforts pour s'intégrer en France ». Quoi qu'il en soit, il est impossible de savoir si enquêtés et enquêteurs parlent bien de la même chose. Par contre, les représentations communes stigmatisantes sur « l'intégration » s'en trouvent renforcées.
En bref, les formulations de la question ne permettent là encore pas d'espérer en tirer de grandes leçons, hormis sur les enquêteurs.
Revenons à la question « en pensant aux immigrés qui se sont installés en France ces trente dernières années, diriez-vous que… » ; les modalités de réponse proposées sont les suivantes : « l’immense majorité est bien intégrée et seulement une petite minorité est mal intégrée » ; « l’immense majorité est mal intégrée et seulement une petite minorité est bien intégrée » ; « une moitié est bien intégrée et l’autre moitié est mal intégrée ». A la grande surprise de tout étudiant de Licence 1 en sociologie ayant assisté à un cours de méthodologie, il n'existe aucune modalité permettant d'exprimer l'idée qu'il n'y a aucun problème lié à un quelconque « niveau d'intégration ». Par le choix de ces modalités, les sondeurs affirment et imposent aux enquêtés l'idée qu'un problème de ce type existe et qu'il ne s'agit pour eux que d'en mesurer l'ampleur. De la même façon, les sondés sont appelés à s'exprimer sur le caractère plus ou moins répandu du « racisme anti-Blanc » et interdits d'en contester l'existence.
Comme le montrent les premières analyses de l'étude, « l'immigration » est une « préoccupation » mineure des Français. On isole donc cette thématique, mais cela ne modifie en rien son caractère marginal, caractère invisibilisé par la présentation des résultats pris isolément. La première question de cette partie concerne « le niveau d'intégration des immigrés en France » et utilise la formulation suivante : « En pensant aux immigrés qui se sont installés en France ces trente dernières années, diriez-vous que… ». Il y a fort à parier qu'une grande majorité des enquêtés aient une idée bien approximative de ce que peuvent être les immigrés qui se sont installés en France ces trente dernières années comme de la diversité des flux migratoires qui conduisent des individus à s'installer en France (voir ici). Il y a encore fort à parier que les enquêtés aient une conception de l'« immigration » correspondant plutôt à la construction politico-médiatique des jeunes-de-banlieue-issus-de-l'immigration ou des filles-voilées-qui-s'auto-excluent-de-l'école.
Des catégorisations sociales désignant ainsi des individus à travers un stigmate lié à la question migratoire mais qui doivent leur survivance non à la spécificité de ce lien (les individus assignés à cette catégorie du sens commun « immigré » ou « issus de l'immigration » pouvant avoir des parents, des grands-parents, des arrière-grands-parents nés sur le territoire français à l'instar de nombre de leurs concitoyens non assignés à cette catégorie) mais à la reproduction du stigmate dont ils sont affublés.
De ce point de vue, ce qui fait la spécificité du groupe du sens commun « immigré » ou « issu de l'immigration », c'est le racisme. Il est une règle minimale de la recherche en sciences sociales : avoir un maximum de garanties qui conduisent à penser que les enquêtés parlent bien de ce dont les enquêteurs parlent. On peut ici supposer que ce n'est pas le cas.
Dans le même ordre idée, nul ne sait ce à quoi renvoie chez les enquêtés le concept de « niveau d'intégration ». D'une façon générale dans le débat social, l'injonction faite aux « immigrés » de « s'intégrer » fonctionne comme une façon de faire porter la responsabilité de la stigmatisation et des discriminations à ceux qui les subissent ; « l'intégration » est abordée en termes de manque, comme un chemin qu'il resterait à parcourir à certains pour être dans la norme, norme elle-même jamais définie et en réalité indéfinissable, l'injonction à « l'intégration » n'existant que pour construire et marquer une différence. La correspondance entre cette utilisation commune et stigmatisante du terme d'« intégration » et les représentations des enquêteurs semble bien être confirmée par les formulations de deux propositions dont les enquêtés doivent dire de laquelle ils se sentent le plus proche : « de manière générale, les immigrés font des efforts pour s'intégrer en France » ; « de manière générale, les immigrés ne font pas d'efforts pour s'intégrer en France ». Quoi qu'il en soit, il est impossible de savoir si enquêtés et enquêteurs parlent bien de la même chose. Par contre, les représentations communes stigmatisantes sur « l'intégration » s'en trouvent renforcées.
