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Points de vue

Vaincre Daesh par plus d'égalité et de fraternité

Un an après-Charlie, de l'espérance à la déchéance

Rédigé par Nassurdine Haidari | Samedi 9 Janvier 2016 à 11:02

           


Vaincre Daesh par plus d'égalité et de fraternité
Personne n’oubliera ces morts, ces blessés, victimes de ces bouchers de l’apocalypse, lourdement armés. Personne n’oubliera les larmes, les cris et le sang, l’onde de choc qui traversa et endeuilla la France toute entière.

La France venait d’être touchée en plein cœur et la liberté d’expression s’était retrouvée bien seule face au bruit assourdissant de ces armes de guerre dirigées contre des hommes et des femmes munis de simples crayons de papiers. Mais la France avait trouvé l’énergie de se relever et de dire avec courage que le peuple de France était plus fort que ces minables assassins.

Partout, en France, des manifestations de soutien avaient souligné cette prise de conscience collective, cette farouche opposition au règne de la terreur et cette envie de dire que nous étions ensemble.

Main dans la main, au milieu de cette grande manifestation populaire du 11 janvier 2015, des familles, des inconnus, des Noirs, des Arabes et des Blancs, des juifs, des chrétiens, des musulmans, des athées, des agnostiques... bref, toutes les teintes de cette grande mosaïque française avait scellé cette volonté de dire que nous étions La France, cette France une et indivisible, laïque et démocratique qui ne cédera jamais au chantage des hommes de main de Daesh.

L'unité nationale à l'épreuve

Personne n’oubliera cette union nationale qui se dessinait sous nos yeux avec un président de la République qui avait trouvé les mots justes pour rassembler tous les Français. Personne n’oubliera l’attitude des partis politiques qui avaient pris la mesure de l’horreur et s’étaient rangés du côté de l’union sans tambour ni trompette, dans une certaine humilité qui donnait à être fier de notre classe politique.

Mais l’union politique prônée n’a pas résisté à l’érosion du temps et aux calculs politiques. Elle s’est fissurée, déchirée au vu et au su des citoyens, pour finir dans la recherche bête et méchante de qui était ou n’était pas Charlie. La parole présidentielle s’est ensuite emballée, pressée par le temps médiatique d’être toujours à la hauteur du moment et au cœur des événements.

La parole présidentielle s’est heurtée à la loi du choc des identités où Marine le Pen a engrangé ses plus belles performances électorales. Une union sacrée qui a laissé place à une confrontation politique des plus féroces, les uns accusant les autres d’un certain laxisme, d’un manque d’autoritarisme, et les autres pointant la saignée des effectifs de police sous l’ancienne mandature et mettant en évidence les failles de nos services de renseignements.

Le morcellement de la société s'institutionnalise

Une cacophonie sans précédent où la France se dirigea vers de vieux réflexes consistant à agir sans comprendre, à parler sans réparer, à rassembler sans fédérer, à révéler sans réparer. Un gouvernement groggy qui, bon an mal an, est tombé dans le piège tendu par Daesh : celui de créer sans le dire une frontière confessionnelle au sein de la société française.

Une citoyenneté qui distinguera deux sortes de Français, ceux de « souche » et de ceux « branches », qui va à l’encontre même de notre propre Constitution. Une inégalité de fait entre ceux qui pourront perdre leur nationalité en commettant des actes contraires à l’intérêt de la nation et ceux qui pourraient, en commettant ces mêmes crimes, jouir encore de ce privilège. Une arme symbolique à double tranchant qui ne servira que d’alibi à la rhétorique terroriste de séparation, qui s’inscrit dans la continuité des dernières volontés des frères Kouachi et Coulibaly et qui gravera dans le marbre de la Constitution le principe de discrimination.

Serions-nous devenus assez fous pour donner à ces bouchers de l’apocalypse cette grandeur d’âme à la source d’une modification de notre Constitution ? Serions-nous assez fragiles pour laisser le triptyque républicain se dérober sous nos pieds ? Si tel était le cas, alors les terroristes auraient fait à titre posthume leur plus grand « acte de guerre » : celui d’entériner par la loi le morcellement de la société française. Est-ce bien raisonnable ?

Une drôle de France s'est installée

Cette année fut également marquée par les attaques meurtrières du Bataclan et du Stade de France, par une flambée islamophobe, par l’installation définitive du Front national dans le paysage politique français, obligeant la gauche à voter pour la droite républicaine pour sauver ce qu’elle n’est plus en mesure de préserver. Une drôle de France s’est ainsi progressivement substitué à l’esprit de la marche du 11 janvier 2015, passant de la force de l’espérance à la confusion de la déchéance. Une drôle de France où l’impuissance des discours s’est engluée à la désorganisation de l’action politique. Une action qui a décidé de punir, par le reniement, ses propres enfants, comme si la justice n’était plus capable d’agir concrètement contre ces enfants perdus de la République qui ont choisi de se soustraire par leurs actes à la loi.

La déchéance comme arme ultime de dissuasion symbolique pourrait se révéler contre-productive et porterai du grain à moudre aux identitaires réactionnaires héritiers d’une identité nostalgique et statique voué, dans un monde de plus en plus mondialisé, à mourir lentement. Cruelle désillusion ou simple acte de contrition pénale d’un gouvernement n’avançant plus à découvert mais à calcul feutré, voulant contraindre la droite et la gauche à se plier aux exigences sécuritaires et à plier toute opposition en brandissant le spectre de la sécurité des Français et de l’impérieuse nécessité de neutraliser les forces du mal.

Ne cédons pas aux appels de Daesh

Devant cette année de souffrance, d’espérance et de déchéance de la pensée, soyons dignes, ne cédons pas aux appels de Daesh. Donnons-nous la chance de regarder tous les enfants de République de la même manière, de les juger avec la même compassion, la même fermeté.

Offrons aux plus éloignés du système les opportunités de construire ensemble notre pays. Soyons prêts à défendre par les armes de l’inclusion scolaire, de la réussite économique et sociale tous les enfants de France. Cassons ces apartheids, ces ghettos que les responsables politiques ont eux-mêmes construit de leurs propres mains. Régénérons enfin cette classe politique française prostatique cumularde. Diversifions la parole médiatique et cinématographique où l’entre-soi règne sans partage. Car aussi difficile à croire, nous les vaincrons avec plus de liberté, plus d’égalité, plus de fraternité et plus d’effectivité du rêve républicain.

Nous les vaincrons en cessant la stigmatisation des musulmans, en détruisant l’archaïsme du discours identitaire, où l’invocation systématique des racines judéo-chrétienne de la France efface d’un trait de plume toute l’histoire musulmane de notre pays. Car les racines de la France sont aussi musulmanes. Nous les vaincrons en comprenant que la France d’aujourd’hui est multiculturelle, multiconfessionnelle, que certains Français, noirs ou arabe pour la plupart, ne sont pas des invités de la République française. Soyons en mesure de valoriser cette diversité culturelle qui sera l’atout le plus précieux de France d’aujourd’hui et de demain.

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Nassurdine Haidari est ancien élu socialiste et président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) dans la région PACA.

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