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Points de vue

Syrie : l’hallali pour Assad ?

Rédigé par Tidiane N’Diaye | Mardi 17 Septembre 2013 à 10:34

           


Comme anthropologue de terrain, je me suis déplacé dans beaucoup de pays arabo-musulmans, en quête d’archives et autres éléments, pour écrire sur la traite transsaharienne et orientale.

C’est ainsi qu’à Khartoum, en 2002, un chercheur soudanais m’avait informé, qu’une partie des territoires du Sud de son pays, avait été fermée depuis des mois, car les Syriens y expérimentaient des armes chimiques sur les populations noires, avec la totale complicité du gouvernement central arabe. Cela me fut confirmé par le quotidien allemand Die Welt, repris par l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, qui a révélé, d’après les rapports de services secrets européens, que la Syrie avait testé des armes chimiques sur les populations civiles du Darfour, dans le cadre d’une coopération militaire avec le Soudan.

Ces essais ont dû être effectués en juin 2004. Les relations syro-soudanaises s’étaient réchauffées depuis que, en mai 2004, au Soudan, une délégation syrienne avait proposé une coopération militaire dans le domaine des armes chimiques à des représentants du gouvernement de Khartoum. La guerre civile meurtrière – qu’il ne serait pas exagéré de qualifier de génocidaire – en cours à l’époque au Darfour, à l’ouest du Soudan, avait coûté la vie à 50 000 morts essentiellement civils.

La Syrie avait trouvé là un macabre terrain d’expérimentation de ses armes chimiques, pour tester ses armes sur des populations civiles sans défense. En juillet 2004, toujours selon le journal allemand Die Welt, plusieurs dizaines de corps congelés avaient été acheminés dans un hôpital de Khartoum (probablement l’hôpital Al Fashr), ils portaient des blessures étranges et n’ont été examinés que par une équipe de « médecins » syriens inconnus, après bouclage de l’aile du bâtiment par l’armée soudanaise. Plus tard, les corps en question, sous surveillance militaire, auraient tout simplement disparu.

Les puissances occidentales (États-Unis, Union européenne, Nations unies, etc.) étaient parfaitement informées par le Mossad, mais n’ont pas bougé. Pourtant, une fois mis au courant, plus tard même Bush fils fut le seul dirigeant occidental à oser qualifier clairement ce qui se faisait au Soudan comme étant « un génocide des populations noires ».

Le deux poids-deux mesures de la géopolitique internationale

Alors je demanderais à ces indignés « blacks » « kamits », etc., qui s’enflamment dès qu’une intervention occidentale est annoncée quelque part : quelle aurait été votre réaction, si à ce moment-là, Américains et Européens avaient décidé de bombarder le Sud Soudan, voire d’aller plus loin, en lançant un mandat d’arrêt international contre les dirigeants syriens et soudanais ?

Votre réaction serait sans doute comme après l’intervention française au Mali, à savoir un silence gêné, puis un grand ouf et puis encore un débat sur le sexe des anges…

En fait, les plus lucides savent qu’il y a deux poids et deux mesures en matière de géopolitique internationale. Car si la communauté internationale a fermé les yeux sur le massacre de populations noires du Sud Soudan, avant de dénoncer aujourd’hui l’utilisation de ces mêmes armes (et prête à intervenir ?), c’est simplement qu’elle a la preuve que la Syrie a tout simplement franchi la ligne rouge.

La Syrie vient de démontrer qu’elle est maintenant capable d’utiliser ces horreurs non seulement contre sa propre population – et pas seulement contre des populations « négroïdes » –, donc pire encore : demain contre leur chouchou de la région, c’est-à-dire Israël.

Aimé Césaire l’avait déjà compris, en expliquant ceci : « Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique. »

Les Nègres ont subi pire et la communauté internationale n’a pas bougé

Voilà pourquoi ce qui se prépare en Syrie aujourd’hui aurait vraiment choqué si les Occidentaux avaient commencé par le faire au moment de l’expérimentation de ces armes au Soudan.