En bref, les formulations de la question ne permettent là encore pas d'espérer en tirer de grandes leçons, hormis sur les enquêteurs.
Revenons à la question « en pensant aux immigrés qui se sont installés en France ces trente dernières années, diriez-vous que… » ; les modalités de réponse proposées sont les suivantes : « l’immense majorité est bien intégrée et seulement une petite minorité est mal intégrée » ; « l’immense majorité est mal intégrée et seulement une petite minorité est bien intégrée » ; « une moitié est bien intégrée et l’autre moitié est mal intégrée ». A la grande surprise de tout étudiant de Licence 1 en sociologie ayant assisté à un cours de méthodologie, il n'existe aucune modalité permettant d'exprimer l'idée qu'il n'y a aucun problème lié à un quelconque « niveau d'intégration ». Par le choix de ces modalités, les sondeurs affirment et imposent aux enquêtés l'idée qu'un problème de ce type existe et qu'il ne s'agit pour eux que d'en mesurer l'ampleur. De la même façon, les sondés sont appelés à s'exprimer sur le caractère plus ou moins répandu du « racisme anti-Blanc » et interdits d'en contester l'existence.
Des « études » qui banalisent l'islamophobie
On ne peut conclure ces propos sans s'attarder sur les réponses concernant les rapports des enquêtés aux religions.
Si la préoccupation à l'égard de « l'intégrisme religieux » est marginale, ces réponses témoignent sans conteste d'une importante banalisation de l'islamophobie. 74 % des enquêtés considèrent ,par exemple, que la religion musulmane n'est pas compatible avec « les valeurs de la société française » (p. 70). Il ne s'agit pas d'un rejet de toutes les religions qui serait exprimé par l'échantillon, les religions juive et catholique étant largement épargnées, avec des scores respectifs de 25 % et 11 % de déclarations d'incompatibilité avec les « valeurs de la société française ». Ces résultats pourraient sembler paradoxaux au vu d'autres données de l'enquête : plus affirmée à gauche, la tendance à trouver grave ou très grave le fait de tenir des propos racistes est très forte sur l'ensemble des échantillons : elle concerne 85 % des répondants (p. 56). Ces tendances contradictoires montrent bien que la stigmatisation de la religion musulmane n'est pas considérée comme l'expression d'un quelconque racisme mais comme une opinion entendable. Opinion que la construction du sondage en question et son utilisation journalistique participent à banaliser.
Comme on pouvait le craindre, l'impasse a largement été faite sur le caractère minoritaire des préoccupations déclarées envers « l'immigration » et « l'intégrisme religieux » pour valoriser les résultats sur la diffusion (incontestable) de l'islamophobie, présentés hors de leur contexte de production. Occasion nouvelle pour certains de légitimer l'islamophobie en en rendant responsables ses victimes : « Au-delà d'un contexte d'angoisse diffuse ou d'un fond irréductible d'intolérance, ces chiffres constituent un avertissement aux musulmans ; ils doivent s'interroger de façon critique sur l'islam », juge ainsi Abdennour Bidar interrogé en tant que « spécialiste de l'islam et de la laicité » −et donc sans contradiction − par Le Monde (9).
Pour finir, un espoir sur la clairvoyance des sondés sur une question : 72 % de l'échantillon adhèrent à l'affirmation selon laquelle « en regardant les journaux télévisés, en écoutant la radio ou en lisant les journaux, vous vous dites que les journalistes sont coupés des réalités, ils ne parlent pas des vrais problèmes des Français » (p. 29).
Notes
(1) L'échantillon de l'enquête prétend être constitué de 1 016 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus. Ce point est contesté par Alain Garrigou (voir son texte).
(2) Voir, par exemple, « La religion musulmane fait l'objet d'un profond rejet de la part des Français » par Stéphanie Le Bars, Le Monde, 24 janvier 2013 ; ou "Les crispations alarmantes de la société française " par Gérard Courtois, Le Monde, 24 janvier 2013.
