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Monde

Un lycée français au Qatar « conforme à l’islam », l'intox

Rédigé par | Mercredi 29 Janvier 2014 à 06:00

           


Un lycée français au Qatar « conforme à l’islam », l'intox
Tout est parti d’une dépêche AFP. Le lycée Voltaire de Doha au Qatar serait « conforme à l’islam » depuis peu, à en croire des titres de la presse française qui ont fleuri sur le Web mardi 28 janvier, après la signature d’un accord entre la France et le Qatar relatif à cette école. Celui-ci instituerait l'enseignement pour tous de la religion musulmane – préférez lui « charia » pour certains - ainsi qu'une séparation des sexes au niveau du secondaire dans l’établissement franco-qatari.

Au journal Marianne, on se veut encore plus percutant, avec un titre tape-à-l’œil - « Qatar : un lycée Voltaire version Charia ! » - pour fustiger un accord qui permettrait « l'enseignement de la charia », alimentant les fantasmes de ses lecteurs sur ce que pourraient bien apprendre les élèves de si obscur.

Jugeons-en sur pièce : « Le lycée "Voltaire", version charia, accueille un millier d'élèves : c'est dire l'enjeu âprement discuté par les obscurantistes pseudo-modernes du Qatar. Pensez: un millier d'enfants et d'adolescents qui risquaient d'échapper à la chape de bêtise et de s'engager sur la voie étroite de la merveilleuse curiosité humaine ! On aurait espéré que Paris défendrait la liberté de penser », s'alarme la journaliste Martine Gozlan.

Sur un autre ton bien plus informatif, LCI, toujours avec l’AFP, fait savoir que l’accord porterait également sur l’enseignement de la langue arabe au lycée. Un bref coup d’œil au cursus scolaire sur le site de l’établissement suffit à se rendre compte que cet enseignement se faisait déjà par le passé. Quoi de plus normal, nous sommes au Qatar après tout.

Le Quai d’Orsay s'empresse de réagir

Il n'en fallait pas davantage pour que l'information soit reprise massivement par les sites et blogs d’extrême droite islamophobe. Afin d'éviter toute polémique, le ministère français des Affaires étrangères n'a pas tardé à réagir le jour même de la parution des articles pour publier un démenti. « Contrairement à une information de presse, l’accord relatif au lycée Voltaire de Doha, qui a été signé aujourd’hui, ne porte ni sur les cours de religion ni sur les questions de mixité », lance d’emblée le porte-parole du Quai d’Orsay dans un communiqué daté de mardi soir.

« L’accord établit une relation contractuelle entre le lycée Voltaire et l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Le premier s’engage à verser une contribution à l’agence, en échange de laquelle il bénéficiera, pour ses professeurs, de formation continue et de visites d’inspection. L’établissement va pouvoir se rapprocher des normes et des pratiques françaises », explique-t-on dans le détail. « En signant l’accord, l’établissement s’engage notamment à respecter la "charte de l’enseignement français à l’étranger", qui se réfère aux principes de laïcité et de neutralité de l’éducation », ajoute-t-on.

La séparation des sexes n’est pas à l’ordre du jour. Toutes les classes du lycée « mêlent garçons et filles, conformément à l’esprit et à la pratique de l’éducation française ». Quant aux cours de religion, « ils sont dispensés en dehors du programme scolaire officiel français, dans le temps périscolaire, comme cela se fait dans de nombreux pays ». Par ailleurs, « seuls les Qatariens sont tenus de suivre ces enseignements, conformément à la loi locale. L’obligation ne s’impose en aucun cas aux autres enfants (non-qatariens), en particulier aux jeunes Français. Cette pratique est donc parfaitement conforme à nos principes de laïcité », conclut le communiqué.

Outre rétablir les faits, l'empressement du ministère à réagir s'inscrit dans une volonté de se détacher d’une image qui lui colle à la peau ces dernières années : celle d’une France soumise aux désidératas de la richissime pétro-monarchie du Golfe.

Des cours de religion conformes au programme

Bien que le cursus des élèves soit déclaré conforme aux exigences du ministère de l’Education nationale, le lycée Voltaire n'en reste pas moins privé dont la gestion est assurée par le Qatar depuis mai 2013, ce qui lui donne tout droit de proposer des cours de religion comme dans toute école privée confessionnelle en France.

Ouvert en 2007 et inauguré par l’ex-président français Nicolas Sarkozy et l’actuel émir du Qatar en janvier 2008, l'établissement accueille aujourd’hui un millier d’élèves dès la maternelle. Les frais de scolarité sont conséquents : pas moins de 16 490 rials qataris (3 300 €) par an et par élève pour les Français, 25 910 RQ (5 200 €) pour les étrangers et 32 190 RQ pour les Qataris (6 500 €). Mais les familles se bousculent pour voir leurs enfants intégrer ce lieu réputé.

Le lycée Voltaire, dirigé par le procureur général du Qatar, Ali Ben Fetis Al-Marri, est au centre de controverses depuis 2011 après le départ précipité d'un proviseur qui accusait les Qataris d'interventionnisme sur les programmes scolaires, et l'expulsion fin 2012 de la Mission laïque française (MLF), ancien gestionnaire du lycée. Le Qatar compte un autre lycée français, Bonaparte, qui s'est lui aussi séparé brutalement de son proviseur en octobre 2013.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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