En clair, des Nègres ont déjà subi pire et la communauté internationale n’avait pas bougé.

Alors je trouve aujourd’hui pathétique que des Nègres qui se disent pseudo-« anti-impérialistes, anti-Américains, anti-Européens », etc., dissertent sur la nécessité de défendre le pouvoir dictatorial et criminel syrien, qui déjà du temps du père (Hafez) avait massacré plus de 30 000 personnes pour garder son pouvoir.

En fait, la réalité est que la Syrie possède bien ces armes qu’on lui reproche d’avoir utilisées. Quant à leur possible utilisation par des rebelles, antithèse absurde car n’ayant aucun moyen de contrôler un arsenal d’État et qui est, de surcroît, secret, c’est tout simplement cousu de fil blanc.

Tous les dictateurs savent comment faire avec les mises en scène victimaires. Pour envahir la Pologne en 1939 et déclencher la Seconde Guerre mondiale, Hitler avait envoyé des agents infiltrés côté polonais, pour tirer sur des troupes allemandes et le tour était joué. C’est probablement ce que ce truqueur de Poutine a conseillé à son protégé Assad, élémentaire mon cher Watson...

Le club très fermé de ceux qui dirigent le monde

En fait, les gens pensent toujours assister à des faits nouveaux, alors qu’en géopolitique on joue souvent les mêmes « pièces » comme au théâtre. Le club très fermé de ceux qui dirigent le monde suivant leurs intérêts fixent des règles à accepter de manière tacite.

Il arrive que, de bonne foi, des leaders nationalistes les transgressent volontairement, au bénéfice de leurs peuples. Mais ils l’ont toujours payé au prix fort à l’image de Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Thomas Sankara, Salvator Allende, etc. Tandis que d’autres jouent un double jeu. Ils peuvent être tolérés jusqu’à ce qu’ils franchissent la ligne rouge.

Et là l’association de grands traqueurs d’« États voyous » (en fait plus voyous qu’eux), qui dirige le monde, décide d’en finir par une méthode que le célèbre toréador espagnol Manuel Bénites (El Cordobès) appelait « sonner l’hallali », c’est-à-dire : assez joué, la bête doit mourir ! Et ce sera le coup de grâce au taureau ou l’estocade.

Quant aux pantins spécialistes du double jeu, et qui se prennent pour plus intelligents et plus pragmatiques que les autres, ils n’échappent pas non plus à la règle, ce fut le cas des derniers d’entre eux : Manuel Noriega, Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi.

Partition finale pour Assad ?

Il ne faut donc comprendre dans les palabres actuelles de John Kerry, de Laurent Fabius, des Turcs et autres alliés arabes du Golfe contre Assad qu’un travail de préparation psychologique des masses, que l’on pourrait qualifier de « Deguelo », à savoir l’air de mise à mort joué à la trompette par l’armée mexicaine aux assiégés américains de Fort Alamo en mars 1836, avant que le général Antonio Lopez de Santa Anna, lance l’assaut final pour les écraser définitivement.

Car pour avoir franchi la ligne rouge et violé les règles de fonctionnement fixées par les traqueurs d’« États voyous » qui dirigent le monde, l’heure de jouer la partition finale pour Assad est sans doute arrivée. La pause obtenue par ses protecteurs (Russie et Chine), et dont les motivations et la volonté non avouées sont tout simplement de se ménager encore la possibilité de possibles Tien an men et autres génocides de Tibétains ou de Tchétchènes, n’y changera rien.

Et le pouvoir iranien est prévenu car, s’il persiste à vouloir aussi se doter d’une arme de destruction massive, demain ce sera à son tour de chuter. C’est cela la réalité géopolitique qui se joue en ce moment.

Tidiane N’Diaye est anthropologue et écrivain. Parmi ses ouvrages parus : Le Génocide voilé (Gallimard, 2008) ; Par-delà les ténèbres blanches (Gallimard, 2010) ; Le Jaune et le Noir (Gallimard, 2013).





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