(3) Les treize thèmes cités étaient : le chômage, le pouvoir d’achat, l’avenir des retraites, les impôts et les taxes, la santé et la qualité des soins, l’insécurité, les inégalités sociales, les déficits publics, l’intégrisme religieux, l’immigration, le logement, le fonctionnement de l’école, l’environnement.
(4) Puisque trois réponses étaient possibles, le total est supérieur à 100 %.
(5) Au vu de l'inquiétude très minoritaire déclarée par l'échantillon concernant les deux autres principales religion en France dans la suite du sondage, on peut lier sans risque ce thème à celui de « l'intégrisme religieux musulman ». Les résultats présentés quant aux conceptions de l'échantillon concernant l'islam, liant cette religion à l'intégrisme vont dans le même sens.
(6) On peut souligner à nouveau que la présence de « l'intégrisme religieux » et de « l'immigration » dans la liste proposée ne résulte que de l'idée que se font a priori les enquêtés des préoccupations des Français.
(7) Si on cherche la probabilité de tirer la réponse 1 (toutes les réponses sont équiprobables) dans le trio de tête (donc trois tirages) dans un ensemble de treize réponses possibles, l'ordre des réponses ne comptant pas et sachant que l'on ne peut tirer deux fois la même réponse.
(8) Notons au passage sur ce point un phénomène peu repris par les médias. Chez les sympathisants UMP, les sondages donnaient Jean-François Fillon assez largement vainqueur alors que les résultats des votes des militants ont été extrêmement serrés, donnant lieu à l'affligeant spectacle que l'on sait. Le profil ouvertement réactionnaire et xénophobe semble ainsi connaître un succès bien plus grand dans les rangs des militants de l'UMP que dans l'opinion de droite. Une démonstration supplémentaire du fait que la diffusion du racisme et de l'islamophobie résulte bien d'une production des appareils idéologiques des droites et n'est en rien une réponse à une demande de l'opinion qui lui préexisterait. Même quand l'opinion en question est celle des sympathisants de droite.
(9) « 74 % des Français jugent l’islam intolérant : "Les musulmans doivent entendre cet avertissement" », par Stéphanie Le Bars, Le Monde, 24 janvier 2013.
Première parution de cet article sur Délinquance, justice et autres questions de société , le 4 février 2013.
* Renaud Cornand est ingénieur de recherche en sociologie, à Aix-Marseille Université.
Si la préoccupation à l'égard de « l'intégrisme religieux » est marginale, ces réponses témoignent sans conteste d'une importante banalisation de l'islamophobie. 74 % des enquêtés considèrent ,par exemple, que la religion musulmane n'est pas compatible avec « les valeurs de la société française » (p. 70). Il ne s'agit pas d'un rejet de toutes les religions qui serait exprimé par l'échantillon, les religions juive et catholique étant largement épargnées, avec des scores respectifs de 25 % et 11 % de déclarations d'incompatibilité avec les « valeurs de la société française ». Ces résultats pourraient sembler paradoxaux au vu d'autres données de l'enquête : plus affirmée à gauche, la tendance à trouver grave ou très grave le fait de tenir des propos racistes est très forte sur l'ensemble des échantillons : elle concerne 85 % des répondants (p. 56). Ces tendances contradictoires montrent bien que la stigmatisation de la religion musulmane n'est pas considérée comme l'expression d'un quelconque racisme mais comme une opinion entendable. Opinion que la construction du sondage en question et son utilisation journalistique participent à banaliser.
Comme on pouvait le craindre, l'impasse a largement été faite sur le caractère minoritaire des préoccupations déclarées envers « l'immigration » et « l'intégrisme religieux » pour valoriser les résultats sur la diffusion (incontestable) de l'islamophobie, présentés hors de leur contexte de production. Occasion nouvelle pour certains de légitimer l'islamophobie en en rendant responsables ses victimes : « Au-delà d'un contexte d'angoisse diffuse ou d'un fond irréductible d'intolérance, ces chiffres constituent un avertissement aux musulmans ; ils doivent s'interroger de façon critique sur l'islam », juge ainsi Abdennour Bidar interrogé en tant que « spécialiste de l'islam et de la laicité » −et donc sans contradiction − par Le Monde (9).
Pour finir, un espoir sur la clairvoyance des sondés sur une question : 72 % de l'échantillon adhèrent à l'affirmation selon laquelle « en regardant les journaux télévisés, en écoutant la radio ou en lisant les journaux, vous vous dites que les journalistes sont coupés des réalités, ils ne parlent pas des vrais problèmes des Français » (p. 29).
Notes
(1) L'échantillon de l'enquête prétend être constitué de 1 016 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus. Ce point est contesté par Alain Garrigou (voir son texte).
(2) Voir, par exemple, « La religion musulmane fait l'objet d'un profond rejet de la part des Français » par Stéphanie Le Bars, Le Monde, 24 janvier 2013 ; ou "Les crispations alarmantes de la société française " par Gérard Courtois, Le Monde, 24 janvier 2013.
(3) Les treize thèmes cités étaient : le chômage, le pouvoir d’achat, l’avenir des retraites, les impôts et les taxes, la santé et la qualité des soins, l’insécurité, les inégalités sociales, les déficits publics, l’intégrisme religieux, l’immigration, le logement, le fonctionnement de l’école, l’environnement.
(4) Puisque trois réponses étaient possibles, le total est supérieur à 100 %.
(5) Au vu de l'inquiétude très minoritaire déclarée par l'échantillon concernant les deux autres principales religion en France dans la suite du sondage, on peut lier sans risque ce thème à celui de « l'intégrisme religieux musulman ». Les résultats présentés quant aux conceptions de l'échantillon concernant l'islam, liant cette religion à l'intégrisme vont dans le même sens.
(6) On peut souligner à nouveau que la présence de « l'intégrisme religieux » et de « l'immigration » dans la liste proposée ne résulte que de l'idée que se font a priori les enquêtés des préoccupations des Français.
(7) Si on cherche la probabilité de tirer la réponse 1 (toutes les réponses sont équiprobables) dans le trio de tête (donc trois tirages) dans un ensemble de treize réponses possibles, l'ordre des réponses ne comptant pas et sachant que l'on ne peut tirer deux fois la même réponse.
(8) Notons au passage sur ce point un phénomène peu repris par les médias. Chez les sympathisants UMP, les sondages donnaient Jean-François Fillon assez largement vainqueur alors que les résultats des votes des militants ont été extrêmement serrés, donnant lieu à l'affligeant spectacle que l'on sait. Le profil ouvertement réactionnaire et xénophobe semble ainsi connaître un succès bien plus grand dans les rangs des militants de l'UMP que dans l'opinion de droite. Une démonstration supplémentaire du fait que la diffusion du racisme et de l'islamophobie résulte bien d'une production des appareils idéologiques des droites et n'est en rien une réponse à une demande de l'opinion qui lui préexisterait. Même quand l'opinion en question est celle des sympathisants de droite.
(9) « 74 % des Français jugent l’islam intolérant : "Les musulmans doivent entendre cet avertissement" », par Stéphanie Le Bars, Le Monde, 24 janvier 2013.
Première parution de cet article sur Délinquance, justice et autres questions de société , le 4 février 2013.
* Renaud Cornand est ingénieur de recherche en sociologie, à Aix-Marseille Université.
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Pascal Boniface : « La lutte contre l’islamophobie doit être l’affaire de tous »
« Don’t Panik » - Médine : « Evitons l’entre-soi »
Le Conseil de l’Europe et l’UNESCO appellent à lutter contre l’islamophobie à l’école
Mouloud Aounit : « Islamophobie, homophobie : même combat »
L'islamophobie en baisse après l'élection présidentielle
L’islamophobie est-elle vraiment « phobique » ?
L'islamophobie en France, une réalité dénoncée par Amnesty International
Islamophobie : la femme musulmane au cœur du conflit
Les actes anti-musulmans en hausse de 58 % en 2011, l'islamophobie d'Etat dénoncé (CCIF)